Algérie

Taous, jeune femme d' Agoussim



Taous, jeune femme d' Agoussim
La poétesse Aïcha Bouabaci a pris part, pour la première fois, au festival Raconte-Arts. Un peu plus d'une semaine durant, le village d'Agoussim, qui fait face au Djurdjura, a vibré de chants, de déclamations poétiques. Conteurs, écrivains, peintres s'y sont donné rendez-vous au milieu des femmes et des hommes humbles et attachants. L'auteur de « Peau d'exil » est revenue avec plein de souvenirs et parle d'une femme dont elle a su capter, avec grâce et émotion, les douleurs et les rêves enfouis. Perdue dans ses yeux bleus d'une clarté surprenante ! Je l'ai rencontrée dès le 1er jour, près de la fontaine. Le prénom de Taous lui siera bien. La fontaine, lieu de prédilection des femmes. Elles y recueillent cette précieuse eau de la source à l'exquise fraîcheur car l'eau se fait rare à Agoussim. « Trop de monde à Agoussim », explique cette belle jeune femme qui nous avait accueillies pour le dîner alors que nous passions devant sa porte ; elle nous avait hélées de la main : un geste tout simple mais combien révélateur ! Un geste commun à Agoussim, une hospitalité qui ne souffre pas de comparaison. Cette jeune femme nous avait montré, d'un air désolé, la montagne de vaisselle et d'ustensiles placés dans une énorme cuvette, dans l'attente d'être nettoyés. Chaque matin, tôt, je me rendais à la fontaine pour remplir une bouteille ; une chaîne de femmes aux foutas bariolées et d'enfants joyeux attendaient leur tour pour remplir bouteilles et jerricans. Une corvée fastidieuse, certainement, mais tous l'accomplissaient avec un détachement méritoire. L'eau était un élément nécessaire qui méritait tous les sacrifices. On me faisait toujours la 1re place pour remplir ma bouteille, on la remplissait même pour moi. Une population toute tournée vers l'autre, du moins vers nous, ces invités d'une saison. Taous était là, en face de moi, dans ce petit espace réservé aux femmes, tout près de la fontaine, ses yeux capteurs de vie posés sur moi, un sourire tout près à éclore pour moi, moi qui souris volontiers.Un visage typé, né de la lointaine Grèce. Majestueuse, sans le savoir sans doute, le regard de Taous m'interroge, attente et inquiétude. Et Taous a vite compris qu'elle avait trouvé en moi une amie, une mère ou dans tous les cas une personne qui ne la juge pas, capable de la comprendre, de l'aimer et de dissiper ses tourments ! Parce que ce regard inquiet décelait tant de tourments cachés. A chaque occasion, Taous se rapprochait de moi, assise tout contre moi dans cet espace que nous avions réservé pour notre activité d'échanges avec les femmes d'Agoussim ; pour tout échange, des regards et des caresses faute de parler la même langue. Taous m'avait définitivement adoptée comme mère, je le sais, elle qui a l'âge de ma propre fille ; elle a immédiatement compris que dans mon c?ur, il y avait suffisamment de place pour d'autres personnes, ou tout au moins pour une autre fille ; on se croise souvent dans les venelles du centre d'Agoussim ; étreintes filiales empressées, une tendresse infinie à donner et à quêter ; on se retrouve quelquefois, côte à côte, sur la place du village à l'occasion de concerts ; elle cale le petit banc de bois qu'elle a rapporté de chez elle contre mon fauteuil blanc en plastique et, au lieu de fixer la scène, me regarde de ses larges prunelles, avide d'apprendre quelque chose de moi, sur moi et de m'apprendre quelque chose sur elle. Et, finalement, nous sommes parvenues à cet échange de signes sonores : une communication modeste sans doute mais combien prometteuse... Nous avons compris tout d'un coup que nous pouvions échanger des mots dans la langue de l'autre et cela grâce à une nouvelle jeune amie, qui venait de connaître Taous et sa mère, à l'occasion de la visite de son exposition. Des questions sans doute modestes, fastidieuses même, dans tous les cas, basiques comme on dit : l'âge de chacune (et quelle réaction enthousiaste quand elle a appris le mien !) C'est que je paraissais bien plus jeune. une baraka en partage) ; puis, autour de la fratrie et de la filiation : et là j'ai compris où se cachait la douleur de Taous : un papa parti en France et qui les avait abandonnés, comme cela arrive quelquefois. Un papa qu'elle aime pourtant tellement ! un frère lourdement handicapé...C'est déjà suffisant pour camper la solitude de Taous et sa souffrance. Et quand j'ai vu sa maman venir la chercher bien avant la fin du concert et qu'elle l'a suivie comme un enfant docile, oubliant même de remporter son banc, j'ai souffert à la place de Taous : une maman au visage flêtri, dépourvu d'expression, une maman qui devait être certainement plus jeune que moi, sachant que les femmes d'ici sont mariées très jeunes... Taous n'a décidément pas de chance et son avenir paraît tout tracé : une vie close tournant autour des exigences de la mère et celles du frère malade ; une fatalité : partager celle de sa mère dans tous les cas. En vase clos. Elle est pourtant si belle Taous ! Un arbre de vie habite en elle, prêt à éclore, à bouleverser toutes les certitudes. Lui laissera-t-on la chance de quêter l'amour, de le découvrir un jour et de le vivre ' D'ouvrir les portes fermées qui l'emprisonnent, de trouver la main amie qui l'accompagnera hors de ce champ familial déserté par l'amour, loin des chants lugubres des vies manquées ' Elle m'a trouvée sur son chemin : elle saura ainsi que l'espoir est permis, que la tendresse et la force qu'elle dégage sont visibles ; et peut-être aura-t-elle, aussi, la chance de retrouver l'amour de ce père dont l'absence a brisé la mère. Taous et son regard de mer torturée ! Taous belle, rieuse et grave en même temps : puisses-tu trouver le chemin de paix que ton innocence mérite et appelle à cris sourds et muets !




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