Youcef Merahi[email protected]/* */Aujourd'hui, il sera encore question de boustifaille, au point où je ne sais plus s'il faut vivre pour manger ou manger pour vivre. Les pénuries me font atrocement peur. Je ne veux pas revivre celles des années quatre-vingt. Qui s'en rappelle ' Il a fallu introniser un PAP à la tête du pays pour que les Aswak el fellah (ah, ces chers aswak ! ils nous manquent terriblement) regorgent de victuailles. Du fromage, vous en voulez ' Il n'y a qu'à en importer de la Hollande. Des frigos, vous en voulez ' Il n'y a qu'à en importer du Brésil. Au fait, que devient l'Eniem, notre fleuron de l'industrie ' C'était des moments gargantuesques de boustifaille, au point où l'Algérien faisait la moue devant un bon gruyère. Des voitures, vous en voulez ' Allez, vous ouvrez droit à une AIV. Oups, direction la régie Renault à Paris ! Hop, nous voilà au volant d'une voiture flambant neuve. Euphorisante cette époque, comme pas possible ! Ce qui a poussé Tahar Djaout à écrire que l'Algérie s'est transformée en un immense œsophage. Voyons voir ! Nous sommes toujours un immense œsophage. Merci Tahar, rien n'a changé. Ou presque. Il y a qu'à voir ma ville natale, en ce moment. Entre deux chawarmistes, il y a un chawarmiste. Le rouet à viande tourne, tourne, tourne, à donner le tournis à l'estomac le plus robuste (pas le mien, en tous les cas). Puis, entre deux boutiques de prêt-à-porter, il y a une boutique de prêt-à-porter. De la confection turque, en veux-tu, en voilà . Sinon, il y a la chinoise. Pour les nostalgiques de la marque, il reste la friperie. Puis, il faut voir ces enseignes qui indiquent la friperie de luxe. Et de la solde, a gma ! Il y a comme des contresens qui flottent dans l'air pollué de ma ville. Si vous avez le toupet de chercher une librairie, je dis bien librairie, pas buraliste, il faut raser les murs ; car le livre est une denrée suspecte de subversion. Tiens, cachez-moi ce livre que je ne saurais voir ; Tartuffe ne désavouera point cet emprunt ; et combien de tartufferie dans ces commerces ! La Sonitex est une vieille histoire ; elle aura sonné bien des années, pour voir sa voix s'enrouer et s'éteindre dans un silence assourdissant. Du reste, nos sociétés ont fini de sonner depuis que notre industrie produit de l'importation. Ah le rêve des industries industrialisantes !Ce qui provoque, en moi, ce préambule, un peu long, je le concède, est cette information donnée à la Une d'un quotidien national : «L'importation de bananes va reprendre». En voilà une nouvelle qui est bonne, comme dirait un ami friand de mots croisés. J'ai eu peur quelques semaines durant. Ne plus manger de bananes mouchetées est une torture ! Maintenant, je suis rassuré, tout à fait rassuré. Je peux enfin m'offrir mon dessert préféré. Chacun a la gourmandise qui lui va.Pour moi, c'est la banane. Et pour mon malheur, elle vient de loin ! Merci Monsieur le Ministre du Commerce, par intérim ! La petite voix vient toquer à mon oreille gauche ; tu ne mangeras pas, à longueur de table, de la banane au dessert ; tu oublies, le plaisir est dans le changement ; l'orange est à 150 dinars le kilo ; pas l'orange, la pulpeuse ! Non, l'orange moyenne qui n'est même pas lavée ; puis, c'est une orange algérienne ; alors, tu en penses quoi ' Je pense que chacun assume le dessert de son choix !Maintenant, je laisse l'œsophage de côté, parlons culture. Nous célébrons le centenaire de la naissance d'un éminent écrivain, en l'occurrence Mouloud Mammeri. La Direction de la culture de ma chère ville le commémore également ; ce qui est une excellente chose. En plus des sempiternelles conférences sur la vie et l'œuvre de notre savant, il a été décidé (tenez-vous bien !) d'organiser un circuit cycliste à la mémoire de Mouloud Mammeri. Au début, je croyais qu'il s'agissait d'une coquille. Ou d'une farce. Le premier avril est encore loin, me semble-t-il. L'information est bel et bien vraie. Un circuit cycliste a été organisé, en chassé-croisé, pour honorer la mémoire de la lumière du Printemps berbère. Un circuit cycliste ! Rien que ça ! Je n'ai rien contre le cyclisme, sincèrement. Ni contre aucun sport, en général. Mais je suis contre des idées saugrenues, comme celle-ci. J'aurais aimé voir les œuvres de Dda Lmulud traduites vers tamazight, lui qui a porté cette dimension identitaire à bout de bras, en anachorète accompli. En fait, on a arrondi la table et on a pédalé d'Ath Yenni à Tizi. Et voilà , le tour est joué ! Franchement, j'applaudis à me rompre les mains. Du cyclisme culturel, il fallait oser. Bravo, c'est fait à Tizi-Ouzou. Je fais la fine bouche. Il est question de culture qu'on rabaisse à un coup de pédale. Peut-être que la prochaine fois, on organisera un concours de belote. Ou un concours de pêche au barrage de Taksebt. Un prix Mouloud Mammeri du meilleur roman. Ou de la meilleure recherche en et sur tamazight”? Mais pas un circuit cycliste !J'aurais dû persister dans mon introspection œsophagique, le mal aurait été moindre. Parler de banane ne m'engage en rien. Ou d'orange de Boufarik. Au fait, y a-t-il encore de l'orange à la Mitidja ' Voilà les questions essentielles du ventre ! Ne dit-on pas, du côté de chez nous, «quand le ventre est rassasié, la tête se met à chantonner». Mais quand la culture fait défaut, la société est décérébrée. C'est ce qui se passe, en ce moment, en Algérie.
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Posté Le : 01/03/2017
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Y ”ˆM
Source : www.lesoirdalgerie.com