Algérie - Saida

Tant qu'il y aura des hommes...( Ahmed Medeghri dit Si Houcine )



Tant qu'il y aura des hommes...( Ahmed Medeghri dit Si Houcine )
La destinée ne vient pas du dehors à l'homme, elle sort de l'homme même.(Rainer Maria Rilke)

Bercés dès notre enfance, dans une insoucieuse errance, par nos grand-mères lesquelles, conscientes de notre innocence, nous inculquèrent les vertus et qualités des vrais Hommes qui marquèrent l'histoire de la cité tels des dômes.

Accrochés, à genoux, en curieux jeunots, à leurs robes et dentelles sentant le lait maternel, nous fumes, avec exonération d'une quelconque dîme, élevés par des fables à la rime au point de croire être élevés aux cimes.

Nous avions -il est tout à fait clair- nos héros légendaires en qui nous nous identifiâmes comme un «braveheart» défiant ses tortionnaires. Naïvement installés dans nos demeures en verre, nous ne doutions guère qu'on aurait encore à subir des guéguerres encore moins à devenir un objectif de jet de pierres !

Pourtant, à en croire les pages de notre Histoire, des Noms qui résonnent comme des chapitre de gloire, pour peu qu'on daigne dépoussiérer étalages et tiroirs, meublent sans utilité nos amnésiques mémoires et décorent à satiété les bibliothèques garants et gardiens du temple du savoir ! Les évoquer, quand l'évènement voire le contexte nous y «oblige», ou s'en moquer quand on en est critiqué ou indexé de transfuge, est une situation qui constitue - en l'absence d'une quelconque immunité- le degré zéro de la fidélité.

Parmi les Hommes qui ont donné l'impulsion aux affaires de la république algérienne démocratique et populaire, principalement dans l'administration dont il est reconnu comme un père hors paire, l'ex ministre de l'intérieur Ahmed Medeghri dit Si Houcine - son nom de guerre - dont le père Ali dit Allel tomba, l'arme à la main, à l'âge de 64 ans, au champ d'honneur. Trente six ans, presque essoufflés, se sont écoulées de notre calendrier tumultueux, depuis que ce membre talentueux du conseil de la révolution quitta tragiquement une Algérie aux mille ambitions…Il venait à peine, en ce douloureux 10 décembre 1974, de boucler ses quarante ans, une vie si courte mais intense qui ne fut pas toute vue en rose !

Né le 23 juillet 1934, il se trouva éclos, au sein de sa famille, dans un bain révolutionnaire à huit clos ! Son père, le chahid Allel, qui tenait un magasin de «tissus indigènes», abritait dans son arrière boutique des militants de l'UDMA (Union Démocratique du Manifeste Algérien) dont il était le représentant permanent. Adolescent, il obtint son BEPC en 1950 non sans s'imprégner très tôt de l'idée nationaliste au contact de son père, mort en juste, et des évènements marquant le contexte spatiotemporel de l'Algérie des années 40/50 principalement ceux des conscrits du 03 mai 1945 (dont le meneur fut Otmani Hamadouche Ould Abdellali, chef des couts musulmans, de l'époque, de Saida) et les arrestations de la police française du 20 de ce mois dont le peuple algérien, marqué à jamais par le sang et la fournaise, en porte le deuil. Ce dernier qui constitue encore pour la trinité «liberté, égalité, fraternité» un insupportable malaise !

Parallèlement, Un fait insolite voire prophétique, rapporté par Si Nedjadi Mohamed dit Mokrane1, caractérise la destinée de l'Homme emblématique. En effet, vers les années 1947 Ferhat Abbes est venu tenir un meeting au sein de l'ancien théâtre de Saida. Le jeune adolescent Ahmed Medeghri, qui se tenait sur la tribune, était chargé d'offrir un bouquet de fleurs à l'hôte de Saida, en guise de bienvenue. Le futur président du GPRA, qui étalait les lignes directrices de l'UDMA, s'écria dans son discours en disant : «Nous militons pour que notre pays retrouve sa liberté et pour que des jeunes comme celui-ci président à ses destinées»… !

En 1950, il se rendit au collège de Mascara où il allait décrocher, en étudiant sérieux, intelligent et studieux, la première partie de son baccalauréat mais notamment, quoique le contexte fût hostile, sensibiliser ses camarades de classe qui rejoignirent le maquis et dont les survivants2 devinèrent, après l'indépendance, ses collaborateurs au ministère de l'intérieur.

