Roman de l’exil de Madame Roland à Sétif Voici un roman qui risque fort de s’attirer, injustement, les foudres ou le silence désapprobateur des tenants d’une histoire nationaliste. Ils auront tort. En s’installant dans un épisode, à la fois anecdotique et symbolique, de l’histoire de la colonisation française en Algérie, Fayçal Ouaret se livre à un travail d’analyse et d’évocation subtil et éclairant du passé et peut-être du présent de l’Algérie lui-même, sous une forme romanesque.
Certes il y a d’abord dans ce roman de l’exil de Madame Roland à Sétif par le Prince président une peinture sensible et fine des sentiments d’une femme exceptionnelle, de la détresse ou du désespoir au courage en passant par un intérêt très vif pour les gens qui l’entourent. Il est vrai qu’il y eut d’autres cas, semblables ou apparentés au sien, parmi les premiers immigrants de l’Algérie coloniale, contraints eux aussi à s’expatrier par le bannissement politique, l’exode, la misère, la censure sociale, s’agissant de filles mères par exemple, ou l’espoir entretenu par les autorités d’améliorer des conditions de vie difficile en France.
Cependant le propos de l’auteur ne semble pas être principalement de peindre cet aspect de l’histoire de la colonisation française. La richesse du roman réside plutôt dans l’analyse à laquelle procède Fayçal Ouaret du mécanisme de fonctionnement de cette société coloniale naissante avec ses contradictions ainsi que des rapports entre celle-ci et la société autochtone.
La hiérarchie militaro-policière coloniale est incarnée dans un Général comme façade respectable et prétendument humaniste. Il est flanqué d’un colonel exécuteur de basses œuvres que son homosexualité réprouvée et dissimulée voue à maîtriser tout secret et tout écart en mettant en oeuvre l’espionnage et la répression. Il y a là tout à la fois le décor de fonctionnement d’une société despotique, dictatoriale avant la lettre, et celui d’une société coloniale qui reposait sur des bases précaires et menacées. L’attitude de Mme Roland et son sort final préfigurent déjà de manière saisissante le sort d’autres rebelles de la guerre d’indépendance.
Une des réussites, réelles et fréquentes, de Terres Noires est dans la description des rapports entre la hiérarchie tribale avec le pouvoir en place mais aussi avec ce que représente le personnage de l’exilée politique. Fayçal Ouaret a développé cette peinture autour de figures ou d’événements romanesques captivants, la fille de notable berbère fugitive qui veut échapper à un mariage forcé et mener une vie plus libre, l’agression contre le fils du Caïd un jour d’orage, née de l’intolérance et de l’incompréhension des immigrants à l’égard des autochtones. On voit le jeu complexe de la hiérarchie militaire avec les autorités tribales, les compromis que celles-ci passent avec le pouvoir en place.
On voit aussi la sympathie mais aussi la distance ou l’incompréhension réciproque entre l’exilée et ces autorités tribales, exprimées par tantôt des silences énigmatiques, tantôt par des gestes de solidarité ou de reconnaissance sans suite.
Ce que semble suggérer ce roman c’est que l’histoire coloniale fait partie intégrante de l’histoire de l’Algérie, même lorsque la population algérienne n’est pas au centre. Le parallélisme entre les convulsions historiques de la gestation d’une société républicaine et démocratique française et celles de l’émergence d’une société non coloniale algérienne est un rappel en soi des similarités dans l’histoire des deux pays.
D’une certaine manière, le mécanisme d’oppression qui pèsera sur la population algérienne est déjà là essayé et mis en place contre les républicains et la lutte de Mme Roland préfigure celle de futurs rebelles. Par delà cette ressemblance, d’une autre manière aussi, ce processus interne à la société française luttant pour les libertés républicaines peut se reproduire à l’intérieur d’autres sociétés ultérieures, algériennes ou autres, voire à nouveau française, le cas échéant.
D’autres généraux et d’autres colonels pourront être tentés de jouer le même jeu. D’autres forces pourront être tentées de jouer le compromis et l’évitement avec un pouvoir arbitraire et despotique ou se montrer aveugles à d’évidents devoirs de solidarité par delà les différences de culture. Terres Noires est un roman aux apparences lisses et policées mais trompeuses.
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Posté Le : 17/05/2007
Posté par : nassima-v
Ecrit par : Max Véga-Ritter
Source : www.dzlit.free.fr