L'avenir de la filière de
l'électronucléaire a changé. Le cataclysme de Fukushima Daiishi a-t-il tout à
fait scellé son sort ? Pour Tewfik Hasni, ancien vice-président de Sonatrach,
fondateur de Neal (Renouvelable) et expert international, les coûts
additionnels pour garantir la sécurité des sites nucléaires vont étrangler la
filière face aux alternatives énergétiques. L'Algérie et le Maghreb devraient
en tirer les conséquences. D'ores et déjà l'implantation de la filière
nucléaire civile est, selon lui, désormais hors de prix pour le Maghreb.
La filière nucléaire est en crise après
le cataclysme japonais. Vous vous êtes souvent exprimé contre le recours au
nucléaire civil en Algérie et au Maghreb. Est-ce que vous pouvez nous rappeler
les arguments qui plaident contre le rajout de cette filière dans le mix
énergétique futur dans la région ?
La décision de développer le nucléaire devrait intervenir après
arbitrage financier une fois le financement des axes de développement
prioritaires satisfait. Il faut savoir que les Emirats Unis ont lancé un
programme de nucléaire civil assez similaire à celui de l'Algérie. Les besoins
de financement ont été estimés à 40 milliards de dollars US. Il faut retenir
qu'il ne s'agit que des coûts d'investissement. Si le nucléaire civil rentre
dans une stratégie d'indépendance énergétique, alors il faut évaluer toutes les
alternatives aux énergies fossiles. L'investissement n'est pas une fin. Nous
avons fait suffisamment d'expériences malheureuses pour ne plus répéter cela.
Le nucléaire civil nécessite un savoir-faire très complexe. Nous avons vu ce
qui s'est passé au Japon, le pays n'arrive pas, en termes de réponses
techniques, à faire face seul à la catastrophe. Les experts japonais
reconnaissent qu'il y a eu du laxisme dans les évaluations des risques. Ils ont
dimensionné les centrales pour des séismes de 7,5 degrés. Ils ont
utilisé,toujours pour des raisons de coût, des charges avec du plutonium qui
présentent de gros risque dans le traitement des déchets. Composé d'uranium et
de plutonium, issu de déchets nucléaires recyclés, le mox est considéré comme
«bien plus réactif que les combustibles standards» par Jean-Marie Brom,
ingénieur atomique, directeur de recherche au CNRS. «Le plutonium, qui n'existe
pas à l'état naturel, est un poison chimique violent. Le mieux aurait été de ne
pas en mettre du tout» affirme cet expert. S'ils devaient refaire leurs
centrales, ce qui a été déjà décidé, alors leur coût sera tout autre. Ceci nous
amène à notre problème. Quel serait le coût d'une centrale nucléaire en Algérie
? Nous savons que les dernières centrales réalisées pour des pays disposant de
savoir et ne présentant pas de risque sismique comme l'Algérie, le coût a plus
que doublé, c'est le cas de l'EPR en Finlande. Nous pouvons imaginer ce que
cela représenterait pour nous si en plus nous sommes amenés à la construire sur
la côte avec la densité de population que nous connaissons.
Le lobby pro-nucléaire explique que les
conditions de la crise japonaise sont des conditions extrêmes qui ne peuvent
pas se reproduire dans des pays à «sismicité ordinaire». Est-ce que le
nucléaire civil a vraiment subi une défaite définitive devant les images de
Fukushima Daiishi en ruines ?
C'est sûr que la filière nucléaire civil
a subi une défaite définitive avec la catastrophe de Fukushima Daiishi. Tout le
risque filière est réévalué aujourd'hui. Il faut relativiser l'impact du
tsunami dans ce qui est arrivé. Les défenseurs du nucléaire n'ont, en effet,
pas manqué de prétendre qu'un tel tsunami ne peut pas arriver en Europe. Les
risques dans les centrales nucléaires ne sont pas d'ordre climatique et naturel
seulement. Three Miles Island et Tchernobyl sont là pour nous le rappeler. La
décision de la France de ne pas proposer des centrales nucléaires à des pays
comme l'Algérie traduit bien le désarroi devant cette situation de crise.
