Algérie

Ténès, la ville européenne



Après la prise d’El-Asnam par Bugeaud, au début de l’année 1843, Ténès fut occupée par le colonel Changarnier au mois d’avril de la même année. Cet établissement amena bientôt la création d’une ville européenne édifiée sur le plateau dominant la mer. Éloignée de l’ancienne ville arabe, d’environ quinze cents mètres au bord de l’Oued-Allala, elle recouvra le sol même où s’élevait autrefois la colonie romaine. Les pierres taillées depuis deux mille ans avaient encore servi à la renaissance d’une nouvelle ville européenne qui devint la clef de voûte de la vallée du Chélif, où il fallait établir par terre des communications entre les troupes de la province d’Oran et celles de la province d’Alger, qui n’en existaient jusqu’alors que par mer.
Une population de 243 Européens industriels et commerçants fut établie à Ténès et placée sous l’autorité d’un officier « Directeur de centre » dépendant du cercle militaire de cette circonscription.Bérard fut un des premiers Européens de Ténès en 1844, date à laquelle il ouvrit une libraire-bibliothèque.
Dès que le colonel De Saint-Arnaud fut nommé commandant supérieur de la subdivision d’Orléansville, en novembre 1844, qu’il entreprit des démarches auprès du gouverneur général Bugeaud pour le réaménagement du port. Deux jetées parallèles et un brise-lame de 400 mètres permettaient de protéger un plan d’eau de près de 300.000 mètres carrés. Une route reliant Ténès à Orléansville par la vallée de l’Oued-Ouahrane fut conçue par le capitaine du génie Tripier.

Lettre de De Saint-Arnaud à Bugeaud :

Orléansville, le 22 décembre 1844.

Monsieur le Maréchal,

« J’ai reçu la croix d’officier et les quatre croix de chevalier que je vous avais demandées pour mon régiment et j’éprouve le besoin de vous témoigner toute ma reconnaissance. Vous m’avez rendu bien heureux, Monsieur le Maréchal et le 53e tout entier brûle du désir de mériter encore des récompenses pour vous prouver qu’il est digne de celles que vous lui avez accordées.
La France s’est chargée de payer la dette de l’Afrique. Tout le monde comprend ce que vous avez fait de beau et de bien et l’on vous sature de cette popularité que vous avez longtemps et dignement dédaignée et qui vous déborde aujourd’hui. Juste récompense, hommage mérité et dont nous jouissons tous avec vous.
Mais la question vitale est toute dans l’établissement d’un port à Ténès. Ce port, la nature a pris soin de l’indiquer et d’en poser les jalons. Quatre millions en feraient l’abri le plus sûr et le meilleur de toute la côte septentrionale de l’Afrique. Les plus grands vaisseaux pourraient y mouiller et, avantage immense et bien rare, la rivière Allalah.
De Ténès à Orléansville les communications sont aujourd’hui difficiles, mais dans quelques mois l’on voyagera sur la route si belle et si hardie devinée et tracée par le commandant Tripier, aussi habile ingénieur qu’homme actif et plein de zèle.
Cette route, dont je sens toute l’importance, je la pousse autant que possible. Deux bataillons y seront toujours employés en temps ordinaire. »

ténès
Ancien port de ténès, époque française

Relations Bugeaud et De Saint-Arnaud :

