Algérie

Taoufik Ben Brik. Journaliste et écrivain tunisien : Il divo



Les Tunisiens, poussière d'individus, voient le monde tel qu'il est et disent : « Pourquoi ' » Seul le général Ben Ali, descendant direct de Hannibal Barka, soixante-treize ans et soixante-quinzième du nom, voit le monde tel qu'il pourrait être et dit : « Pourquoi pas ' » Est-ce que ce général a dit ça, la nuit du 6 novembre 1987, cloîtré dans son cagibi en fomentant son coup d'Etat médical contre Bourguiba ' Est-ce qu'il a dit ça, le 23 mai 2003, lorsqu'il a modifié la Constitution et dépecé ce qui restait de la République pour se maintenir au pouvoir jusqu'à la mort et instaurer sa dictature 1re en catimini ' Le pouvoir mort ou vif. Bien sûr, on aurait pu vous présenter des « pourquoi pas » des plus saignants. Des plus salauds, des plus bourreaux, des plus corrompus, des plus pornos, des plus torturés, des plus masos, des plus ensanglantés. On lui doit tout : les ponts, les prisons, les moutons, sauf, peut-être, les guerres puniques. Ben Ali un homme parmi les hommes ' J'en doute. Il est initié à camoufler ses atours, ses goûts.Il avance affublé d'un faux nez. Un prédateur qui ricane. Cet homme est un mutant, une menace pour notre race. Il se suffit à lui-même, telle une cellule qui s'engendre d'elle-même. Son monde est à mille bornes au-dessus de nos têtes et à vingt-mille lieues sous la mer, un Atlantide, un sixième lieu où on ne fait que des rencontres du troisième type. Un autiste qui ne partage rien avec nous, peut-être l'ennui. Ben Ali croyait parler la langue de toutes les langues. Et voilà que personne ne le comprend. Il éructe, il jappe, il aboie. Il voulait expédier tous les exploits de tous les temps dans l'au-delà et il y a personne pour s'évanouir d'extase. Pas de concurrent. Ou si. Des prétendants qui soutiennent sa candidature. Pas d'adversaire, pas de règle, pas de public. Il joue seul à seul. Pour lui tout seul. Ça l'excite. Au rancart les hordes de va-nulle-part, les pédés, les allumés, les dinosaures, les fouineurs, les vendus, les casse-pieds et les malappris. Il veut son fin de règne qui s'éternise racé, propre, intégriste, ciblé, friqué. Un rêve de Pacha le chat. Il a décidé : la Tunisie a raté son épopée, elle sera dézinguée. Il a choisi une date brûlée, comme on choisit un trou du cul perdu pour mieux mirer sa quincaillerie, son blabla et ses éclats de cinglé. Rien ne doit le distraire de la contemplation de sa superbe. Avant même le coup d'envoi, il disqualifie tout le pays. Que faire de plus pour garder la chose ' Viva Ben Ali.  >   


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