La seconde partie de son BAC dans la poche, il s'inscrivit à l'Université de Grenoble (France) en septembre 1954 mais rentre au pays une année après. Il exerça à Saida comme instituteur à l'école Jules Ferry (actuellement Emir AbdelKader).

Il trouva naturellement sa place au niveau des scouts musulmans algériens, organisation de masse notamment de la jeunesse, qui conditionnait psychologiquement la nouvelle génération pour le nationalisme insurrectionnel. Il joua tout aussi un rôle déterminant dans le sport scolaire, universitaire et puis au sein du Mouloudia de Saida où il avait une prédilection d'avant centre. Dès l'éclosion des cellules du Front de Libération National, il trouva son âme sœur qu'est la révolution et s'y offrit corps et âme pour épouser le militantisme actif. Il ne tarda pas à rejoindre les rangs de l'ALN (Zone 5, Wilaya 5), en compagnie de son ami MAZOUNI Mohamed3, en juin 1957.

Disposant de capacités et aptitudes intellectuelles et d'un engagement sincère, il s'est vu, très vite, investir de responsabilités importantes en qualité d'officier auprès du Commandant FARRADJ 4. Parlant peu mais écoutant beaucoup, très discret presque énigmatique, affichant une autorité naturelle conjuguée à une humilité et une simplicité imposant le respect, il fut régulièrement promu pour être affecté au commandement de la Wilaya 5 et devenir un des collaborateurs du Colonel Boumediene, en compagnie d'Abdelaziz Bouteflika, Cherif Belkacem…

Ce parcours très riche et chargé, au sein du contexte spatiotemporel caractérisant une Algérie qui s'apprêtait à arracher son indépendance, mettra, dès la nomination du premier gouvernement de la RADP, entre les mains de l'ex jeune adolescent offrant des fleurs à Ferthat Abbes, métamorphosé par le destin en Homme d'état, les rênes du ministère de l'intérieur. Une toute autre révolution allait commencer, celle de rebâtir le pays et la mise en place des institutions de l'état notamment celles des collectivités locales et structures rattachées à son ministère.

Parmi ses actions entreprises et qui demeurent les fondements de base de l'administration algérienne, on peut citer - à titre d'exemple - :

- la création de l'ENA en 1964,
- la création de Centres de formation administrative,
- le statut général de la fonction publique en 1966,
- le code communal en 1967,
- le code de wilaya en 1969

Bien qu'il soit dit que «tout homme est sensible quand il est spectateur, mais insensible quand il agit»5, ceux qui connaissaient Si Houcine, attestent qu'il était de ces rares Hommes qui ne se préoccupaient pas de passer le temps mais avaient le talent d'employer ce dernier, car « pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux»6. Honnête, vivant de son salaire, n'ayant possédé aucun bien, il s'était fait un devoir de priver sa famille d'un quelconque privilège ! Il était de la race de Boumediene et de tant d'autres qui dirigèrent (et non digérèrent !) un pays riche mais moururent honorablement démunis. Ils entendaient en résonance les voix de leurs frères qui se sacrifièrent, en offrande, pour une Algérie d'une prometteuse voie, et un avenir le meilleur qui soit.

Enfin, puisque «l'Homme ça peut être détruit mais pas vaincu»7, le 10 décembre 1974 le père de l'administration algérienne dit Si Houcine, est déclaré décédé suite à une mort tragique et brusque, survenue dans son domicile d'El-Biar 8. Il fut inhumé à El-Alia dans le carré des martyrs de la révolution. La foule impressionnante qui l'avait accompagné à sa dernière demeure, ne pouvait retenir ses larmes notamment lors de l'oraison funèbre prononcée par feu Mouloud Kacem, alors ministre des affaires religieuses.

Tant qu'il ya aura des Hommes…Amen !

Il est parmi les croyants des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement vis-à-vis de Dieu. Certains d'entre eux ont déjà accompli leur destin, d'autres attendent leur tour. Mais ils n'ont jamais rien changé à leur comportement. Coran, 33, 23.

