Algérie

Tahkout ou l'antithèse du "self-made-man"



De simple marchand, il est devenu, en l'espace d'à peine deux décennies, cet oligarque richissime et puissant, dont l'interpellation par la justice pour de multiples faits de corruption implique aujourd'hui foule de personnalités politiques, entre walis, anciens ministres, Premiers ministres et plusieurs hauts cadres de l'administration publique. Auditionné hier par les instances judiciaires et placé aussitôt sous mandat de dépôt, l'homme d'affaires Mahieddine Tahkout, qui ne brille pourtant ni par le talent ni par le charisme, est devenu à ce point influent au sein du système érigé sous les Bouteflika, que sa chute brutale aujourd'hui, comme son ascension fulgurante hier, semble incarner, à elle seule, toute la déliquescence qui a gagné les appareils de l'Etat durant ces dernières années. À considérer le nombre d'anciens hauts responsables cités dans les affaires judiciaires le concernant, Mahieddine Tahkout donne, en effet, l'allure d'être cette espèce de "Ponzi algérien", autour duquel s'est tissée toute une pyramide tentaculaire de trafic d'influence et de corruption à large échelle, si bien que des pans entiers de l'économie nationale semblent en être gangrénés.C'est que l'homme, parti de rien et réputé pour n'avoir ni grande influence ni envergure d'esprit, "en a toujours voulu et ne recule devant rien", comme en témoignent certains hommes d'affaires qui ont eu à le côtoyer. De simple marchand de fruits et légumes au marché de Réghaïa au début des années 90, Mahieddine Tahkout est devenu, par la suite, boucher avant de se reconvertir progressivement dans le négoce de café, puis de pièces de rechange importées de Tunisie. "Rustre, sachant à peine lire et écrire, mais plutôt coriace et très audacieux", selon le propos d'un homme d'affaires qui affirme le connaître depuis plus d'une trentaine d'années, celui que l'on dit très proche et même associé à l'ancien Premier ministre déchu, Ahmed Ouyahia, finira par incarner, au milieu des années 2000, le c?ur même de ce "businessmen-system" accédant à tous les privilèges et monopoles avec la bénédiction des Bouteflika.
De quelques petits autocars au départ, sa flotte de bus fera rapidement sa fortune à la faveur de la position quasi monopolistique qu'il s'est arrogée sur le réseau de transport universitaire, en bénéficiant de vastes largesses et avantages sur des contrats publics. Profitant de privilèges de plus en plus importants, grâce surtout à sa proximité avec de hauts responsables de l'administration publique et du gouvernement, son empire s'étendra rapidement à diverses activités, dont celles, particulièrement juteuses, de l'importation et du montage automobile, qui en feront rapidement le puissant milliardaire qu'il est devenu, avant de se voir enfin interpellé par la justice, dans le sillage de la révolte populaire et de la chute de ses anciens parrains au sein des appareils de l'Etat.
"Il est absurde de croire qu'un homme qui a autant pénétré et tiré profit des rouages du pouvoir soit illettré ou inintelligent", nous dit de lui un chef d'entreprise, en rappelant à quel point le patron du groupe Tahkout a su man?uvrer à sa façon pour avoir, pour ainsi dire, une sorte de mainmise sur une bonne partie de la Zone industrielle de Rouiba à l'est d'Alger. "Même écroué, Tahkout demeure sans doute encore puissant, car il est impliqué dans des réseaux et des affaires bien plus importants et sophistiqués qu'on le croit", considère notre interlocuteur, en soulignant que "la corruption s'exerce pratiquement à tous les niveaux et que lorsque l'on veut en juger les faits, il faut savoir regarder autant du côté des corrompus que des corrupteurs". En ce sens, décrit le même dirigeant d'entreprise, "ce système de corruption fonctionne au final telle une machine à café où il suffit de mettre la pièce qu'il faut à l'endroit qu'il faut pour être bien servi...". Et c'est, conclut-il, "ce que Mahieddine Tahkout a toujours su si bien faire depuis tant d'années".

Akli Rezouali


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