Algérie

Taxis d’Aïmen LaïhemLe Tartare algérois



Taxis d’Aïmen LaïhemLe Tartare algérois
Publié le 07.11.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Sara Haidar

C’est l’une des découvertes de ce Sila 2023 : le récit Taxis, premier texte du jeune Aïmen Laïhem, paru récemment chez Barzakh. Soliloques lancinants sur les routes d’Alger, le livre offre un voyage aussi bien urbain qu’intérieur.
La destination est toujours la même : la mairie. Le moyen de transport est le même : un taxi. La ville : Alger. Le passager : un jeune contemplatif obsessionnel qui hésite entre la folie et l’ennui. Dans le récit d’Aïmen Laïhem, nous sommes embarqués pour une longue errance dont le trajet physique limité contraste avec les dédales infinis d’un cheminement intérieur.
Ecrit en saccades de phrases courtes, de dialogues absurdes et de poésies rugueuses, ce texte est un défi aux nerfs et une invitation à un naufrage savoureux : celui d’une psyché en miroir où se rencontrent les tourments d’un narrateur à moitié délirant et la névrose d’une ville freudienne. Seuls personnages extérieurs : les chauffeurs de taxi, les oiseaux et les rues.
Entre son lieu de travail et son domicile, soit un kilomètre et demi qui se parcourt en quatre minutes ou en une demi-heure, nous gravissons la montagne algéroise, devenue allégorie du Tartare sisyphique du narrateur. Mais au-delà d’un récit banal sur les «vraies gens» et les rencontres souvent passionnantes faites à bord de ces véhicules chargés d’histoires, Aïmen Laïhem fait le choix d’une écriture nerveuse et énervante, une poétique du tout ou rien qui bascule entre d’admirables fulgurances stylistiques et d’assommantes banalités, un périple épuisant où l’on arpente à la fois une géographie où lumières et ténèbres se confondent, et un univers intérieur où l’Etranger de Camus joute avec le Dino de Moravia.
Tout dans le récit est à la fois insignifiant et insupportablement épais, à l’image d’Alger qui varie, selon les jours, entre divinité sublimée et déchet métaphysique ; à l’image des passants, des passagers et des taxis qui tanguent, selon la météo politico-sociale, entre suicide collectif sursitaire et rage de vivre muselée…
Comme un boléro indiscipliné, Taxis de Aïmen Laïhem nous invite à monter : vers ces nuages si bas qu’ils deviennent accessibles, ces oiseaux si familiers qu’ils volent au ras des têtes, ces collines si fragiles qu’elles succombent à une étreinte de regard, ces voitures salutaires et infernales qui grouillent de blessures et de beautés ; et puis, monter vers soi et y déceler une littérature qui retarde à l’infini l’effondrement ultime.
Sarah Haidar
Taxis. Aïmen Laïhem. Barzakh, 2023 166 p. 900 DA.



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