« Il y a précipitation dans les licenciements » Ancien bâtonnier , auteur de « Droit du travail » publié en 1994 et de « Rupture de la relation de travail », écrit en collaboration avec Djamel Belloula et publié en 1999, Tayeb Belloula est également auteur de plusieurs autres ouvrages de droit dont notamment « Le droit des sociétés » publié récemment par les éditions Berti. Il nous livre ici son analyse sur la législation régissant les relations de travail en Algérie. Pouvez-vous retracer pour nos lecteurs un bref historique de la législation du travail en Algérie ? Trois périodes caractérisent la législation du travail en Algérie avant la loi du 21.4.1990 : la période transitoire ayant conduit à l'application de la législation française en application de la loi du 31.12.1962 votée par l'Assemblée constituante ; l'abrogation de la loi du 31 décembre 1962 et la promulgation de l'ordonnance du 29 avril 1975 relative aux conditions générales de travail dans le secteur privé avec pour conséquence l'instauration de la justice du travail ; le Statut général du travail qui a donné naissance à la loi du 27 juin 1981 relative aux relations individuelles de travail. Tous ces textes ont été par la suite abrogés par la loi du 21 avril 1990 relative aux relations de travail en vigueur actuellement. Quels sont les fondements de la loi du 21 avril 1990 ? La loi du 21 avril 1990 relative aux relations de travail a entamé la rupture avec la législation socialiste et a ébauché une législation d'inspiration libérale. Cette loi et les modifications intervenues par la suite réalisent un équilibre entre les droits des travailleurs et leurs obligations. Le travailleur est protégé s'il accomplit correctement son travail et, en cas de faute, il peut être licencié sans préavis ni indemnité. Par contre, si le licenciement est reconnu abusif par la justice, le travailleur peut être réintégré, sauf si l'employeur ou l'employé s'oppose et dans ce cas , il a droit à une indemnisation qui se calcule sur la base de six mois, au moins, de salaire. Les juges peuvent accorder également des dommages et intérêts en cas de préjudice. Les licenciements pour compression d'effectifs constituent une cessation de la relation de travail. L'employeur est tenu de les soumettre à une négociation collective. L'employeur peut être sanctionné par des amendes s'il ne respecte pas ses obligations en matière de compression d'effectifs. Pensez-vous que le code du travail protège suffisamment le salarié ? Ou au contraire que l'on devrait procéder à une ouverture du champ d'application de l'article 73 car les employeurs seraient pieds et poings liés ? Je voudrais, en premier lieu, faire une observation qui me parait importante sur la signification de " code du travail ". Ça et là on parle de code algérien du travail, il y a une publication qui s'intitule Code du travail. Or, on ne peut pas encore parler de code du travail. Les relations de travail ne sont pas encore codifiées. Donc, pour l'instant, il est question de relations de travail, objet de la loi du 21 avril 1990, modifiée et complétée, relative aux relations de travail. S'agissant de savoir si la législation actuelle protège suffisamment ou non le salarié, je dirais tout simplement que l'actuelle législation, et la jurisprudence de la Cour suprême qui s'en est suivie, sont assez équilibrées. Le travailleur peut être licencié pour les fautes telles qu'énumérées par l'article 73 de la loi relative aux relations de travail. Il peut également être licencié pour les fautes prévues par le règlement intérieur. Il faut savoir que selon un arrêt de principe rendu le 15.12.2004 par la Cour suprême, chambre sociale, toutes sections réunies, les fautes énumérées par l'article 73 ne sont pas limitatives, celles prévues par le règlement intérieur doivent être prises en considération par les juges. Ceci répond à votre question : peut-on procéder à une ouverture du champ d'application de l'article 73. La Cour suprême l'a fait, il appartient maintenant au législateur de le prendre ou non en considération. Peut-on licencier un salarié qui n'a pas commis de faute ? L'employeur peut-il le licencier, sans payer des indemnités prévues pour les licenciements abusifs ? La législation actuelle ne prévoit pas expressément cette question, mais elle l'évoque à l'article 73-5 qui précise que " Le licenciement ouvre droit, pour le travailleur qui n'a pas commis de faute grave, à un délai-congé dont la durée minimale est fixée par les accords ou conventions collectifs " . Ainsi, le législateur, faute de légiférer plus clairement, laisse le soin aux accords ou conventions collectifs de régler