Algérie

Témoignage d'un moudjahid de Médéa



En cette date symbole du 20 Août, j'ai demandé à mon père, qui a aujourd'hui 90 ans, de me livrer un petit témoignage sur sa participation à notre glorieuse révolution, lui qui avait été incarcéré et torturé à Médéa en 1959. Il dit que chaque trace laissée sur son dos par la cravache des soldats français témoigne de l'atrocité des supplices et des tortures subis par les Algériens dans leur combat pour libérer leur cher pays.Je n'ai pas posé de question, « juste appuyé sur le bouton play » et la machine à souvenirs s'est mise à fonctionner ; mon père a dit :
..... «nous sommes le 14 avril 1959, dans le quartier Nador au centre-ville de Médéa où nous habitions, mon père Hadj Mohamed Bendali Braham dit ''Mabelle'' se trouvait depuis plusieurs semaines dans la prison de Damiette où il avait été incarcéré par l'armée française et torturé sauvagement malgré son âge avancé. Ce jour-là, une voiture de l'armée française est venue se garer devant la maison. On frappe à la porte, c'est ''Mongueche'' ! Un Arabe engagé volontaire dans l'armée française. C'était un indicateur. Il se présenta sous un tout autre visage, bizarrement gentil, sous prétexte que mon père très affaibli avait besoin de nourriture et qu'il fallait préparer quelque chose tout de suite. Lorsque je suis allé porter le couffin, Mongueche m'assigna sèchement : ''monte dans la voiture''. J'ai laissé la porte de la maison ouverte... J'ai été conduit dans une sorte d'appartement à proximité de Hammam-Essour. Un endroit sombre qui glaçait le sang. On y entendait des geignements, des cris de douleur. À ce moment, j'ai compris que c'était un lieu de torture. J'ai été complètement dévêtu dans une salle ''achalandée'' de machines à torturer. Mon c?ur s'est mis à battre la chamade lorsque j'ai vu tous ces corps en sang, lacérés par les nerfs de b?uf (cravache), suspendus par les pieds , tête en bas en train de subir les pires supplices de la ''gégène'', un terme de l'argot militaire français pour désigner un procédé de torture à l'électricité utilisé dans les interrogatoires. Comme eux, j'en ai eu ma part, les tortionnaires avaient un faible pour les parties intimes. Il faut dire que la douleur est intenable au point de causer la mort chez certains. Les soldats français posaient des dizaines de questions qu'ils répétaient sans se lasser. Pour ma part, on me questionnait sur la nature de ma contribution avec les moudjahidine: nos lieux de rencontre, les noms des responsables, etc. En fait, j'était chargé d'approvisionner les frères ''el khawa'' en médicaments. Je devais réceptionner la commande, me débrouiller pour acheter les médicaments, pansements et autres. Il faut dire que la tâche était loin d'être facile. On sollicitait quelquefois des enfants pour aller dans les officines. Des enfants responsables malgré leur jeune âge et qui avaient déjà tout compris : c'étaient les petits moudjahidine.
Moitié mort, moitié vivant, dans cette salle de la mort, je percevais la voix de Mongueche qui parlait parfois en arabe pour tenter de délier des langues mais en vain.... Plus tard, dans la soirée, j'ai eu droit à un autre type de torture ; poings et pieds liés, on est plongé jusqu'à la suffocation dans une baignoire remplie d'une eau sale et rougie par le sang des torturés, au fond de cette eau, on voyait des dentiers échappés des bouches des suppliciés au moment où ses derniers criaient leur douleur. Tard dans la nuit, on m'a jeté comme un vulgaire sac à ordures dans une sorte de vestibule. J'ai reconnu certaines personnes ''ouled labled'' enfermées dans des cellules individuelles avec lesquelles on pouvait communiquer par des petits trous dans le bois des portes . L'un d'eux me glissa un bout de cigarette allumée, la sienne sans doute, j'ai pris une ou deux ''taffes''. Au petit matin du 15 avril, on entendit retentir le son strident de la sirène qui, généralement, annonce un événement grave:des informations ont filtré, Mongueche a été abattu ! On est venu nous dire que nous allions tous y passer ! La personne qui a procédé à la liquidation de Mongueche l'aurait appréhendé à l'entrée de son domicile situé à côté d'un magasin de vannerie. Son propriétaire, le chahid Hacène Khellil-Chorfi, qui a nié avoir vu la scène, a tout de suite été arrêté, puis.... Ce n'est que tard dans la nuit qu'il a été amené dans ce couloir où moi-même je me trouvais, complètement dévêtu, le corps ruisselant de sang. Il avait froid et souffrait beaucoup . Un des prisonniers enleva sa kachabia avec laquelle nous avons couvert Hacène, agonisant. Je l'ai pris dans mes bras, il balbutiait : ''Mohamed wladi (mes enfants) wladi (mes enfants) amana (prends-en soin). Il n'a pas eu le temps de mourir et voilà que les tortionnaires étaient revenus pour lui ligoter les pieds et le traîner visage au sol vers une destination inconnue... Il s'en est allé répétant la Chahada. Nous n'avons pas attendu la nouvelle de sa mort, il était déjà mort en héros.»
Suite à cela, mon père a été incarcéré une année à la prison de Damiette puis à Sidi-Chahmi à Oran . Une fois libéré, il a été interdit de séjour à Médéa jusqu'à l'indépendance.
«Vois-tu ma fille, dira-t-il, ces traces de tortures sur mon dos, il y en a beaucoup et elles sont indélébiles, c'est autant de souvenirs et de preuves pour que la mémoire de notre peuple et celle des peuples opprimés restent vivantes. C'est le sceau de la gloire. Si c'était à refaire et si vieillesse pouvait je referais la même chose.» «Ecris ma fille, que ce n'est là qu'un petit épisode des sacrifices que les Algériens ont consentis pour recouvrer leur liberté et leur dignité. Le flambeau est aujourd'hui entre les mains de notre jeunesse à laquelle je souhaite beaucoup de courage pour supporter le poids d'une si grande responsabilité mais j'ai confiance en eux! Vive l'Algérie !»
M. L.


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