Le 12 septembre
dernier, le gouvernement donnait son feu vert à l'ouverture de l'audiovisuel,
mettant fin au monopole de l'Etat sur la télévision et la radio, et par la même
occasion a un paradoxe qui aura duré 21 ans.
On ne peut que
s'interroger devant ce paradoxe qui était propre à notre exercice de démocratie
: serait-il approprié de qualifier un système politique de «démocratique» quand
ce dernier détient le monopole de la télévision ? Pourquoi le pouvoir politique
en Algérie s'obstinait à garder ce monopole de l'Etat sur «sa télé» ? Avait-on
aussi peur que cela que le peuple soit manipulé par le média de la télévision
s'il tomberait entre des mains autres que celle du pouvoir politique ? Cette
peur est-elle justifiée ? Et n'était-il pas paradoxale
qu'on fasse confiance au peuple pour élire ses représentants et institutions politiques,
le président en tête, alors que l'on a peur que ce même peuple soit manipulé
par la télévision ? C'est justement par répondre à cette dernière question
qu'on pourrait tenter d'élucider ce mystère de «démocratie algérienne».
1. Il est utile
de noter que l'idée de la démocratie – qui garantie au peuple l'exercice de sa
souveraineté- est basée sur deux acceptations qui constituent les piliers de
chaque régime démocratique : une démocratie des institutions, qui se
caractérise par la liberté du peuple à choisir ses représentants et élire ses
institutions. Cela pourrait être désigné comme l'acceptation politique de la
démocratie. Ceci d'une part. D'autre part, une deuxième acceptation est aussi
valable que la première, c'est ce que nous appellerons : «l'acceptation
communicationnelle» de la démocratie, illustrée en premier lieu par la liberté
d'expression et de pensée. Cette acceptation est également indispensable à
l'exercice de la démocratie. Si le suffrage universel représente parfaitement
l'acceptation politique de l'idée de la démocratie, on ne trouvera pas plus
illustrant à l'acceptation communicationnelle de la démocratie que le principe
de la pluralité médiatique. A commencer par le plus lourd : La télévision.
Autrement dit, il n'y guère de démocratie sans communication. Elle en est la
condition de fonctionnement.
En Algérie, c'est
un peu plus compliqué que cela. S'il est usuel de rappeler, avec chaque
occasion électorale, l'importance de l'exercice de la citoyenneté par le vote
et le suffrage universel, il n'est pas de même avec les questions d'exercice de
démocratie par le biais des médias, la télévision en tête. On ne peut que
souligner l'importance de l'expérience algérienne en matière de pluralité
médiatique de la presse écrite, comme un acquis, difficilement restituable.
Mais au même temps, l'exception que représentait la télévision (et la radio) à
cette pluralité médiatique, ne peut être qu'une source d'ambigüité
supplémentaire à cette situation, qui alimente les interprétations les plus
divergentes, mais dont chacune trouve son fondement dans une scène politico-sociale algérienne des plus intelligibles.
Mais de quoi
a-t-on si « peur » au juste ? Une certaine idée de manipulation ? Peut-être.
Pourtant ce sont les mêmes individus qui votent, qui écoutent la radio et qui
regardent la télévision. Comment d'un côté accepter l'intelligence des
citoyens, au point d'en faire la source de la légitimité démocratique à travers
le suffrage universel, et de l'autre supposer le public des médias influençable
et « idiot » ? C'est ce même individu qui est au fondement des systèmes
politiques, avec le suffrage universel, et qui est engagé dans la
communication. Il semble qu'il est temps désormais que l' « on » adopte un
discours plus cohérent !
