La destinée ne
vient pas du dehors à l'homme, elle sort de l'homme même.(Rainer Maria Rilke)
Bercés dès notre
enfance, dans une insoucieuse errance, par nos grand-mères lesquelles,
conscientes de notre innocence, nous inculquèrent les vertus et qualités des
vrais Hommes qui marquèrent l'histoire de la cité tels des dômes.
Accrochés, à genoux, en curieux jeunots, à
leurs robes et dentelles sentant le lait maternel, nous fumes, avec exonération
d'une quelconque dîme, élevés par des fables à la rime au point de croire être
élevés aux cimes.
Nous avions -il
est tout à fait clair- nos héros légendaires en qui nous nous identifiâmes
comme un «braveheart» défiant ses tortionnaires. Naïvement installés dans nos
demeures en verre, nous ne doutions guère qu'on aurait encore à subir des
guéguerres encore moins à devenir un objectif de jet de pierres !
Pourtant, à en
croire les pages de notre Histoire, des Noms qui résonnent comme des chapitre
de gloire, pour peu qu'on daigne dépoussiérer étalages et tiroirs, meublent
sans utilité nos amnésiques mémoires et décorent à satiété les bibliothèques
garants et gardiens du temple du savoir ! Les évoquer, quand l'évènement voire
le contexte nous y «oblige», ou s'en moquer quand on en est critiqué ou indexé
de transfuge, est une situation qui constitue -en l'absence d'une quelconque
immunité- le degré zéro de la fidélité.
Parmi les Hommes
qui ont donné l'impulsion aux affaires de la république algérienne démocratique
et populaire, principalement dans l'administration dont il est reconnu comme un
père hors paire, l'ex ministre de l'intérieur Ahmed Medeghri dit Si Houcine -
son nom de guerre - dont le père Ali dit Allel tomba, l'arme à la main, à l'âge
de 64 ans, au champ d'honneur. Trente six ans, presque essoufflés, se sont écoulées
de notre calendrier tumultueux, depuis que ce membre talentueux du conseil de
la révolution quitta tragiquement une Algérie aux mille ambitions…Il venait à
peine, en ce douloureux 10 décembre 1974, de boucler ses quarante ans, une vie
si courte mais intense qui ne fut pas toute vue en rose !
Né le 23 juillet
1934, il se trouva éclos, au sein de sa famille, dans un bain révolutionnaire à
huit clos ! Son père, le chahid Allel, qui tenait un magasin de «tissus
indigènes», abritait dans son arrière boutique des militants de l'UDMA (Union
Démocratique du Manifeste Algérien) dont il était le représentant permanent.
Adolescent, il obtint son BEPC en 1950 non sans s'imprégner très tôt de l'idée
nationaliste au contact de son père, mort en juste, et des évènements marquant
le contexte spatiotemporel de l'Algérie des années 40/50 principalement ceux
des conscrits du 03 mai 1945 (dont le meneur fut Otmani Hamadouche Ould
Abdellali, chef des couts musulmans, de l'époque, de Saida) et les arrestations
de la police française du 20 de ce mois dont le peuple algérien, marqué à
jamais par le sang et la fournaise, en porte le deuil. Ce dernier qui constitue
encore pour la trinité «liberté, égalité, fraternité» un insupportable malaise
!
Parallèlement, Un
fait insolite voire prophétique, rapporté par Si Nedjadi Mohamed dit Mokrane1,
caractérise la destinée de l'Homme emblématique. En effet, vers les années 1947
Ferhat Abbes est venu tenir un meeting au sein de l'ancien théâtre de Saida. Le
jeune adolescent Ahmed Medeghri, qui se tenait sur la tribune, était chargé
d'offrir un bouquet de fleurs à l'hôte de Saida, en guise de bienvenue. Le
futur président du GPRA, qui étalait les lignes directrices de l'UDMA, s'écria
dans son discours en disant : «Nous militons pour que notre pays retrouve sa
liberté et pour que des jeunes comme celui-ci président à ses destinées»… !
En 1950, il se
rendit au collège de Mascara où il allait décrocher, en étudiant sérieux,
intelligent et studieux, la première partie de son baccalauréat mais notamment,
quoique le contexte fût hostile, sensibiliser ses camarades de classe qui
rejoignirent le maquis et dont les survivants2 devinèrent, après
l'indépendance, ses collaborateurs au ministère de l'intérieur.
La seconde partie de son BAC dans la poche, il
s'inscrivit à l'Université de Grenoble (France) en septembre 1954 mais rentre
au pays une année après. Il exerça à Saida comme instituteur à l'école Jules
Ferry (actuellement Emir AbdelKader).