*Universitaire, Saida

Notes :

1- Ex officier de l'ALN, camarade de classe d'Ahmed Medeghri et un de ses collaborateurs après l'indépendance (ex Wali d'El-Asnam). Les témoignages rapportés dans cet article sont en majorité puisés d'une conférence intitulée «Ahmed Medeghri, un destin tragique»écrit par Si Nedjadi Mohamed qui vient de boucler un livre qui sera très prochainement édité.
2- Ouled Kablia Daho et Mohamed, MOULASSARDOUNE Mohamed, ATTAR houari, ALLAB, KADDARI, NEDJADI Mohamed, ZIDANI Mohamed…
3- Ex vice-ministre
4- Tombé au champ d'honneur le 27 mars 1960 avec le Colonel Lotfi, à Djebel Béchar
5- Alain, extrait de «vigiles de l'esprit»
6- Montesquieu, extrait de « sur l'homme»
7- Ernest Hemingway, extrait de «le Viel homme te la mer»
8- Une commission d'enquête, présidée par le ministre de la santé de l'époque le Dr Omar Boudjelab, fut désignée pour déterminer la cause de cette mort tragique… ?
9- Coran, 33, 23.


Ahmed Medeghri se sentait menacé selon Aït Ahmed L'ancien ministre de l'Intérieur de Houari Boumédiène, Ahmed Medeghri, se sentait menacé et en aurait fait part à l'une de ses connaissances. C'est Hocine Aït-Ahmed qui le dit dans un de ses derniers textes. Invité à rédiger une nouvelle préface pour la réédition d'un des livres, «L'Affaire Mécili» (La Découverte), le chef du FFS y rapporte la teneur d'une discussion qu'il a eue avec Claude Julien, l'ancien directeur du «Monde Diplomatique». Quelques jours avant sa disparition tragique, le 10 décembre 1974, le ministre de l'Intérieur et membre du Conseil de la Révolution avait appelé Claude Julien au téléphone. Motif de la communication: annuler un rendez-vous déjà convenu entre les deux hommes. A en croire le témoignage d'Aït-Ahmed, Claude Julien - patron du mensuel parisien de 1973 à 1990 - devait se déplacer incessamment à Alger à l'invitation du ministre de l'Intérieur. Les deux hommes «étaient en contact étroit», selon le leader du FFS. «Une semaine avant ce voyage, Medeghri l'appela au téléphone pour annuler» le rendez-vous, selon Claude Julien, cité par Aït-Ahmed. Le ministre aurait précisé à son interlocuteur au bout du fil qu'il se sentait «vraiment menacé». Selon le leader du FFS, le directeur du «Monde Diplomatique» lui a également «confirmé» que Medeghri était «opposé à la première charte nationale des années 1970 et préconisait l'élaboration démocratique d'une constitution». Officiellement, les projets de charte nationale, de constitution et d'un échéancier électoral avaient été évoqués pour la première fois en juin 1975. Dans un discours à l'occasion du 10e anniversaire du «redressement révolutionnaire» - intitulé officiel de l'éviction de Ben-Bella-, Boumédiène s'était engagé à lancer un chantier institutionnel pour fermer la parenthèse du Conseil de la Révolution. Ministre de l'Intérieur de Ben-Bella avec lequel il a eu maille à partir - son limogeage était prévu à l'été 1965-, Ahmed Medeghri avait fait partie du Conseil de la Révolution de sa proclamation jusqu'à sa mort. Ministre jouissant de toutes ses prérogatives préfectorales, il avait été, entre autres missions, l'artisan des premiers découpages territoriaux de l'après-indépendance. Plusieurs programmes spéciaux en faveur des wilayas - entre autres Tizi-Ouzou, Saïda, le Titteri (Médéa)- avaient été lancés durant cette période. Ahmed Medeghri est mort à son domicile à Hydra. Le communiqué officiel diffusé sur les téléscripteurs de l'agence APS avait parlé d'un «décès accidentel». La crédibilité de cette version avait été remise en cause par de nombreuses sources algériennes, y compris dans les allées du pouvoir. Par Le Quotidien d'Oran 17/04/2007
Mourad - Retraité - Bejaïa, Algérie

01/12/2016 - 317865

Commentaires

L'auteur de cet artcile semble connaitre la vie de Medeghri en détails, pourquoi ne nous a-t-il pas alors détaillé cette mort tragique du défunt minsitre ? de quoi a-t-il eu peur?
chebab farradj - sans - yellal, Algérie

01/09/2013 - 117219

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