Les ambitions militaires de Leroy De Saint-Arnaud, dit Achille, lui étaient fondées en 1833 lorsqu’il rencontra le général Bugeaud à Blaye (sur la Gironde). Il était encore jeune lieutenant de la légion étrangère lorsqu’il gagna la sympathie du général. Le Lieutenant avait été envoyé avec un détachement à la citadelle de Vauban pour assurer la garde de la duchesse de Berry où elle était enfermée. Bugeaud, alors maréchal de camp, fut nommé gouverneur de la place. Le destin unissait, en effet, ces deux soldats aux grades manifestement inégaux. Cependant, De Saint-Arnaud gagne bien vite les bonnes grâces du général. Bientôt il le prend comme aide de camp et le reçoit dans son intimité. Il lui fait suivre sa carrière militaire : le faire nommer capitaine et ensuite officier d’ordonnance du roi Philippe.
Au cours de la traversée à bord de l’Agathe, qui ramène en Sicile la duchesse de Berry, De Saint-Arnaud accompagne Bugeaud dans le voyage. Arrivé en Algérie en 1837, toujours comme lieutenant, quoique déjà âgé de trente-neuf ans, il avait ainsi, en un court de temps, regagné le retard qui lui devait limiter sa carrière aux grades subalternes. En participant aux opérations de pacification de la Mitidja, aux côtés du Maréchal Valée (1837), il était promu au grade de capitaine. Dans l’expédition de Constantine lancée par le Duc d’Orléans, en septembre 1839, il en fit partie de la seconde colonne d’assaut, sa conduite lui avait valu la croix de la Légion d’honneur.
Dès qu’il eut appris la nomination de Bugeaud comme gouverneur général de l’Algérie en 1840, ait demandé à servir sous ses ordres et, le 16 avril il fut logé et hébergé au palais. Après les campagnes du printemps de 1842 (occupation de Taza, de Takdemt, de Massacra, opérations dans le Dahra des Béni-M’nasser) il est promu lieutenant-colonel (avril 1842).
Bugeaud, voyant les actions de son ami d’éclats, et pour faire un établissement à Miliana, le nomma, au mois de juin, commandant supérieur du camp (poste d’avant-garde). Il lui écrit en septembre 1842 : « Vous êtes aujourd’hui dans la position la plus difficile de la Régence, et pourtant la plus belle. C’est là que vous deviendrez un homme de guerre réellement« . Au Mois de novembre 1844, De Saint-Arnaud fut nommé commandant supérieur de la subdivision d’Orléansville, en remplacement de Cavaignac envoyé commander la subdivision de Tlemcen. Il venait, quelques jours auparavant, d’être promu colonel du 53e de ligne. Sa désignation pour le commandement d’Orléansville, un des postes les plus importants d’Algérie de l’époque, est une nouvelle preuve de l’estime dans laquelle Bugeaud le tenait, mais aussi, de l’intérêt qu’il lui portait surtout pour la mise en place d’une politique de colonisation militaire à Orléansville.
Il lui dit : « Je ne vous proposerai pas pour commandeur, on dirait que je vous pousse trop et d’ailleurs cela ne peut vous manquer. Pensons au solide. Que vous ayez le 32e ou le 53e, vous aurez le commandement supérieur d’Orléansville et dans deux ans et demi vous serez maréchal de camp« .
Les débuts de De Saint-Arnaud à Orléansville vont rentrer, en fait, dans une phase de conflits politiques entre le gouverneur Bugeaud et la Métropole française sur la question du mode de colonisation en Algérie.
Ce fut encore le renouvellement des querelles entre les députés français et les généraux, anciens fonctionnaires impériaux, qui ont conquis et administré l’Algérie. Le général Savary, duc de Rovigo avait administré l’Espagne, le général Clauzel l’Illyrie, le baron Pichon Saint-Domingue. Bugeaud est un ancien lieutenant-colonel de la garde impériale de Napoléon Bonaparte qui lui illustra à Waterloo une formation tactique disposée en carré contre la cavalerie, et qui reçut son nom « le carré Bugeaud ». Devenu commandant en chef de l’armée d’Afrique (1836-1840), il appliquera à la campagne d’Algérie des principes de combat de la plus haute conception.
Note du cabinet du ministre de la guerre Soult au Maréchal Bugeaud :
« En accusant réception à M. le Maréchal duc d’Isly de sa lettre du 9 de ce mois (janvier 1845), lui dire que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt celle que lui a écrite M. le colonel De Saint-Arnaud sur la situation de la subdivision d’Orléansville et de Ténès. Je loue le zèle, le dévouement et l’intelligence de cet officier supérieur. Si tout ce qu’il annonce se réalise, il aura bien mérité. Il doit d’ailleurs compter qu’il sera secondé dans l’exécution de ses projets.
Quand à la préoccupation que témoigne de nouveau M. le Maréchal duc d’Isly sur l’administration civile ou militaire, lui rappeler qu’il ne s’agit nullement de changer d’ici à longtemps l’état de choses actuel dans la subdivision d’Orléansville et que, quelque principe qui soit établi dans le projet d’ordonnance et d’organisation qui lui a été communiqué, il ne doit pas en tirer des conséquences aussi désastreuses pour l’avenir. Il lui sera aussi parlé du port de Ténès en lui annonçant que des études ont déjà été ordonnées afin d’apprécier ce qu’il y aura à faire à cet égard« .