Il trouva
naturellement sa place au niveau des scouts musulmans algériens, organisation
de masse notamment de la jeunesse, qui conditionnait psychologiquement la
nouvelle génération pour le nationalisme insurrectionnel. Il joua tout aussi un
rôle déterminant dans le sport scolaire, universitaire et puis au sein du Mouloudia
de Saida où il avait une prédilection d'avant centre. Dès l'éclosion des
cellules du Front de Libération National, il trouva son âme sÅ“ur qu'est la
révolution et s'y offrit corps et âme pour épouser le militantisme actif. Il ne
tarda pas à rejoindre les rangs de l'ALN (Zone 5, Wilaya 5), en compagnie de
son ami MAZOUNI Mohamed3, en juin 1957.
Disposant de
capacités et aptitudes intellectuelles et d'un engagement sincère, il s'est vu,
très vite, investir de responsabilités importantes en qualité d'officier auprès
du Commandant FARRADJ4. Parlant peu mais écoutant beaucoup, très discret
presque énigmatique, affichant une autorité naturelle conjuguée à une humilité
et une simplicité imposant le respect, il fut régulièrement promu pour être
affecté au commandement de la Wilaya 5 et devenir un des collaborateurs du
Colonel Boumediene, en compagnie d'Abdelaziz Bouteflika, Cherif Belkacem…
Ce parcours très
riche et chargé, au sein du contexte spatiotemporel caractérisant une Algérie
qui s'apprêtait à arracher son indépendance, mettra, dès la nomination du
premier gouvernement de la RADP, entre les mains de l'ex jeune adolescent
offrant des fleurs à Ferthat Abbes, métamorphosé par le destin en Homme d'état,
les rênes du ministère de l'intérieur. Une toute autre révolution allait
commencer, celle de rebâtir le pays et la mise en place des institutions de
l'état notamment celles des collectivités locales et structures rattachées à
son ministère.
Parmi ses actions
entreprises et qui demeurent les fondements de base de l'administration
algérienne, on peut citer - à titre d'exemple - :
- la création de
l'ENA en 1964,
- la création de
Centres de formation administrative,
- le statut
général de la fonction publique en 1966,
- le code
communal en 1967,
- le code de wilaya
en 1969
Bien qu'il soit
dit que «tout homme est sensible quand il est spectateur, mais insensible quand
il agit»5, ceux qui connaissaient SI Houcine, attestent qu'il était de ces
rares Hommes qui ne se préoccupaient pas de passer le temps mais avaient le
talent d'employer ce dernier, car « pour faire de grandes choses, il ne faut
pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut
être avec eux»6. Honnête, vivant de son salaire, n'ayant possédé aucun bien, il
s'était fait un devoir de priver sa famille d'un quelconque privilège ! Il
était de la race de Boumediene et de tant d'autres qui dirigèrent (et non
digérèrent !) un pays riche mais moururent honorablement démunis. Ils
entendaient en résonance les voix de leurs frères qui se sacrifièrent, en
offrande, pour une Algérie d'une prometteuse voie, et un avenir le meilleur qui
soit.
Enfin, puisque
«l'Homme ça peut être détruit mais pas vaincu»7, le 10 décembre 1974 le père de
l'administration algérienne dit Si Houcine, est déclaré décédé suite à une mort
tragique et brusque, survenue dans son domicile d'El-Biar8. Il fut inhumé à
El-Alia dans le carré des martyrs de la révolution. La foule impressionnante
qui l'avait accompagné à sa dernière demeure, ne pouvait retenir ses larmes
notamment lors de l'oraison funèbre prononcée par feu Mouloud Kacem, alors
ministre des affaires religieuses.
Tant qu'il ya
aura des Hommes…Amen !
Il est parmi les
croyants des hommes qui ont tenu loyalement leur engagement vis-à-vis de Dieu.
Certains d'entre eux ont déjà accompli leur destin, d'autres attendent leur
tour. Mais ils n'ont jamais rien changé à leur comportement.9
*Universitaire,
Saida
Notes :
1- Ex officier de
l'ALN, camarade de classe d'Ahmed Medeghri et un de ses collaborateurs après
l'indépendance (ex Wali d'El-Asnam). Les témoignages rapportés dans cet article
sont en majorité puisés d'une conférence intitulée «Ahmed Medeghri, un destin
tragiqueȎcrit par Si Nedjadi Mohamed qui vient de boucler un livre qui sera
très prochainement édité.
2- Ouled Kablia
Daho et Mohamed, MOULASSARDOUNE Mohamed, ATTAR houari, ALLAB, KADDARI, NEDJADI
Mohamed, ZIDANI Mohamed…
3- Ex
vice-ministre
4- Tombé au champ
d'honneur le 27 mars 1960 avec le Colonel Lotfi, à Djebel Béchar
5- Alain, extrait
de «vigiles de l'esprit»
6- Montesquieu,
extrait de « sur l'homme»
7- Ernest
Hemingway, extrait de «le Viel homme te la mer»
8- Une commission
d'enquête, présidée par le ministre de la santé de l'époque le Dr Omar
Boudjelab, fut désignée pour déterminer la cause de cette mort tragique… ?
9- Coran, 33, 23.
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Posté Le : 09/12/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : B Khelfaoui*
Source : www.lequotidien-oran.com