Algérie

Tahar Ibtatene ou le parcours d'un agent... «double»



Le destin de certaines personnes apparaît parfois hors du commun. Pourtant, au départ rien ne les prédestine à marquer autant l'histoire: ni leur rang social, ni leur statut professionnel, et ni leurs origines, non plus. Tahar Ibtatene dit Tintin fait partie de cette catégorie d'hommes dont le destin hors-normes le propulsa dans les coulisses de l'antichambre de la Résistance française au moment même où la France sous le régime de Vichy, signait sa collaboration avec l'Allemagne d'Hitler.Tahar Ibtatene dit Tintin était un agent du Bureau central du renseignement et d'action (Bcra), qui portait le numéro 99.497. Le Bcra se trouvait être l'ancêtre de la direction générale de la sécurité extérieure (Dgse), tout en passant par la direction de la surveillance du territoire (DST). Un organe de la Résistance française, conduite par le général de Gaulle, à partir de Londres, durant l'occupation nazie de la France. L'agent Tintin, naquit dans le douar d'Ath Menguellet, à El-Hammam (Ex-Michelet en Kabylie). Il débarqua en France à l'âge de 15 ans, où il entama son certificat de fin d'études. Evoquer la mémoire de Tintin, c'est comme s'immerger totalement dans un prodigieux livre d'espionnage. Durant son parcours de résistant, Tintin fut en relation avec plusieurs figures historiques et pionnières des services secrets français et de la Résistance. Pour exemple on peut citer: Roger Warin dit Wybot qu'il connut dès 1940 à Marseille, avant que lui-même ne rejoigne Londres. Roger Warin fut le premier directeur de la DST et aussi responsable pour l'Afrique du Nord pendant la période de la guerre d'Algérie. Tahar Ibtatene a également connu André Dulac, celui-ci était le dernier patron des services secrets en 1945. Sans oublier le colonel René Pellet et le commandant Hardivillier qui, eux, étaient: les différents dirigeants du réseau Marco Polo à Villeurbanne à la Centrale de Lyon.
Le destin de l'enfant d'Ath Menguellet est énigmatique et mystérieux. Ses archives militaires en témoignent. Il était celui qui ne craignait pas de prendre place sur des terrains minés par la Gestapo. L'agent 99. 497 est impliqué dans la création de trois équipes de répression et d'action qui constituaient le bras de fer de la Résistance sur un terrain ennemi (deux d'entre elles se trouvaient à Paris et une à Lyon).
Agent secret de la Résistance française
Ne s'arrêtant pas là, le Kabyle avait pris part à trois opérations visant le Parti populaire français (PPF), favorable à la collaboration avec l'occupant allemand. Durant ces opérations, des documents sensibles ont directement impliqué les chefs principaux du PPF à l'instar de Jacques Doriot, Simon Sabiani, le commandant Millet ainsi que le commandant Battestis. Plus grave encore, Tintin mettra la main sur les parties d'une correspondance entre Pierre Laval un proche du maréchal Pétain, l'amiral Jean-Pierre Esteva et un général allemand: Heinrich Himmler. Au service du Bcra, Tintin avait mené et organisé (comme le certifient des archives militaires françaises), des attentats contre le docteur Friedrich, chef de la propagande allemande, bras droit de l'un des plus hauts dirigeants du Troisième Reich. Il participera activement à l'une des guerres d'espionnage, une des plus secrètes, ayant brimé la Résistance par sept agents français passés au service des S.S Gestapo. Au cours de cette guerre des ombres, Tintin devenait l'espion de la Bcra pami les agents de la Gestapo. Ses péripéties le mèneront dans les arrière-chambres d'un monde parallèle que très peu connaissent.
À Paris, Tintin était chargé d'infiltrer, de découvrir et même d'exécuter les responsables du journal El Rachid qui s'occupait de la propagande nazie destinée aux Nord-Africains. Ses actions n'ont laissé aucune trace sur sa véritable identité. Aussi, l'agent de l'ombre avait monté des réseaux secrets à Bordeaux, à Toulouse...etc. Il avait planifié et exécuté lui-même des opérations de sabotage et des attentats visant directement les agents de la Gestapo et leurs collaborateurs. Il avait aussi acheminé des armes entre Paris et Lyon. En s'introduisant dans les services des S.S de la Gestapo, il prit part à l'une des opérations, inscrites dans les annales de la Resistance française. Ainsi, il réussit à démanteler une centaine d'agents français qui avaient trahi leur pays pour se soumettre au service des nazis. Raconter les missions de l'agent Tintin, durant les périodes les plus critiques de l'histoire de France, exige à certains de se taire. Le président de la République française signe: «L'évocation du parcours de ce Résistant de la première heure est totalement atypique. Il n'hésita pas à s'engager aux côtés du général de Gaulle en intégrant le Bureau central de renseignement et d'action, avant de devenir un véritable combattant de l'indépendance algérienne dans les rangs du Front de Libération nationale».
Plus tard, lors de la libération de la France, la guerre d'Algérie commença. Tintin malgré tout, n'oublia pas sa terre natale. Son héroïsme ne pouvait s'ancrer dans l'histoire que s'il le mettait au service des siens. Tintin, «l'indigène», aura été une carte maîtresse dans les stratégies d'espionnage du Bcra , durant la Seconde Guerre mondiale.
