Algérie

Taxieur brobro


Je sais qu'il m'arrive trop souvent de vous parler du métro parisien et des scènes que j'y capte. Mea-culpa, mais, pour ma décharge, on ne parle bien que de ce que l'on fréquente le plus. Pourtant, une fois n'étant pas coutume, et pour faire un peu riche en ces temps de polémiques sur le pouvoir d'achat, j'aimerais vous raconter un petit trajet nocturne en taxi à travers les rues de Paris. Une balade à neuf euros qui revient de manière mensuelle au rythme des permanences nocturnes et qui, presque toujours, apporte son lot d'anecdotes, de propos inattendus et de longues tirades contre les puissants, les riches, les gouvernants, et tout ce que la beaufitude exècre et adule à la fois. Impossible par exemple d'échapper aux commentaires sur « kivousavé » et sa guitariste d'épouse. A ce propos, une petite mise au point s'impose. Les lecteurs réguliers de cette chronique peuvent en témoigner : voilà deux années que j'écris tout le mal que je pense de Nicolas Sarkozy et ce n'est pas parce que les courtisans d'hier s'en détournent pour (enfin) lui taper dessus que je vais faire silence. Fin de la parenthèse. Non loin de l'Opéra, j'ai donc hélé une Toyota blanche dont je serais incapable de vous citer le modèle exact. Des fauteuils en cuir, tout l'espace possible pour le passager qui s'installe sur la banquette arrière, des hebdomadaires et des magazines glissés dans les poches latérales et une radio qui diffuse, en quadriphonie atténuée, une rencontre de football. Une pause anachronique dans le monde de l'internet, des télévisions à écran plat, du GPS et des téléphones portables. On ne parlera jamais assez de l'étonnante capacité de résistance de la radio et de son lien toujours solide avec un temps désormais révolu. Suivre un match de foot par la grâce d'un commentateur sportif, c'est imaginer un terrain, des joueurs, des actions, une ambiance. C'est faire un bond dans le passé et l'expérience vaut la peine d'être vécue de temps à autre. Le taxi passait à proximité de la pyramide du Louvre quand la voix rauque du commentateur a annoncé que l'arbitre venait de siffler la mi-temps. Quelques réclames puis un flash d'information où un homme politique, de gauche, a ironisé, entre autres, sur le silence qui entoure désormais le rapport de la commission Attali rendu public il y a déjà près d'un mois. Ricanement sans surprise du conducteur. « Attali, c'est votre grand copain, hein ? », ai-je lancé, sachant d'avance que j'ouvrais des vannes qu'il serait difficile de refermer. « Ça, c'est sûr. Tous les chauffeurs de taxi l'adorent », m'a répondu mon conducteur avec un accent trahissant des origines, non pas toulousaines, mais bien de chez nous sans qu'il me soit possible, n'étant pas expert en la matière, d'identifier s'il s'agissait de la petite ou de la grande Kabylie. « J'espère que Sarkozy va tenir sa promesse de ne pas toucher nos licences sinon Attali aura de vrais problèmes. Pour le moment, ils disent que la réforme est abandonnée mais, nous, on ne baisse pas la garde », a poursuivi l'homme. Toujours désireux de faire apparaître l'action de l'actuelle majorité sous son meilleur jour, je lui ai alors demandé s'il ne pensait pas que le sujet reviendrait sur le tapis après les municipales. « C'est possible. On a bien compris qu'ils avaient peur qu'on fasse campagne contre la droite. Moi, il m'arrive d'avoir jusqu'à vingt-cinq clients par jour. Vous imaginez les dégâts si j'arrive à convaincre la moitié d'entre eux qu'on est mal gouverné ! », a-t-il convenu alors que nous remontions la rue de Rennes. Nous avons encore parlé de Jacques Attali, de ses livres et de ses multiples casquettes. « Qu'est-ce qu'on lui a fait, hein ? Comme si les problèmes de la France pouvaient être réglés en mettant plus de taxis dans la rue. Si ma licence perd de sa valeur, qui va payer ma retraite ? », s'est encore énervé le chauffeur en s'arrêtant à un feu rouge, non loin de la station Gaîté. Et d'ajouter, sur un ton de la plaisanterie qui sonnait un peu faux, « avec des confrères, on est capables de repérer très vite où il habite et de s'arranger pour être là quand il cherchera un taxi. Et un jour, sans même se rendre compte, il se retrouvera nu comme un ver sur le boulevard périphérique ». La Toyota a poursuivi sa route vers Alésia. Nous parlions encore de la dure condition de chauffeur de taxi parisien quand mes efforts pour soutenir cette conversation très convenue se sont avérés payants. Nous en étions arrivés à la difficulté, pour cette corporation, de rester unie et de surpasser les rivalités entre propriétaires de licences et locataires ou entre les artisans et les salariés des grandes sociétés de taxis. « Vous savez monsieur, c'est bien parce que les chauffeurs 'brobro' sont montés les premiers au créneau que Sarkozy a reculé. On est tranquilles mais quand on nous cherche des problèmes, on nous trouve ». J'ai d'abord cru qu'il parlait de chauffeurs bobos et je ne voyais vraiment pas ce qu'il voulait dire. Puis il a encore répété ce mot, « brobro » et j'ai compris que je tenais quelque chose. « Brobro » ? Ça veut tout simplement dire berbère », m'a-t-il répondu quand je lui ai demandé la signification exacte du terme. Et c'est ainsi que, des années après avoir découvert dans une rame de RER, le terme blédard, je vous annonce l'existence d'un autre mot, que certains d'entre vous connaissaient peut-être déjà, mais qui va certainement enrichir mon vocabulaire de chroniqueur. Brobro, c'est de cette manière que certains désignent les Berbères de France avec une connotation d'autodérision évidente. Par prudence et par souci de ne provoquer personne, je ne m'aventurerai pas, du moins pas cette fois-ci, sur le chemin piégé de savoir à qui s'applique vraiment cette dénomination. Qui est brobro ? Celui qui parle l'une des variantes du Tamazigh ou celui qui, sans être berbérophone, revendique aussi son appartenance à la berbérité ? Si l'on peut être à la fois blédard et brobro (on peut même imaginer une chronique du blédard-brobro), faut-il à l'inverse considérer que brobro et beur sont antagonistes ? Vaste et périlleux débat sur lequel il sera toujours temps de revenir...
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