L'ancien ministre de l'Energie et des
Mines Chakib Khelil a donné 2018 comme échéance du début du programme des
centrales électronucléaires algériennes en s'appuyant notamment sur le fait
qu'il faut bien utiliser les gisements d'uranium du pays en développant la
filière. Pensez- vous qu'un mouvement de repli peut se déclencher vis-à-vis de
ces projets ?
Le nucléaire civil en tant qu'alternative
énergétique nous coutera trop cher sans aucune garantie de maîtrise du risque
et surtout, en conséquence, sans possibilité d'indépendance technologique dans
ce domaine.
Par ailleurs, il faut savoir qu'une
centrale nucléaire requiert un investissement lourd si bien qu'elle ne peut
bénéficier d'un crédit commercial classique. Les délais de construction sont de
l'ordre de 10 ans, c'est pour ces deux raisons qu'une centrale nucléaire
s'amortit sur 50 ans. L'erreur de Mr Chakib Khelil était d'avoir estimé les
réserves algériennes d'uranium suffisantes pour faire fonctionner deux
centrales pendant 25 ans. Si nous reprenons les explications sur la durée
d'amortissement d'une centrale nucléaire, à savoir 50 ans, on comprend que nos
réserves ne permettent d'exploiter qu'une seule centrale. Il devient dans ce
cas difficile de lancer un programme de plus de 40 milliards $ pour une seule
centrale. A moins que nous fassions l'impasse sur l'exigence d'indépendance
énergétique.
Les autres pays de la région aussi ont un
programme de génération d'électricité par le nucléaire civil. Est-ce que vous
pensez que les projets de centrales nucléaires au Maghreb sont touchés par la
nouvelle conjoncture de l'après Fukushima Daiishi ?
Les centrales nucléaires au Maghreb ne
verront pas le jour. Le financement reste la contrainte majeure. Il faut savoir
qu'une centrale nucléaire n'a pas de flexibilité comme un cycle combiné. La
centrale nucléaire pour des raisons de sécurité d'exploitation doit fonctionner
en «base load» à 90% au moins. Un pays comme la Tunisie ne peut absorber la
capacité d'une tranche nucléaire de 1200 MW en «base load». C'est le cas aussi
des Marocains. Le seul pays qui pouvait encore se permettre serait l'Algérie.
Les pays du Golfe se sont lancés dans la course au nucléaire non pas pour la
génération électrique mais pour se doter de l'arme nucléaire, à l'instar, comme
ils le pensent, de l'Iran. Nous sommes d'autant plus désarmés que nous avons
perdu le savoir-faire traditionnel aussi bien à Sonatrach qu'à Sonelgaz. Nous
pourrons dire que le savoir-faire s'entretient par l'existence de marchés
croissants. C'est ainsi que la France a perdu aussi son savoir-faire dans le
nucléaire au détriment des Allemands, des Russes et demain de la Chine ceci
après l'arrêt du programme nucléaire français.
Une fois passée l'urgence de la crise, la
compétition entre les différentes sources d'énergie pour produire l'électricité
va redevenir d'abord économique. Les Français soutiennent qu'avec la nouvelle
génération de réacteur nucléaire EPR, les coûts du kilowattheure d'origine
nucléaire deviendront encore moins chers. Les énergies renouvelables, le
solaire en particulier, ont-elles les moyens de soutenir cette concurrence ?
Il faut bien être clair là-dessus : les
coûts des centrales nucléaires vont connaître une dérive pour répondre aux
exigences sécuritaires. Il faudrait ajouter à cela les coûts de traitement des
déchets nucléaires. On s'est aperçu que les stockages actuels présentaient des
failles. Il s'agit comme en France et en Allemagne de stockage dans des mines
de sel. Des fuites ont été constatées. Ceci impliquera donc des coûts supplémentaires.
