Algérie

«Terre d'exil», énigmatique biographie


Voilà un titre qui ne fera pas les grosses unes de tous les médias mainstream qui peuplent nos surfaces de concepts ennuyants et redondants. Voilà aussi un titre qui ne fera pas les choux gras des jeunes Goncourt et des autres prix offerts comme les cadeaux obligés d'une obéissance éditoriale imposée dans les étalages divers sans aucune autre condition que de se plier aux dictats de l'heure.L'ouvrage parle de guerre, de mémoire, et aussi, de questions gênantes nous concernant en premier lieu. Le débat sur nos blessures et les non-dits qui les entourent mérite d'être posé comme semble nous le suggérer l'écrivain Akli Drouaz dans cet ouvrage qui, malgré son caractère romanesque et fictionnel, fleure bon la note autobiographique. Sachant qu'au passage, l'auteur ne semble pas né de la dernière pluie. Il met en scène un récit sur la guerre d'Algérie, en triturant au passage les souvenirs, les affres, les non-dits d'une Kabylie poignante, âpre, ardue dans ses traditions et son fonctionnement. Akli Drouaz est conscient qu'il remue le couteau dans toutes les plaies possibles. Mais sa fonction d'écrivain, témoin d'une guerre terrible nous fait poser la formidable question : Comment a-t-on pu survivre à tout ça !' L'écrivain est préfacé par Philippe Torrens qui nous introduit dans une belle notion littéraire faisant de cette «autobiographie» un élément à charge contre la valorisation de soi, la glorification de l'être quand il écrit sur lui-même, la tentation de se surévaluer?
Pourtant, «Terre d'exil» est justement un exercice de style qui va déconstruire des faits historiques, dans le cours régulier d'une saga familiale prise à bras le corps par un narrateur qui se fera le scribe obligé d'un autre narrateur épistolaire qui, en fait, semble l'alter ego de l'écrivain, mais cela est secret, cela ne se dit pas, puisque au final il s'agit d'un récit fictionnel très bien mené par des allants stylistiques très pertinents dans la forme et dans l'élaboration factuelle. Ni manichéisme, ni annotations insipides pour un personnage décliné en narrateur dont on ne saura finalement jamais le nom, mais qui est proche du personnage principal, nous avons nommé Mokrane raconté par un enfant né en plein guerre d'Algérie, vivant ce grand conflit à la dimension de ses yeux naïfs, l'écrivain a comme son héros été un nomade libre, vivant plus de 40 ans dans une Europe souvent changeante.
L'auteur est musicien, intellectuel, homme libre, militant naturel de gauche, ami de quelques hauts personnages créatifs, il vit aujourd'hui sa musique, son art consommé de réaliser de belles phrases, dans une contrée maritime havre de paix et de retour sur soi, son village natal. Akli Drouaz dans son expression «Terre d'exil» paru aux éditions «L'Odyssée» nous livre un pan entier de ce vécu si bien décrit par des auteurs comme Mammeri ou Feraoun, déclinés aussi par Djaout. Mais il y a un regard novateur chez l'écrivain Drouaz qui y met beaucoup de modestie mais aussi de lumière dans la contemporanéité et la novation d'une remise en question de nos propres travers, de ce que la tradition admet au nom d'idées éperdues de veiller au qu'en dira t-on.
Juste les apparences malgré les blessures intimes et les désastres que cette tradition autorise. Dans ce récit, il s'agit aussi d'une guerre affreuse, de lutte pour l'indépendance, mais aussi d'une très belle histoire d'amour, ou pas ! Le déroulé d'un parcours, d'une marche héroïque, ou pas ! d'un personnage hors du commun, raconté par un pair qui nous semble fantomatique, mais qui, en réalité, raconte ce fameux Mokrane emblématique à travers un cheminement littéraire au procédé empruntant les voies épistolaires dessinées dans une correspondance qui parle de la guerre d'Algérie, des maquis de Kabylie, d'un Alger souvent vécu comme une Mecque ultime de tous les mouvements de libération mondiaux?le cinéma, la musique? Akli Drouaz nous partage ses madeleines de Proust, elles ont ici l'odeur de ces superbes Cocas à l'oignon et à la tomate que l'on prenait à la sortie d'un des multiples cinémas qui peuplaient la capitale.
Il est vrai qu'à l'époque, la richesse des débats donnait faim aux pratiquants de la pensée cultivée. «Terre d'exil» est un très bon récit, écrit dans une limpidité cristalline, les échanges mémoriels, quasiment autobiographiques assurent un ton fabuleux à cette histoire qui évoque de lourdes séquences de notre passé récent et qui nous installe dans des confidences aussi d'actualité prégnante. La narration, le sens de l'à-propos font de cette belle histoire un livre qui aurait mérité un prix littéraire par sa force d'évocation. Gageons qu'il rencontrera ses lecteurs de la manière la plus logique de par la qualité même de son expression. «Terre d'exil» est disponible chez les bons libraires, aux bons lecteurs de faire le reste?
Akli Drouaz, «Terre d'exil», récit préfacé par Philippe Torrens, éditions L'Odyssée, 2018. Prix conseillé 750 Da.
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