Ancien vice-président de Sonatrach, premier PDG de Neal, la filiale
dédiée aux énergies renouvelables, Tewfik Hasni, aujourd'hui consultant libre
de sa parole, évalue la première sortie du ministre algérien de l'Energie et
des Mines,Youcef Yousfi, esquissant à Montréal, en pointillé des orientations
de politiques énergétiques. Le temps de la réflexion n'est pas terminé, mais la
première inflexion par rapport à la politique de Chakib Khelil serait déjà là.
A démontrer.
Le ministre de l'Energie et des Mines, M. Youcef Yousfi, a dévoilé,
lors du congrès mondial de l'énergie de Montréal, la stratégie qu'il comptait
conduire à la tête de son secteur. Sur de nombreux points, place du nucléaire
dans le futur mix énergétique, timidité sur le solaire, il laisse le sentiment
d'une continuité avec la stratégie de son prédécesseur. Est-ce aussi votre
impression ?
Tewfik Hasni : Pas tout à fait. Je pense à la lecture des
différentes interviews rapportées par la presse algérienne, qu'il y a, en fait,
une réelle inflexion politique de la part du ministre de l'Energie et des Mines
M. Youcef Yousfi. En effet, au vu des articles rapportés par l'APS, entre
autres M. Youcef Yousfi a indiqué que l'Algérie étudierait la possibilité de
développer ces projets de partenariat euro-méditerranéen. «Nous allons étudier
toutes les possibilités de développement des énergies renouvelables, non
seulement au niveau national mais aussi au niveau régional», a-t-il notamment
répondu à une question sur la position de l'Algérie sur le projet Desertec.
Nous pouvons comprendre, et ceci est explicite dans une autre communication,
que le ministre de l'Energie et des Mines veut d'abord élaborer une stratégie
globale et avoir une démarche globale. Un autre quotidien rappelle d'ailleurs
que c'est ainsi qu'il avait opéré lors de son arrivée à la tête du ministère au
temps du président Zeroual.
Le ministre réfléchit à une stratégie globale, certes, mais pendant
ce temps il existe des contraintes sur le secteur de l'énergie algérien, des
besoins de développement du pays, des pays clients qui observent et aussi un
modèle énergétique mondial qui change sous nos yeux. N'y a-t-il pas des
arbitrages à rendre plus clairement ?
Nous ne pouvons demander aux responsables actuels d'assumer le
passif. Notre pays doit maintenir sa position dominante sur le marché
énergétique. Le marché est en train d'évoluer et il est possible de maintenir
cette place par d'autres ressources comme le solaire. Il est clair qu'il est
important que notre pays puisse assurer sa transition vers une économie hors
hydrocarbure et d'une façon progressive. Il serait souhaitable d'engager une
grande réflexion à partir d'un modèle de consommation énergétique qui
s'appuierait sur les objectifs de croissance souhaités. Je rappelle que nous
avons souvent entendu qu'un taux de croissance minimum du PIB de 7% était
nécessaire pour espérer coller au dernier pays européen d'ici 10 à 15 ans. Ceci
se traduira d'abord par une politique d'exploitation de nos gisements suffisamment
raisonnable pour préserver au moins pendant 50 ans nos réserves d'hydrocarbures
et permettre ainsi aux générations futures de s'assurer d'une ressource qui va
devenir hélas rare. Il y a un consensus en cela au moins puisque aussi bien le
centre de recherche qui dépend de l'OPEP (M. Sarkis) que l'AIE ou le dernier
rapport de l'armée allemande, s'accordent à dire que le peak oil (plafond de
production mondial) est pour très bientôt.
L'arbitrage entre les différentes ressources énergétiques fossiles,
renouvelables et même nucléaire à moyen terme, s'établira, à mon sens, au
niveau des financements. J'ai entendu par exemple le ministre des Finances
annoncer que la priorité de financement n'irait pas à la transformation
pétrochimique qui détournerait une partie des ressources destinée aux projets
hors hydrocarbures. Le ministre de l'Energie a émis aussi des réserves sur le
projet aluminium. Ceci pour dire que les besoins financiers pourraient être un
paramètre de ségrégation, sachant que les Emirats Arabes, pour réaliser leur
programme nucléaire, ont estimé un budget de 40 milliards de dollars. Donnons
au ministre de l'Energie le temps de s'exprimer sur ces arbitrages très
complexes.
Vous avez tout de même en tant qu'expert un point de vue sur la
ressource la plus appropriée dans le futur mix énergétique algérien…
Toutes les informations concordent pour accorder au solaire une
position dominante. Ainsi, l'AIE prévoit qu'en 2050 la part des énergies
renouvelables atteindrait 50 %. Le scenario BlueMap prévoit que 50% de la
contribution des énergies renouvelables serait d'origine solaire. Le scenario
BlueMap+ est basé sur une part solaire de 75% et ceci n'entraînerait une
augmentation du coût de l'électricité que de 10%. Par ailleurs, un expert comme
Francis Perrin relève plusieurs points en faveur du développement rapide du
solaire dans le renouvelable : la contrainte carbone sera lourde, il existe une
dynamique de baisse des coûts, la tendance lourde pour les prix du pétrole est
à la hausse ; il existe déjà une véritable industrie du solaire, les pays du
Sud ont leurs programmes nationaux, les pays producteurs de pétrole
s'impliquent ; c'est une révolution, dans le développement des énergies
renouvelables, le problème de financement ne se pose apparemment pas, le Nord
affiche une volonté de partager et de coopérer avec le Sud.