cette question pourtant essentielle. La procédure de licenciement se limite à une notification écrite du licenciement et à un entretien entre l'employeur et le salarié. Ne faudrait-il pas laisser courir un temps obligatoire entre la notification du licenciement et l'entretien pour donner aux deux parties un temps de réflexion ? C'est une proposition qui me parait raisonnable et qui pourrait être prise en considération par l'avant projet de révision de la législation du travail en préparation au niveau du ministère du Travail. Est-il possible de dire qu'au vu des changements économiques connus dans notre pays, les lois sur le travail paraissent dépassées ? Qu'en pensez-vous ? Je crois que l'essentiel pour les employeurs, dans le cadre de l'économie libérale, est la possibilité qui leur est donnée de s'opposer à la réintégration d'un travailleur à son poste, même si le licenciement est abusif. Le travailleur a droit seulement à une indemnisation qui représente au minimum six mois de rémunération. Le juge peut accorder plus, mais pas moins. Il peut également accorder des dommages et intérêts. Le problème se pose au niveau de certaines décisions de justice où la tendance est de ne pas retenir la faute lorsqu'elle est suffisamment établie, se contentant dans la plupart des cas de conclure au licenciement abusif sans démonstration aucune. Cette tendance se rencontre également dans certaines décisions où les travailleurs sont déboutés sans démonstration. Les affirmations ne suffisent pas pour rendre une décision de justice. Le juge, faut-il le rappeler, est tenu de motiver ses décisions en fait et en droit. Lorsque le juge indique dans son jugement " attendu que la faute est établie, ou non établie, il est tenu d'assurer la démonstration en fait et en droit de son affirmation. Il en résulte que certaines décisions de justice révèlent une tendance à confondre le pouvoir de juger avec le pouvoir du savoir. Pensez-vous que la loi est respectée ? Il est difficile de répondre à cette question par un oui ou un non ! Tout le questionnement sur la justice réside dans cette question d'application correcte des lois. On peut affirmer que toute la réforme de la justice préconisée par le Chef de l'Etat dès 1999 vise à obtenir une meilleure application de la loi. Il y a des progrès, mais dans l'ensemble, il faut encore déployer beaucoup d'efforts pour parvenir à une amélioration des pratiques judiciaires. De par votre expérience, qu'avez-vous à dire sur la pratique du licenciement ? On peut dire qu'il y a une certaine précipitation dans les licenciements du côté des employeurs, d'où l'absence de rigueur dans l'application des procédures de licenciement. Certains employeurs décident de licencier leurs employés sans vérification réelle des faits qui leur sont reprochés. Du coté des employés, certains pensent qu'ils peuvent s'absenter ou refuser de travailler ou commettre des fautes sans risquer le licenciement. Ces confusions sont dues au manque de communication au sein de l'entreprise sur les droits et les obligations des uns et des autres. Pensez-vous qu'il faut créer une juridiction prud'homale ? Je pense qu'il ne faut pas systématiquement choisir telle ou telle législation étrangère sans prendre en considération la situation politique, sociale, économique chez nous. On doit, lorsqu'on révise des textes, prendre en considération ce qui se passe, en premier lieu, chez nos voisins et en second lieu ce qui se passe dans d'autres pays. A cela, j'ajoute que notre législation du travail est totalement d'origine algérienne et non une copie comme les codes promulgués en 1975. On peut l'améliorer mais pas introduire un système étranger qui, au demeurant, est très critiqué. Par ailleurs , la révision d'un texte demande à mon sens , des connaissances approfondies, des études, des réflexions et des débats participatifs. Il faut cesser de réviser pour réviser. Préparer un code du travail nécessite donc du temps. La législation actuelle du travail comporte des centaines de textes, dont les conventions internationales de l?Organisation internationale du travail adoptées ou ratifiées par l'Algérie. Les connexions entre ces textes sont réelles et importantes. Certes, la législation actuelle est à améliorer sur certains points. Mais cette révision peut aussi susciter des préoccupations pour les investisseurs, les employeurs et les travailleurs. Ces préoccupations peuvent ralentir certains projets, c'est pourquoi la transparence exige que les grands axes de cette révision soient précisés.
Posté Le : 19/03/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Zineb A. Maiche
Source : www.elwatan.com