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Tendances



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Youcef Merahi[email protected] /* */La poésie offre à ses hérauts la possibilité extensible de sortir de leur prison charnelle pour aller vers un ailleurs inconnu du commun des mortels. Elle leur ouvre une voie royale pour ce faire. Avec des mots simples, des mots de tous les jours, sublimés par le souffle poétique, comme dans une transe, le poète détermine sa souffrance, la limite dans la mesure du possible, tente de comprendre son inadéquation, intime à la main de griffonner ses tourments, appelle l'arrêt du cri, supplie l'Autre de le voir, juste d'apprécier l'instant fugace du regard la présence du démiurge. Djamel Amrani, le plus authentique de nos poètes, oublié s'il en est par la corporation, a – dans «aussi loin que mes regards se portent”?» –, ce recueil des années 1970 qui constitue, à mon sens, le summum de son œuvre et de son inspiration, ratissé la totalité des recoins de son être pour mythifier une douleur qu'il portait comme un étendard. Touché dans sa chair et son âme, Djamel a su rebondir pour falsifier la réalité oppressante dans une œuvre poétique généreuse, à portée de main, humaine, franche et désintéressée. Laissons dire le poète : «Je tisse mon propre suaire et referme mon tombeau/Ah ! L'arème que personne n'exhale : ma mort lente/Et l'évidence que tout le monde nie : ma présence/J'écris pour me parfaire pour me désaltérer.» Etancher sa soif inextinguible dans une poésie salvatrice, seule confidente possible, après que le poète eut porté la douleur des années durant, juste pour affirmer la totalité du poème qui doit, en principe, ordonner la paix de l'âme, si celle-ci est possible.Abdelmadjid Kaouah, un autre poète qui n'arrête pas de titiller la muse pour lui arracher des bribes de soupirs comme accompagnement à son esseulement, dans L'ombre du livre, nous offre des ponctuations poétiques qui viennent narguer notre sens de la réalité. D'un point, apparemment sans importance, Madjid tisse l'instant que le commun des hommes ne gère pas du tout ; cet instant que d'aucuns ne ressentent de toutes les manières ; cet instant –éclair de la vie, une vie éphémère, que d'aucuns rejettent d'une pichenette, car indésirable ou sans importance ; cet instant évanescent que d'aucuns sortent comme une justification à un ennui immémorial. Laissons dire le poète : «Aux cafés attablés/Les hommes sirotent leur usure/A leurs pieds/Les saisons apprivoisées/Picorent les blasphèmes.» Ou encore : «Le temps creuse sa présence/Contre la touffeur des oiseaux/J'ouvre le jour mon jour/Dehors il gèle/Le cri du loup/Nos poings rêvent de poèmes/Salut camarade des distances/Nous nous étions fixé rendez-vous/Je suis à l'heure.» Je voudrais dire à Djamel Amrani, par-delà la mort, et à Abdelmadjid Kaouah, par-delà la distance, que vos vers accompagnent toujours mes pas, souvent dans une dérision quotidienne grise, parfois, dans un soliloque tragique. Car, malheureusement, le temps nous pousse irrémédiablement vers une sortie incertaine. Alors, que vive la poésie !Habib Tengour, dans un texte ouvrant la réédition de Le vieux de la montagne qui n'est pas une préface mais un cri du cœur, fait le lien entre tous ceux qui tentent l'aventure de l'écriture, surtout ceux des nôtres. Celui qui mêle prose et poésie, poésie et prose, dans un entrelacs judicieusement combiné pour parfaire la forme et contrôler le fond, Habib Tengour, donc, fait un constat d'abord politique, avant d'entamer le poème dans une hyperbole historique. Il n'est plus contemplatif, même si le besoin s'en ressent ; il est dans le diagnostic d'une société «résolument hors du coup», car elle préfère «l'insouciance de ceux qui ignorent, cela (la) tranquillise». Un peuple-autruche, autrement dit ! Belle comparaison. Réaliste. Idoine. Le poète, ici, se fait juge. Il tranche. Par le geste du chirurgien, il oblige le mal à ne pas s'infecter ; il le détecte, l'analyse et coupe dans le vif. Cette fois, le poète ne se met pas en retrait pour porter, comme un orphelin, ses soupirs dans une gibecière de la retenue. Non, il est poète dans la masse, un peu à la manière d'un Jean Sénac. Il porte en lui les germes de la contestation, de la remise en cause et de la dénonciation.Le poème dispose-t-il d'un porte-voix ' Je ne le pense pas. Tengour en fait le constat amer : «”? Cela ne nous empêche pas de faire des enfants, les rues peuvent contenir tout le monde.» Une grève de la procréation, il fallait y penser, à celle-là ' Ecoutons le poète : «J'ai une haine particulière pour cette remarque : “toi, tu cherches trop à comprendre !”/Le drame est que nous n'osons pas comprendre ce qui nous arrive/La poésie n'est certainement pas la voie unique mais c'est la seule issue à mon sens/Nous aurons peut-être l'occasion d'en reparler.»En effet, il n'y a pas que la poésie qui donne un sens à la société. A la vie. A soi-même. A autrui. Il y a la politique, cette invention humaine, comme beaucoup d'autres, qui vient mêler le vrai du faux, le mensonge et la fuite en avant, la caresse dans le sens du poil, la conjecture sans lendemain, la flatterie et la traîtrise, le sourire carnassier et les coups de dent insoupçonnés, l'immoralité et les serments parjurés. Et le poète, sans le vouloir, fait des incursions dans ce dédale qu'est la politique ; même s'il s'égare dans cette gestuelle labyrinthique, il arrive tout de même à laisser un message, souvent codé, pour le regard de l'avenir. Il invoque l'Espoir et la Foi pour intimer au politique le rapport de la vie et de la mort : «J'apporte ce qui manque à la vie/Des mots pour justifier le chantre/Arracher la rose à l'ortie/Le brouillard aux ténèbres/Mettez la haine sous le boisseau/J'ai foi au-dedans et au-dehors/Je prononce des mots/Etre vivant et le savoir.» (Djamel Amrani).Une conclusion est-elle possible ' Non ! Autrement, cela signifierait la mort définitive de la poésie. Or, celle-ci est aussi têtue que la vie, marathonienne dans le geste, fugace comme le sourire et envoûtante comme l'amour.




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