Algérie

Temps durs pour les boulangers



Les artisans boulangers portaient seuls le fardeau d’une paix sociale qui ne tenait qu’à un fil ou plutôt à une baguette de pain à 7,5 DA. Mais l’étau se resserre autour de ces derniers avec la cherté de la main-d’œuvre accentuée par la dernière hausse du Salaire national minimum garanti (SNMG) et l’augmentation des prix des intrants. A cela s’ajoutent des coupures d’électricité récurrentes qui font perdre jusqu’à 7500 DA au boulanger si elle dure plus de 45 minutes, selon le président de l’Union nationale des boulangers (UGCAA). Face à toutes ces contraintes, de nombreux boulangers ont mis la clé sous le paillasson ou se sont convertis à d’autres activités plus rentables et moins contraignantes. Entre 2000 et 2011, plus de 3000 boulangers ont fermé boutique. Les autres font preuve d’une certaine témérité, mais ils ne sont pas loin du découragement. «C’est mon père qui me soutient financièrement autrement j’aurais fermé depuis longtemps», témoigne ainsi Saïd Kebiri, issu d’une famille où l’on est boulanger de père en fils. «Le magasin continue à être ouvert grâce à la volonté de Dieu», note ce propriétaire de la boulangerie Al Amane, située dans le quartier populaire de Belouizdad (ex-Belcourt, Alger), en levant les mains jointes vers le ciel. «Je ne me retrouve plus avec les frais de location, l’électricité, les impôts, les ouvriers et les matières premières. La facture d’électricité dépasse les 30 000DA. Celle de l’eau est de 8000 DA. Je n’ai pas payé mes ouvriers depuis trois semaines», raconte-t-il, dépité. Un métier honni Les coupures d’électricité risquent, poursuit-il, de lui porter le coup de grâce. «J’ai eu un moteur en panne suite à une coupure d’électricité. Entre les pertes du pain et les réparations, j’ai perdu plus de 14 millions de centimes. J’ai travaillé à perte ce mois- là. A Sonelgaz, ils nous font courir et nous demandent un dossier plein de paperasse. Avec mon travail, je ne peux pas me permettre de m’absenter pour constituer un tel dossier», fulmine ce boulanger. «Il m’arrive de ne pas avoir de marge bénéficiaire voire de travailler à perte», relève Saïd qui garde le sourire et sa franche bonhomie. «Je n’ai pas une usine de Rebrab», s’exclame-t-il encore. «Mon père avait une boulangerie durant les années 80. C’était une activité très rentable et nous étions une famille aisée. Maintenant, c’est vraiment un métier à problèmes», relate-t-il nostalgique avant de se lancer dans une envolée lyrique : «Avant,  le boulanger était comme une rose. Maintenant il est comme une épine». Un autre boulanger rencontré dans le même quartier se montre beaucoup moins poétique. «Le métier de boulanger est de plus en plus difficile financièrement à cause de plusieurs facteurs : la masse salariale, les prix des matières premières et  l’électricité et le gaz qui ont augmenté. On n’arrive pas à s’en sortir à cause des prix. La baguette n’est pas rentable. Si je ne faisais pas autre chose à côté, cela ferait longtemps que j’aurais fermé», souligne ainsi ce boulanger qui a ouvert une grande boulangerie grâce au dispositif de l’Agence nationale  de soutien à l’emploi de jeunes (Ansej). Cette échoppe emploie 15 ouvriers. Le fait que le prix soit administré nuit beaucoup à la profession, estime-t-il. «La marge bénéficiaire est de plus en plus réduite, alors que le prix administré depuis 1996 n’a pas changé. Il devient nécessaire d’augmenter les prix pour pouvoir faire face aux charges, explique-t-il. «Le problème c’est que c’est seulement la farine qui est subventionnée. Si c’était la baguette de pain, on pourrait mieux gérer. Par exemple, si on arrivait à avoir 2,5DA sur 7,5DA, on pourrait souffler. Donc, soit le gouvernement nous aide, soit il augmente le prix de la baguette», ajoute-t-il au milieu du brouhaha provoqué par les échanges entre acheteurs et vendeurs et le va-et-vient de ces derniers. Il évoque également la difficulté de trouver des personnes qualifiées. «C’est difficile de trouver des ouvriers. Les gens de métier sont de plus en plus rares, car l’activité n’est pas rentable et cela se reflète sur les salaires. Les centres de formation professionnelle nous envoient souvent des apprentis pâtissiers, mais jamais d’apprentis boulangers», signale-t-il. Il confie ne pas vouloir faire de vieux os dans ce métier décidément honni. «Je pense changer d’activité à l’avenir dès que j’aurais terminé de rembourser la banque», dit-il dans un souffle. Affirmer que les boulangers sont dans le pétrin ou encore roulés dans la farine est, donc, peu dire.                             


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