Algérie

Témoignage : Garder dix hommes plutôt qu'une femme



Témoignage : Garder dix hommes plutôt qu'une femme
En 1957, la militante Jacqueline Guerroudj (1) avait 38 ans et était en détention préventive à  la prison de Barberousse à  Alger. Presque chaque jour, elle et les autres militantes détenues, assistaient au départ vers la guillotine de leurs frères de combat. Et, pour atténuer la rage impuissante qui les étouffait, elles décidèrent de continuer leur combat au sein même de la prison.« … pour nous, l'horreur indicible, c'était les exécutions. A l'aube, on venait extraire de leurs cellules un, deux ou trois frères, parfois plus, et là, froidement, on leur tranchait la tête. Ils étaient vraiment nos frères, souvent on les connaissait, on avait lutté avec eux dans le danger… Il s étaient les meilleurs, les plus totalement engagés. Et la pire torture était notre impuissance : tout se passait là, à  quelques mètres… et nous n'y pouvions rien… rien. Accrochées aux barreaux, nous clamions notre rage et notre douleur, pour accompagner cette part de nous-mêmes qui allait au supplice, pour que notre frère nous entende, pour qu'il ne se sente pas seul. Nos cris et nos chants alertaient La Casbah… et les familles trouvaient les noms des martyrs épinglés sur la porte de la prison.Notre révolte profonde, notre rage impuissante, il nous fallait l'exprimer brutalement. Nous ne pouvions pas. Nous ne voulions pas la contenir.Nos voix étaient puissantes et le scandale sortait de la prison. Nos manifestations dans les dortoirs qui se prolongeaient bien au-delà de l'exécution, nous valaient parfois l'intervention des C.R.S, venant au secours des gardiens. On les bombardait à  travers les grilles avec des gamelles, des quarts, des chaussures… jusqu'à ce que le surveillant-chef leur ouvre la porte et qu'ils foncent à  l'intérieur de notre dortoir pour nous tabasser. La répression qui s'exerçait contre les hommes était encore plus constante et plus violente. Ils étaient esquintés de coups et on les mettait au cachot.Etant en prévention (pas encore jugées), nous étions relativement protégées par la crainte de l'opinion internationale. Le meilleur moyen de pression était donc d'informer l'extérieur : familles, avocats, opinion publique. Il fallait continuer la lutte, refuser qu'elle s'arrête aux portes de la prison, et la bagarre contre l'administration était vécue comme une forme de lutte à  notre portée. L'objectif pouvait aussi àªtre une revendication matérielle concernant la gamelle, les douches, l'hygiène, etc. et les moyens variés, depuis le simple refus d'obéissance (refus de rentrer ou de sortir de cellule ou du dortoir, refus de sortir de la douche ou de la cour, etc.), la bagarre physique avec les gardiens ou les C.R.S, jusqu'aux grèves de la faim, qui pouvaient durer vingt-quatre heures ou àªtre illimitées (notre plafond a été de dix-neuf jours). Nous étions très combatives, et tous les directeurs de prisons disaient qu'ils préféraient garder dix hommes plutôt qu'une seule femme.* (1) Jacqueline Guerroudj. Des douars et des prisons. Alger. Bouchène. 1993.


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