Le coût qui fait le plus de divergence reste celui du démantèlement. Il n'y a
pas de références précises. Les défenseurs du nucléaire avançaient des montants
de 10 à 20 % du coût initial. A présent des experts avancent le montant de 100%
du coût initial. Après tout cela et des problèmes rencontrés dans la relance de
la filière, il sera difficile d'avancer que le nucléaire sera moins cher que le
solaire thermique pour ne citer que cette alternative seulement.
Dans les cinq prochaines années des
moyens de production électronucléaires vont être retirés du parc en Europe, à
commencer par l'Allemagne. C'est le gaz qui semble le mieux préparé en avantage
coût pour prendre les parts de marché libéré. Est-ce que la crise du nucléaire
ne va pas plutôt renforcer la course vers le gaz non conventionnel plutôt que
le solaire et l'éolien ?
Je ne pense pas que les pays européens
fassent les mêmes erreurs que nous en restant sur des scenarii «laisser-faire»
seulement.Ils ont bâti leur modèle de consommation énergétique et ont tiré déjà
des stratégies. Le Think Tank de l'armée allemande avait prévu cette situation
et eux connaissent les limites des réserves de gaz. Ils ont misé sur le solaire
thermique importé du Sahara et du Sahel. Le gaz contribue à 60% de la
génération électrique européenne et l'électricité solaire devient compétitive
avec le gaz pour un prix du brut atteignant 100 $/BBL. Ce qui est le cas
aujourd'hui. L'autre avantage du solaire c'est le fait qu'il n'y a pas de
variation des prix comme c'est le cas du gaz. Le phénomène qui accélèrera ce
processus ce sera paradoxalement le renchérissement du prix du gaz. Il se
trouve que le seuil de rentabilité des investissements gaziers ne peut être
atteint avec les prix de vente actuels et par ailleurs la crise économique fait
que les pays consommateurs ne peuvent relancer leur économie avec des prix trop
élevés. En conclusion, le passage au photovoltaïque et aux autres énergies
renouvelables va s'accélérer en Europe.
L'Algérie a présenté un projet de plan
national pour les énergies renouvelables qui n'a pas suscité de grandes
réactions chez ses partenaires. Le jugez-vous trop peu ambitieux dans ses
objectifs ou trop prudent dans son agenda ? Pensez-vous par exemple que le
choix des technologies dans le solaire requiert deux années de réflexion comme
le propose le plan algérien ?
Nos ambitions ne seront limitées que par
la méconnaissance de notre potentiel ainsi que des attentes d'un marché à
l'export qui ne manque pas de nous faire du pied, particulièrement avec la
confirmation des limites des énergies fossiles et maintenant l'élimination de
l'alternative nucléaire.Le nombre de projets de solaire thermique dans le monde
en général et dans les pays du MENA sont impressionnants. Il faut être
pragmatique, on ne peut pas parler encore en 2011 d'expérience pilote pour une
technologie qui a fait ses preuves depuis 1980. Nous avons suffisamment
d'informations et de propositions pour ceux qui savent les lire pour lancer une
industrie solaire consistante et dans les meilleurs délais pour peu que nous
sachions gérer cela. Les énergies fossiles sans une politique sérieuse
d'efficacité énergétique ne pourront satisfaire la demande pour les horizons
2020 si nous maintenons les prévisions d'exportations telles qu'arrêtées en
2010 tout en continuant à consommer le gaz naturel pour la production
électrique comme nous le faisons. Le mix énergétique le plus évident
consisterait à déplacer le gaz utilisé pour la génération électrique par le
solaire thermique dans des hybrides pour les prochaines 5 années pour passer à
80% de solaire par la suite. Le potentiel solaire thermique étant tellement
important qu'il avait déjà suscité l'intérêt des Européens qui se préparent au
peakoil et gaz.
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Posté Le : 22/03/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Kadi Ihsane
Source : www.lequotidien-oran.com