La politique de la chaise vide de l'Algérie dans les différents
programmes de développement de l'électricité solaire dans la région Sud
Méditerranée semble se poursuivre au-delà de l'ère Khelil. Le plan solaire
méditerranéen de l'UPM et Desertec, initiative de l'industrie allemande,
avancent pendant ce temps. Quels risques prend l'Algérie à poursuivre sa
période d'hésitation à ce sujet, notamment en mettant comme préalable à de
grands investissements, la maîtrise technique de toute la chaîne de l'industrie
du renouvelable ?
Je ne pense pas qu'il faille mettre à l'actif du ministre actuel
cette politique de chaise vide. Bien que la chaise est toujours vide. Je pense
aussi que les formats des forums proposés ne sont pas toujours les bons. En
effet, la complexité des questions énergétiques est telle que vouloir les
élargir à plusieurs régions gérant des problèmes politiques importants, n'est
pas la bonne solution. D'ailleurs, à la récente conférence à Paris sur le plan
solaire méditerranéen, certaines recommandations reprennent en fait nos idées
et préconisent une approche régionale du genre 5+5. D'autant plus que les
différends sur l'approche ont été relevés même entre pays européens. Les hésitations
algériennes peuvent se comprendre en voyant la liste des contraintes relevées à
la fin de la conférence mentionnée plus haut. Ainsi, M. Kevin Sara de (Nur
Energie) a fait la synthèse des contraintes suivantes : la question
d'exportation de l'électricité solaire divise, les pays maghrébins ne sont pas
d'accord avec M. Hermann Scheer (Président du Conseil Mondial des énergies
renouvelables). Il n'y a pas de consensus sur le coût du solaire. Il n'y a pas
de consensus sur la technologie utilisée, même s'il est admis que l'intégration
industrielle serait plus importante pour le solaire thermique. Elle est estimée
à 70%. L'interconnexion sera compliquée du point de vue légal et sans doute
chère. Après cela, nous ne pouvons que respecter les nouvelles approches de M.
le ministre de l'Energie quand il demande un apport technologique, une
intégration industrielle. Points sur lesquels les pays européens sont d'accord.
Il reste à régler le problème d'accès au marché qui est déterminant pour
l'Algérie, ainsi que la juste rémunération de l'électricité exportée vers
l'Europe. Pour cela, je pense que l'approche stratégique que le ministre veut
clarifier prendrait en charge aussi cette dimension et à mon avis des solutions
existent. Je reste d'accord avec vous que la politique de la chaise vide ne
paie pas.
Est-ce que le nouveau cadre de l'investissement pour les étrangers
ne va pas constituer un obstacle supplémentaire pour développer ces solutions ?
Je pense que pour le secteur de l'énergie, les investisseurs seront
prêts à respecter nos exigences. Cependant la règle des 51/49 de la LFC
constitue une contrainte, surtout si le projet est totalement destiné à
l'export et ne bénéficie pas des avantages des autres projets énergétiques. Le
gaz pour les petites quantités requises devrait être vendu au prix à l'export.
Des officiels allemands ont déjà tenté de dissuader les Algériens
de se lancer dans le nucléaire civil, cher et industriellement dépendant de
l'extérieur, tandis que des personnalités françaises ont ouvertement critiqué
Desertec, projet pharaonique accusé de vouloir «recoloniser» l'Afrique du Nord.
Peut-on dire que pour le moment les options algériennes paraissent plus proches
du point de vue français sur notre futur mix énergétique ?
Je ne pense pas qu'il y ait eu une décision précise en ce sens. Le
ministre veut laisser toutes les options ouvertes et de la réflexion globale
envisagée sortiront les différents scénarii. Je situerai de même les autres
ressources que je n'ai pas mentionnées, telles que les gaz non-conventionnels,
etc. Il faut savoir que les Tunisiens ont lancé un programme nucléaire pour une
concrétisation en 2022. Ils vont rencontrer des problèmes sérieux. La solution
pourrait être dans une centrale nucléaire pour les 3 pays (Algérie, Tunisie et
Maroc), sachant que la capacité de consommation électrique de la Tunisie pourra
difficilement absorber 1000 à 1200 MW. Un des points dominants de notre
stratégie sera de maintenir notre place de deuxième fournisseur énergétique de
l'Europe. Ceci est faisable dans le cadre d'un mix énergétique. Le programme
d'exportation de 24000 MW en solaire respecterait cette objectif, tout en
restant dans le niveau de dépendance énergétique fixé par l'Europe.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 21/09/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Kadi Ihsane
Source : www.lequotidien-oran.com