Algérie

Tahar Gaid. Ancien moudjahid, cofondateur de l'UGTA : «Le renouveau de l'UGTA ne peut se concevoir au sein d'un système corrompu»


HAMID TAHRI
EL WATAN
05 AOÛT 2019
Quelques jours avant sa mort, le 9 juillet dernier, Tahar Gaïd, ancien moudjahid, diplomate, ambassadeur, cofondateur de la centrale syndicale, islamologue, et du haut de ses 90 ans, a bien voulu répondre à nos questions relatives à l'actualité brûlante . Le vieux penseur n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour fustiger le système politique qui a sévi ces dernières années à travers une corruption jamais égalée pour mener le pays à la dérive . Malgré la situation inquiétante, M. Gaïd gardait le moral et restait optimiste pour l'avenir incarné par cette jeunesse impétueuse et déterminée.
Après 20 rounds de la révolution du Sourire, quelle est votre impression '
Un chemin important a été déjà parcouru depuis le 22 février 2019, date du déclenchement du processus de la marche que j'appellerai «La marche de la liberté et de la dignité». Il y a eu d'abord l'échec du 5e mandat, le départ du Président, l'annulation de l'élection présidentielle du 4 juillet 2019?
Mais le plus important a été la réalisation de l'unité du peuple algérien. Souvenons-nous, c'était d'abord la marche des jeunes, réveillés de leur léthargie inquiétante. Cette jeunesse a émerveillé le monde par son civisme, sa maturité politique, sa sagesse, son pacifisme, alors que nous l'avons crue résignée définitivement à son triste sort. Ensuite, c'est tout le peuple, toutes catégories sociales confondues et de tous les âges qui a empli les rues de l'Algérie et les chemins caillouteux des villages les plus éloignés du pays.
Enfin, c'est la soudure des populations du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, ne cédant aucun espace libre à la diversité ethnique : il n'y avait plus ni Arabe, ni Kabyle, ni Mozabite, ni Chaoui, ni Oranais, ni les plateaux sétifiens, ni les vallées oranaises, etc. C'est l'image renouvelée des années glorieuses de la Révolution algérienne de 1954 à 1962.
Le combat n'est pas terminé pour autant. Un autre long chemin doit encore être parcouru. Devant la victoire finale, il y a un bouchon qui obstrue le passage, et ce bouchon, c'est le pouvoir qui refuse une transition pacifique vers une IIe République démocratique et sociale. Il faut donc se méfier des arrière-pensées.
Que pensez-vous de l'attitude du pouvoir qui a tendance à recourir à la répression, de semaine en semaine '
Il est vrai qu'il y avait au début une bonne entente et une bonne ambiance entre la population et le service d'ordre. Il faut dire que les manifestants ont montré leur volonté de paix, avançant vers les policiers avec ce beau mot d'ordre «Paix», leur offrant même des fleurs, signe du printemps et de la joie.
L'autorité sécuritaire pensait qu'il allait y avoir essoufflement des manifestants. Elle avait compté avec le Ramadhan, pensant que la faim et la soif allaient décourager ces jeunes. Elle espérait que la longueur du temps allait émousser leur force, leur énergie et leurs espoirs. Toutes les tentatives ont été lamentablement vouées à l'échec. Il ne restait plus qu'à réprimer.
Cette répression démontre la faiblesse de ceux qui la préconisent. Ce sont des gens aux abois. Il est certain que le pouvoir n'arrive plus à maîtriser la situation et à orienter le mouvement dans le sens de ses objectifs. Aussi s'acharne-il de plus en plus à user de la violence. Il est à faire remarquer que le vaillant peuple n'est pas tombé naïvement dans le piège répression/violence, violence/répression. Au contraire, il a opposé le calme, voire même la dérision.