Le cercle de Ténès en 1845 :

Dans le cadre de la nouvelle organisation de l’administration de l’Algérie, une ordonnance royale, du 15 avril 1845, divisa le territoire en trois zones : 1° la zone civile, où les services administratifs étaient complètement organisés ; 2° la zone mixte, où l’autorité militaire remplissait les fonctions civils ; 3° la zone arabe, entièrement soumise au régime et au pouvoir militaires. C’est ainsi que furent placées les tribus de Ténès dans la troisième zone, et organisées en un seul aghalik puis deux caïdats respectives. L’aghalik, que commandait l’Agha El-Hadj-Ben-Henni Boutiba de Béni-Haoua, dépendait du bureau arabe du cercle militaire de Ténès sous les autorités du capitaine Lapasset (Ferdinand Auguste), pour le bureau, et du lieutenant-colonel Canrobert pour le cercle. Cette circonscription, militaire et juridique à la fois, enveloppait les deux principales tribus des Béni-Haoua et des Béni-Hidja qui ont été toujours unies par leur histoire commune. Cependant, le passage progressif d’une tribu mère aux tribus secondaires, les noms d’origine ont laissé toujours place à ceux des nouvelles générations confondues tout en gardant, néanmoins, la consanguinité d’une parenté lointaine. Repris et déformés par l’administration française, ces noms sont arrivés à une altération définitive sous les appellations que nous connaissons aujourd’hui.
Cependant, ce fut cette dernière qui demeura la plus turbulente et la plus hostile à l’occupation française dans la région de Ténès.

ORGANISATION DES TRIBUS DU CERCLE EN 1845

AGHALIKS
TRIBUS

CAÏDATS

BENI-HAOUA
(El-Hadj-Ben-Henni Boutiba)
- BENI -HIDJA

Caïdat des BENI-HIDJA
(Caïd Hadj Mérouane)

– BENI- HAOUA

Caïdat des BENI-HOUA
(Caïd Hadj Mokrane)

- BENI-DERDJINE
SANS CAIDAT

D’après le recensement fait par le capitaine du bureau arabe du cercle de Ténès, au 31 décembre 1854, la population indigène s’élevait et se partagerait ainsi qu’il suit :
- Hommes : 6.054.
- Femmes : 6.172.
- Enfants : 8.165
- Tentes : 1.621.
- Gourbis : 2.083.
- Terres cultivées : 95.552 hectares.
Au cours de la division des tribus (Sénatus-consulte de 1863) en douars-communes, la principale tribu d’origine arabo-hillalienne des Béni-Hidja sera fragmentée comme suit en 1865 :

DOUARS-COMMUNES

HOMMES

FEMMES

ENFANTS

TOTAL

SUPERFICIE

ZOUGARA
(TAOURIRA)

277

394

812

1.843

12.000 ha

MAÏNE

293

450

843

1.586

8.000 ha

SINFITAS

386

492

939

1.817

7.000 ha

La tribu des Béni-Houa sera délimitée en un seul douar-commune ainsi qu’il suit :

DOUAR-COMMUNE

HOMMES

FEMMES

ENFANTS

TOTAL

SUPERFICIE

BENI-HAOUA

548

822

1.932

3.302

12.000 ha





La révolte du Dahra 1845-1846 :