Prouvant ainsi, qu'il n'aura jamais tourné le dos à son identité, mais que sa trajectoire était principalement calquée sur la ligne d'un combat pour des principes universels de liberté. En dépit des largesses et de ses introductions dans les rouages de l'administration française. Son statut lui permettait bien des accès. Cependant, lui, Tintin, l'espion attitré du général de Gaulle reprendra très vite son rôle d'agent secret, mais cette fois-ci au service de la révolution algérienne. À Paris, l'agent Tintin très attiré par le monde de la nuit avait toujours un pied posé dans les milieux de l'hôtellerie, de la restauration et des bistrots parisiens, notamment dans le 18e arrondissement. Ceux-ci étaient surtout connus pour être fréquentés par les premiers réseaux, pionniers de la Fédération de France, créés par le Front de Libération nationale (FLN). En France et à Paris tout particulièrement, il gardait toujours des contacts avec ses relations de réseaux du Bcra, ceux que l'on quitte rarement.
Au service de la révolution algérienne
Au cours des années 1950, en pleine guerre de Libération algérienne, l'agent Tintin était aussi proche d'Henri Djouder, garde-corps du général de Gaulle, un combattant de la France libre. Il s'agissait d'un kabyle comme lui. Tahar Ibtatene avait contribué à sa manière au profit de la Fédération de France en matière de renseignement, de contact, de trafic de documents d'identité, d'impression de tract, de collecte d'argent, d'achat d'armes...etc. En parallèle, il se servait de son statut au profit du combat du FLN contre le colonialisme français. Il était en quelque sorte un agent double. Outre les actions de sabotage opérées sur le sol français suite à l'Appel du premier Novembre 1954, il y avait surtout cette guerre abjecte déclarée entre les militants du FLN (El-Djebeha) et ceux du Mouvement national algérien (MNA) (les Messalistes), notamment dans les cafés, les bistrots parisiens... etc. Partout là où les Algériens en arrivaient à s'entretuer même à tort.
Tout le territoire français semblait avoir été impacté. La lutte fratricide entre «Messalistes» et «Frontistes», était extrêmement sanglante, sale. Les ouvriers algériens en France qui ne cotisaient pas pour la caisse du FLN, plusieurs fois d'affilée alors qu'ils étaient salariés et pris en charge d'une manière directe ou indirecte par les partisans du FLN, devaient verser 5 à 10% de leur salaire régulièrement. Les responsables de la Fédération de France avaient prononcé des condamnations, des exécutions, qui ont même été commises. S'ajoutait à ces batailles informelles: la pratique du racket qui consistait à rançonner une partie des pourcentages des recettes des hôtels, des cafés, des restaurants et des commerçants.
Le milieu des jeux et du proxénétisme de Pigalle, de Barbès... etc ont aussi été les espaces de guerres fratricides. La guerre d'Algérie en France était aussi une guerre civile entre Algériens. Mais à partir du mois de mars 1958, c'était l'arrivée de Maurice Papon à la préfecture de police de Paris, suivie directement de l'instauration de la Ve République. Il engagea une répression féroce envers les Algériens. La répression et l'exécution sommaire des Algériens qu'on plaçait sur le dos du FLN avaient remis en cause, les valeurs fondamentales de la République française: celles-ci représentant le berceau des droits de l'homme.
La mémoire franco-algérienne se rappelle, d'ailleurs, encore des tragiques événements du 17 octobre 1961. Heureusement que le président français Emmanuel Macron avait déclaré officiellement le 16 octobre dernier que «les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables» tout en reconnaissant «les responsabilités clairement établies». C'est aussi pour cet idéal républicain contre le fascisme, sous toutes ses formes jusqu'au moment le plus crucial de l'Histoire de France, là où ses propres enfants plongeaient dans la Collaboration, qu'un indigène, un colonisé, répondit à l'appel du general de Gaulle pour libérer la France.
Ainsi, l'agent 99. 497 reprit alors le service pour les siens. Son engagement pour la lutte de libération de l'Algérie était une extension de celui pour la libération de la France. Nils Anderson, à l'origine de la réédition du fameux livre d'Henri Alleg «La Question», dans sa maison d'édition «La Cité», basée en Suisse après sa saisie et son interdiction en France, notera dans sa préface au livre de l'auteur Yazid Benhami: «Tintin a combattu le fascisme et le colonialisme».
Enfin, la France fut libérée. Pourtant, le 1er novembre 1954, les Algériens avaient eux aussi pris les armes pour libérer leur pays contre le colonialisme français.
Ce fut aussi la guerre dans la région d'Ath Menguellet, la terre natale et ancestrale de Tahar Ibtatene, mais aussi sur l'ensemble du territoire algérien. Tahar Tinouiline, un des responsables de la Fédération de France se rappelle que lui-même «s'était présenté chez l'ancien agent français qui avait une machine pour leur imprimer à la ronéo des tracts pour la Fédération de France». D'autres de la Fédération témoignaient que Tintin était leur agent qu'ils sollicitaient là ou il faut et quand il faut.


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