Algérie

Témoignage accablant du commandant de bord du vol 5600



Témoignage accablant du commandant de bord du vol 5600
Si c'était à refaire, je le referai sans aucune hésitation?» Cette phrase est du commandant du vol 5600 d'Air Algérie, Morad Aomraoui, qui a mené avec brio l'opération de rapatriement de 160 Maghrébins de l'aéroport de Sanaa, au Yémen, vers l'Algérie. Sans aucune hésitation, il est revenu sur les circonstances de ce voyage, qu'il dit «très particulier».«Lorsque j'ai été désigné pour ce vol, je n'avais pas senti de danger ou de risque possible. Pour moi, c'était une opération humanitaire qui allait permettre de sauver nos compatriotes», dit-il. «C'était, précise-t-il, le sentiment de tous les membres de l'équipage qui l'accompagnait, sur le A330.» «A mes côtés, il y avait deux autres pilotes, Diafet et Sahri, mais aussi un mécanicien, Faradji, le chef de cabine et Hamida l'hôtesse, qui a fait preuve d'un courage exceptionnel. Avant d'embarquer, nous avions obtenu toutes les autorisations de vol et de survol des pays que nous allions survoler pour atteindre l'aéroport de Sanaa.A cinq minutes de Djeddah, un appel radio de la tour de contrôle nous interdit de traverser l'espace aérien saoudien. Bien sûr, l'injonction nous étonne. Nous ne sommes pas habitués à ce genre d'interdiction. Nous précisons à nos interlocuteurs que nous avons toutes les autorisations nécessaires, mais ces derniers se montrent intransigeants. Faire demi-tour était pour nous impossible. Nous étions obligés de tourner en rond dans le ciel, en attendant le retour d'écho des responsables de la compagnie que nous avions informés. L'attente a été longue, presqu'une heure, avant que la décision de rejoindre Le Caire soit prise», raconte le commandant de bord.L'avion atterrit à l'aéroport du Caire. L'équipage est accueilli par les diplomates algériens, qui les informent que l'affaire est entre les mains des plus hautes autorités du pays. «Nous étions confiants. Nous attendions avec impatience la réponse d'Alger. Nous avons passé la nuit à l'hôtel et le lendemain, on nous informa que la mission avait été annulée. La nouvelle nous a déçus. Nous voulions vraiment accomplir cette mission. Mais quelques heures plus tard, nous recevons l'ordre de rejoindre Sanaa. Nous avons passé notre deuxième nuit au Caire. Il n'était pas question d'arriver tard dans la journée à Sanaa.Nous décollons samedi matin, avec des autorisations de survol de l'espace saoudien, obtenues pour la seconde fois après de longues tractations à un très haut niveau de l'Etat», révèle M. Aomraoui. Il reconnaît que la traversée de l'espace aérien saoudien a suscité la crainte des uns et des autres. «Nous ne savions pas pourquoi les Saoudiens nous avaient sommés de faire demi-tour, mais lorsque nous sommes passés, nous avions très peur. Notre seul contact avec eux s'est limité aux communications avec la tour de contrôle.Lorsque nous avons atteint l'espace aérien yéménite, nous n'avions pas peur de la situation qui prévalait, mais plutôt des conditions d'atterrissage qui étaient très difficiles. L'aéroport de Sanaa n'est pas équipé de moyens techniques et les conditions météorologiques étaient très mauvaises. Faire atterrir un A330 relevait de l'exploit», explique le commandant de bord.«Je ne comprenais pas l'hostilité des Saoudiens à notre égard»Mais, ajoute le commandant Aomraoui, une fois l'appareil immobilisé sur la piste, l'équipage se rend compte de la gravité de la situation dans ce pays confronté à une guerre par procuration menée par une coalition de pays arabes sous la direction de l'Arabie Saoudite et à laquelle l'Algérie a refusé de prendre part. «L'image est très forte. Elle suscite de lourdes inquiétudes. On voyait des hangars en feu, des avions bombardés, de la fumée qui s'élevait et on sentait fortement l'odeur de chair calcinée. Les alentours de l'aéroport faisaient vraiment peur. Nous sentions de l'agressivité dans les propos des agents de la tour de contrôle, gérée par les Saoudiens. Mais le plus important était d'embarquer tous ces Algériens qui nous attendaient avec impatience», souligne notre interlocuteur.Celui-ci ne comprend pas l'hostilité des Saoudiens à l'égard des Algériens. «Ils assuraient le contrôle de l'espace aérien, mais aussi de l'aéroport de Sanaa. Ils faisaient pression sur les agents yéménites pour qu'ils ne nous assistent pas. D'ailleurs, ce sont les membres de l'équipage qui ont assuré l'embarquement des bagages et des passagers. Nous étions obligés d'attendre plus longtemps à cause d'un groupe d'Algériens arrivés en retard : ils venaient de très loin et ont eu des problèmes en cours de route.Les représentants de notre ambassade au Yémen nous ont beaucoup aidés», note le commandant, qui fait l'éloge des Yéménites rencontrés à l'aéroport : «Ils étaient très contents de nous voir atterrir sur le tarmac. Ils auraient voulu nous aider, mais je pense qu'ils avaient peur de le faire. Ils ont dû recevoir des instructions des Saoudiens pour ne pas nous assister. Nous avons discuté avec certains d'entre eux, qui nous sont exprimé leur solidarité. Ils nous ont dit que la veille, les bombardements n'ont pas cessé».«Nous étions pressés de repartir. Lorsque le groupe de retardataires est arrivé et après les formalités, il fallait penser au décollage avec de très mauvaises conditions de vol. Il fallait aussi mettre de côté sa peur pour s'occuper des 160 passagers et leur faire oublier ce qu'ils ont dû vivre avant d'être à bord de l'appareil.Quitter le tarmac sous les regards hostiles des Saoudiens et traverser l'espace aérien de leur pays est un exercice très difficile. La peur ne nous a pas quittés tout au long du voyage, mais au fond nous étions très contents d'avoir pu sauver nos compatriotes et ceux de nos voisins. Dans le feu de l'action, nous n'avions pas mesuré la gravité du danger. Mais après si?» souligne le commandant du vol 5600 Alger-Sanaa.Avant de conclure, il rend hommage à son «équipage qui a été à la hauteur de cette mission humanitaire», mais aussi aux représentants des ambassades d'Algérie en Egypte et au Yémen qui ont «tout fait pour que l'opération ne soit pas annulée».Pour le commandant Aomraoui, le vol a été vécu comme «une expérience inoubliable». Non seulement par lui et son équipage, mais aussi par leurs familles qui ont vécu trois jours d'angoisse dans l'attente de nouvelles.«Nos familles étaient mortes de peur à l'idée que l'appareil soit visé par un tir d'obus, surtout lorsqu'elles ont su que les autorités saoudiennes nous avaient interdit le survol de leur espace aérien et que nous l'avons traversé après les négociations avec les autorités algériennes», révèle le commandant de bord, qui conclut : «Demain je bouclerai mes 56 ans et si on me demande de refaire la même opération, je n'hésiterai pas une seule seconde. Pour moi, c'est une expérience à ne pas rater?» Le témoignage du commandant de bord démontre l'abnégation de l'équipage du vol 5600 pendant cette mission humanitaire que les autorités saoudiennes ont tenté de faire capoter.




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