L’hiver s’achève à peine quand De Saint-Arnaud apprend l’agitation des tribus du bas Dahra, dans la région de Ténès, soulevées par Mohamed Ben Abdellah (dit Chérif Boumaâza), Lieutenant de l’Emir Abdelkader. C’était le 14 avril 1845, quand il se manifeste pour la première fois au Sud-Ouest de Ténès, les attaques commencèrent, et il fallait attendre le 14 janvier1846 pour que la tribu des Béni-Hidjas se soumette définitivement.Pour tenter d’étouffer l’insurrection à sa naissance et reprendre les travaux de sa subdivision, le colonel entre en campagne dès le mois d’avril 1845 (le 28), et les opérations sont poursuivies jusqu’au mois de juillet :
- Le 20 avril, Mohamed Ben-Henni, caïd des Béni-Hidja, attaque le camp de Gorges, à 6 Km. de Ténès, sur la route d’Orléansville ;
- Le 23 avril, attaque d’un convoi allant à Orléansville ;
- Le 28 avril, De Saint-Arnaud attaque les Béni-Hidjas sur leur terrain ;
- Le 29-30 avril, Première soumission des Béni-Hidjas qui disposaient d’un armement composé de 500 fusils anciens, 300 sabres et de 200 pistolets.
- Le 4 mai, quand De Saint-Arnaud voulant retourner surveiller les Béni-Hidja, Boumaaza encercle Orléansville.
- Le 11juin, la colonne de Cherchell, commandée par le lieutenant-colonel de Ladmirault, appuyé par la cavalerie de l’agha de Cherchell (cavalerie + 400 fantassins de Zatima) et de l’Agha des Braz Ali El-Kalay, rejoint la colonne de Ténès aux prises avec les tribus des Béni-Hidja et des Béni-Derdjine. Dans cette opération, l’Agha Boutiba de Ténès de la tribu des Béni-Houa fut tué accidentellement le 18 juin par l’armée française et fut remplacé par son neveu, le caïd des Béni-Haoua.
- 16 juin 5 heures et demi, encerclement de la population des Sinfitas, au lieu-dit « El-Bissa », prise par les Français de 4.000 têtes de bétail. Le pays était boisé, très accidenté et couvert d’habitations où les hommes sont éleveurs et arboriculteurs.
Quand le colonel songe alors à reprendre les travaux interrompus, notamment les constructions des routes et du port de Ténès, lorsque les tribus arabo-hillalienne des Ryah de la subdivision de Mostaganem s’insurgent à leur tour. La révolte devient générale pendant ce mois de juin 1845, Boumaâza réapparait, Abdelkader rentre du Maroc, les Béni-Hidja reprennent de l’insurrection dans la région de Ténès.
Bugeaud fait appel au colonel Pélissier, qui l’avait assisté dans la bataille d’Isly au Maroc, pour contenir le soulèvement de la fraction des Frachich dans la région de Mostaganem. Cette tribu des Ryah, jamais n’a été soumise du fait de la configuration de leur terrain qui leur permettait de s’engloutir dans de vastes grottes creusées dans le plâtre qu’ils leur servaient d’abri dès qu’ils se voyaient menacés. Ces excavations sont connues aujourd’hui sous l’appellation « Des grottes du Dahra ».

Il y a eu deux grottes historiques ou deux « groupes de grottes ». La plus connue était bien celle des Frachich ou Necmaria dite « la rivière de la grotte » et encore « le pont » ; elle se situait dans la commune de Cassaigne sur la feuille n° 80 de l’ancienne carte d’Algérie au 50.000e. Celle qui portait le nom de l’Oued-el-Khamis ; tout en bas de la carte, à gauche, et sur la rive gauche de l’Oued-Zérifa, on trouvera en tout petits caractères la mention : «grottes». Ces grottes-là, les villages de Renault et Cassaigne étaient à cinquante kilomètres ; on passait par Cassaigne qui était la commune dont Necmaria dépendait à l’époque.


Grotte de Necmaria

Serrée de très près par la colonne de la subdivision de Mostaganem que commandait le colonel Pélissier, la tribu des Frachich courut à son refuge habituel. Pélissier eut de la peine à le retrouver jusqu’à ce qu’il fût guidé jusqu’à la position des issues. Il fit cerner la grotte, et par son ordre, on plaça devant l’entrée des fagots de bois enflammés pour menacer d’asphyxie toutes les familles enfouies. Un millier de personnes environ, avec du bétail et des bagages, s’y trouvait lorsque Pélissier en fit le siège à deux jours du soltice de l’été, le 19 juin 1845. Il leur fit lancer des lettres par lesquelles les engageait à se rendre, leur promettant la vie et la liberté, et s’engageant même à leur rendre leurs armes et leurs chevaux. Ils refusèrent d’abord et acceptèrent ensuite, mais à condition que la colonne s’éloignerait. Cette prétention fut jugée inadmissible ; un parlementaire français fut alors envoyé à l’entrée des grottes où il fut accueilli à coups de fusil. A bout de patience et croyant nécessaire d’infliger une leçon terrible aux refugiés, des fascines enflammées leur furent encore jetées, on entendit alors un grand tumulte au fond des cavernes.