Si le citoyen est
en mesure de distinguer les messages politiques et l'origine de la légitimité,
il l'est également face aux messages de communication. La communication est ici
inséparable du suffrage universel. N'était-elle pas « une ruse » pour éviter
que le peuple soit ‘‘manipulé'' par une éventuelle télévision indépendante des
cercles de décisions de l'Etat et des rouages du système ? N'est-elle pas
qu'une autre facette de la manipulation le fait de garder le monopole de l'Etat
sur un média aussi important que la télévisons ? Le monopole de l'Etat sur la
télévision, ne serait-il pas une sorte de manipulation préventive ? Mais avant
tout cela, est-il fondé –du moins sur un plan strictement méthodologique- de
prendre pour argent comptant cette idée de la manipulation du public par les
médias ?
2. Mais pourquoi
de tous les médias en Algérie, a-t-on persisté si longtemps pour que la
télévision soit sous le contrôle du pouvoir politique ? Pour répondre à cette
question, nous pensons qu'il est aussi intéressant de chercher la réponse sous
son angle politique que sous son aspect communicationnel, où une approche
communicationnelle des caractéristiques propres à la télévision en tant que
média s'impose d'emblée. En effet, outre les qualités d'accessibilité et de démocratisation
qu'offre le média qu'est la télévision, ce qui le rend un enjeu aussi grave et
important -par rapport à la presse écrite qui peine à se soustraire d'une
certaine image de média « lettré » à l'opposée de la télévision « populaire » -
il a cette capacité à se destiner à plusieurs sens en même temps. De plus, du
fait que la télévision est avant tout une image -du moins dans le sens commun -
elle symbolise deux aspects décisifs : la réalité et la vérité.
La réalité est,
par définition, le caractère de ce qui a une existence réelle, de ce qui existe
comme chose et non seulement comme idée, allusion, ou apparence. La télévision
n'est pas tout à fait loin de cette définition. Dans les représentations
collectives, par sa qualité d'image, elle n'offre, à priori, que la réalité,
elle transmet le réel, cela ne peut être modifié ni manipulé -toujours selon
ses représentations- comme pourrait l'être dans le média écrit ou même dans le
cinéma et la fiction. Dans la télévision, on peut presque «toucher» le réel.
Des phénomènes comme l'identification et l'empathie sont facilités par la
nature concrète de l'image télévisuelle. L'écriture n'est, quant à elle, qu'un
nième intermédiaire entre l'idée et le sujet, un deuxième signifiant dans cette
sphère de signes qui nous entoure. L'image, par contre, représente directement
la réalité. Elle ne s'y substitue pas. Elle l'est.
L'écriture, comme
média, est d'abord un symbole dans la hiérarchie des signes. C'est-à-dire le
type le plus complexe et le plus arbitraire qui nécessite une conventionalité
dans les codes et où le transfert du sens se passe assez difficilement et moins
directement de ce qui pourrait être dans le cas de l'image. D'autant que cette
dernière est animée est sonorisée dans la télévision. L'image, par contre, est
une icône, le niveau le plus «abordable» quant aux processus de décodage et le
chemin le plus court vers le sens et la vérité. On ne trouve –à priori- aucun
intermédiaire qui s'interposerait entre le message iconique de la télévision et
son destinataire. C'est pour cette raison qu'il y aurait moins de risques pour
que ce message soit manipulé. En effet, le message télévisuel est de tous les
messages médiatiques, sur le plan conceptuel, celui qui est le plus proche de
la vérité. Il est la vérité, «puisqu'on ne peut pas mentir dans la télévision»
dira-t-on. Du moins, dans un niveau strictement conceptuel loin des péripéties
du «terrain». Ces visions, archaïques et fondées sur des bases précaires et
usées dont le sens commun est la seule référence, pourraient expliquer, en
grande partie, pourquoi tenait-on autant à garder la main mise du pouvoir sur
la télévision. Tout est une question d'ère de temps et de génération ! Est-ce
qu'avec cette ouverture du champ audiovisuel, nous assistons à la fin d'une époque
? Seul l'avenir nous le dira…ou pas. En tout cas, les signes ne trompent pas.
* Département des
Sc. De l'information et de la communication, Université d'Oran
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Posté Le : 27/10/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Faycal Sahbi *
Source : www.lequotidien-oran.com