Pélissier, dans l’une de ses lettres, a écrit : « Depuis hier, les survivants ont toute liberté pour retirer les effets épargnés par le feu, et pour enlever les cadavres de leurs frères« . Dès que le but militaire fut atteint, il envoya ses soldats au secours des victimes qui séparent les vivants des morts, il en sauva de la sorte une centaine. Les correspondants étrangers pouvaient constater de près autant qu’ils voulurent.

pelissier
Pelissier au grade de maréchal

Huit jours après, dans les journaux de France et d’Europe, l’explosion se produisait ; La presse fut très vive : « Œuvres de cannibales… acte infâme qui souille notre histoire militaire et qui tache notre drapeau ». Il y eut une interpellation à la chambre des pairs, et l’interpellateur fut Charles-Louis-Napoléon, le futur Napoléon III. Ce parlement fut à la fois faux et violent « … Un acte de cruauté, inexplicable, inqualifiable, à l’égard de malheureux Arabes prisonniers… un meurtre consommé avec préméditation sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense ». Article de M. Busquet dans la revue africaine de 1907, p. 125.

L’erreur de Pélissier, pour les officiers d’Algérie, ç’avait été le sauvetage des victimes enclavées. C’est cette leçon qui ne fut pas perdue pour De Saint-Arnaud dont il sera parlé plus loin dans l’enfumade de la grotte des Sbéha dans la subdivision d’Orélasnville. Pélissier avait été abandonné par le Chambres, Bugeaud l’avait sauvé tout juste par des répliques aux critiques, il se fâcha dans une lettre adressée au ministre de la guerre Soult, et lui rappela que l’armée se recrutait dans le civil : « Parce que nous avons un habit militaire, nous n’avons pas répudié tout sentiment d’humanité et de pitié. Nos cœurs sont faits comme ceux des citoyens de France, ni plus ni moins ; nous faisons beaucoup de philanthropie sans nous en vanter…, les Arabes savent fort bien le proclamer ». Dans une autre lettre, il lui fait observer (à Soult) que : « La population entière des villes de guerre en Europe supporte le bombardement et la famine ».

bugeaud

Le maréchal Bugeaud par Daumier

L’affaire du Dahra ne retarda pas, d’ailleurs, l’avancement de Pélissier : Il fut nommé général l’année suivante ; deux années après, il prend le commandement de la division d’Oran ; puis devenu inspecteur général de l’infanterie. Le 24 novembre 1860, à la suppression du ministère spécial de l’Algérie, Pélissier(Amable Jean-Jacques), duc de Malakoff, fut nommé gouverneur général par Napoléon III, haute fonction qu’il a occupée jusqu’à sa mort en 1864.

Au mois d’août suivant, chez la tribu des Sbéhas, une deuxième catastrophe se préparait. Des circonstances analogues vont se présenter pour De Saint-Arnaud dans le territoire de sa subdivision. Pendant que Pélissier assiégeait sa grotte, l’autre était non loin de lui, car les deux épisodes faisaient partie de la même campagne et dans la même province (Oran). Il y eut moins de deux mois entre elles, et moins de cent kilomètres entre les deux grottes qui étaient fraternellement semblables. Et alors dans ce mois de juillet 1845, il voyait s’approcher la redoutable éventualité du siège de la grotte des Sbéhas où il lui faudra braver tous les dangers de la presse par une récidive, car il tenait beaucoup à sa carrière que son collègue (Pélissier) lui avait failli briser.
Cependant, dans une lettre adressée à son frère Saint-Hilaire, capitaine du génie à Alger, dans laquelle De saint-Arnaud soutenait Pélissier dans sa triste aventure : « Il ne pouvait agir autrement qu’il n’avait fait, et qu’à sa place j’aurai, malgré ses répugnances, tenu la même conduite ». D’autre part, il lui dit aussi : « J’agirai en militaire, et je ferai essuyer à l’ennemi le plus de pertes possibles pour m’en épargner à moi-même ; mes soldats avant tout ».

De Saint-Arnaud n’allait pas tarder à passer à l’action quant il écrit au début d’août à son frère : « Je suis peut-être appelé à me trouver dans huit jours dans une position identique ». Il se rendra, par la suite, à Rabelais situé à 5 kilomètres de la grotte des Sbéhas.


Caverne des Sbéhas

Celle-ci est bien différente de la grotte de Necmaria. Là aussi la grotte est le lit d’un cours d’eau, mais entièrement souterrain qui ne communique à l’extérieur que par des puits naturels, analogues aux regards verticaux d’un égout. A Necmaria, en amont comme en aval, on entre de plain-pied. Par contre aux Sbéhas les deux regards étaient le seul lien avec le monde extérieur ; tous deux de diamètres insignifiants. De Saint-Arnaud poussait sa reconnaissance ou plutôt cavernes comme il les appelait. Il raconte à son frère : « Le 8, Nous sommes reçus à coup de fusils, et j’ai été si surpris que j’ai salué respectueusement quelques balles, ce qui n’était pas mon habitude. Le soir même, investissement par le 53e sous le feu ennemi, un seul homme blessé, mesures bien prises ». Le 9, commencent des travaux de siège, blocus, mines, pétards, sommations, instances, prières de sortir et de se rendre. Réponses : injures, blasphèmes, coups de fusil, feu allumé. Le 10,11 mêmes répétitions, etc.… ».
Le 12 août, De Saint-Arnauld s’en prend définitivement aux Sbéhas à la manière de Pélissier. Cependant, après l’enfumade, lui, il a bouché hermétiquement les issues et s’en va définitivement. L’erreur de Pélissier c’a été le sauvetage, et lui reproche « d’avoir fait trop de bruit autour » mais de Saint-Arnaud s’en garde bien et a fait le possible pour qu’aucune personne ne s’échappât. On sait bien le mot de Charles IX (fils de Catherine de Médicis et d’Henri II) au massacre de la Saint-Barthélemy dans la nuit du 23 au 24 août 1572 : « Tuez-les tous (3.000 protestants à la fois), qu’il n’en survive aucun pour me reprocher le massacre« . Au bivouac d’Aïn-Mrane qui arrose le village de Rabelais, De Saint-Arnaud écrit le 15 août à son frère : « Alors, (le 12), je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes ; personne… que moi ne sait qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus de Français »

Canrobert, commandant du cercle de Ténès, alors lieutenant-colonel, est cité dans cette lettre comme collaborateur dans la campagne contre les Sbéhas. Dans une autre lettre, il l’appelle : « Mon ami intime et mon lieutenant de choix… Mieux que personne il pourra te dire ce que nous avons fait« .
Après son départ tout a repris bien vite l’aspect ancien. Pourtant qu’un événement aussi considérable n’ait laissé aucune espèce de trace dans l’histoire, c’est exceptionnel. Le tribunal de l’histoite est comme les autres, il juge sur des pièces. Dans l’affaire des Sbéhas toutes les pièces du procès ont disparu, il reste cependant des dépositions orales des autochtones qui corroborent l’excatitude des faits. Voici ce qu’ils ont au professeur Gautier en 1913 : « Après avoir quitté les grottes, la colonne s’est retiré à Aïn-Mrane et y est restée douze jours« . Ils lui affirment que pendant douze jours la peur de la colonne toute proche a empêché leurs pères d’essayer un sauvetage. En tout cas, les Sbéhas débouchèrent leurs puits ; dans les cavernes, une minorité d’emmurés vivait encore ; un vieux rescapé octogénaire, dont on a montré au professeur la maison, était de ceux-là, et bien entendu il était tout enfant lors du drame. Il disait : « Les Sbéhas emmurés avaient des vivres, ils pouvaient boire dans les flaques d’eau de leur oued souterrain, à condition, de soulever les cadavres pour arriver à l’eau ». A cela, restait le danger imminent d’asphyxie. On disait que les rares rescapés étaient étourdis et chancelants, ce qui se croit aisément. Ceux qui survécurent, étaient dans la partie amont de la grotte. La grande majorité des enfouis était serrée dans la partie accessible de la caverne, c’est-à-dire, dans la partie de la galerie horizontale d’aval. C’est justement là que tous les gaz délétères (C.O. et C.O2), entraînés par leur poids, ont séjourné, et c’est là justement où se concentraient les cadavres.


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