Pensez-vous que l'opposition est à même de répondre aux attentes du hirak '
Je ne veux pas parler de ces partis d'opposition dont les adhérents ne suffisent pas à remplir une chambre d'un appartement. Quant aux gros calibres, nous avons été témoins qu'ils ont été incapables de déloger l'ancien Président et de mettre un holà au système. Leurs activités ont abouti à un échec. Il n'en reste pas moins que leur expérience pourrait apporter quelque chose de positif. Quoi qu'il en soit, la IIe République a besoin d'un sang nouveau. Les véritables futurs dirigeants du pays devront être jeunes et issus du hirak, car ce sont des gens qui ne sont pas contaminés par le système. C'est dire que l'Algérie de demain devra être dirigée par des hommes politiques sans antécédents fâcheux, avec des idées neuves et des perspectives saines, basées sur la politique du juste milieu et de la justice sociale digne des préceptes et de la morale coraniques. A ce stade, je voudrais faire une remarque : je lis, à travers les réseaux sociaux, une certaine animosité à l'égard des islamistes, souvent confondus avec islam. Chacun de nous doit savoir que chaque école idéologique a ses extrêmes. S'il convient de condamner sans appel l'islamisme obscurantiste, il ne reste pas moins qu'il y a des laïcs aux idéaux fascistes.
Certains brandissent l'étendard des oulémas qui sont assimilés aux déclencheurs de la Révolution. Quel est votre sentiment '
En effet, l'Association des oulémas s'attribue la paternité du déclenchement de la Révolution de novembre 1954. C'est ainsi que ses membres s'érigent en novembristes. Ce ne sont pas seulement des rumeurs. Il semble que c'est cette information qui serait enseignée dans nos écoles primaires. Si cela est vérifié, il y a lieu de rétablir la vérité car il ne faut pas introduire des mensonges dans l'esprit de nos bambins. Mieux encore, j'ai entendu moi-même, il y a une vingtaine d'années, lors d'un séminaire sur la pensée islamique organisé par le ministère des Affaires religieuses, feu Cheikh Hamani, président à cette époque de l'Association des oulémas, déclarer au micro, en pleine assemblée plénière, que les oulémas étaient les véritables artisans de la Révolution. Après quoi, feu Naït Belkacem a remis les pendules à l'heure en précisent devant le même micro que la Révolution de Novembre a été l'œuvre des «enfants de Messali Hadj».
Un peu d'histoire, sans aller au fond du problème, nous éclairera sur la position des oulémas vis-à-vis de la question de l'indépendance de l'Algérie. Leur Association soutenait l'UDMA, parti de Ferhat Abbas qui réclamait l'autonomie interne. Je peux en témoigner puisque j'étais témoin de cette époque. J'étais même un membre actif. En militant du PPA, j'ai combattu la politique oulémiste. Quelque temps avant 1954, feu le Cheikh El Ibrahimi était en visite à Guenzet, invité par feu le Cheikh Salhi. Avant, un meeting était organisé sur la place du marché. Après un exposé sur le travail des oulémas dans le domaine de la culture, un des chouyoukh aborda le problème politique et déclara, après avoir vertement critiqué les militants indépendantistes : «Comment voulez-vous obtenir l'indépendance de votre pays alors que vous n'êtes même pas capables de fabriquer un clou '» C'est clair et net. Il n'y avait aucune ambigüité.
Il convient de rendre un vibrant hommage au Cheikh Larbi Tébessi qui avait rejoint aux premières heures la Révolution. Les autres membres de l'Association ne croyaient pas du tout au succès de la lutte armée. C'est vers septembre ou octobre 1955 que Abbane chargea Ferhat Abbas de faire une collecte de fonds parmi les militants et les sympathisants de l'UDMA et de leur demander ainsi qu'aux membres de l'Association des oulémas de rejoindre individuellement le FLN. J'en suis témoin puisque c'était Amara Rachid et moi-même qui devions accompagner Ferhat Abbas auprès de Abbane à son retour du Constantinois. Conclusion : les oulémas ont rejoint le FLN plus d'une année après le 1er Novembre 1954. Espérons que cette mise au point mettra fin aux informations mensongères et à la falsification de l'histoire.
Comment interprétez-vous l'interdiction par le pouvoir faite aux manifestants de déployer l'emblème amazigh '
Il semble que le pouvoir ne distingue pas entre un drapeau national et un emblème indiquant une identité et une culture. Il est vrai que certains Kabyles parlent de l'emblème amazigh comme si c'était la propriété exclusive de la Kabylie. Soyons clair : nous avons, d'une part, un drapeau qui représente la nation algérienne du nord au sud et de l'est à l'ouest, et un emblème qui nous rappelle l'origine lointaine des Algériens, leur culture et leur civilisation.
Ce pouvoir ne veut pas comprendre que le degré de maturité politique du peuple a atteint un niveau tel qu'il ne se laisse plus prendre à ces mesquins sortilèges.
En votre qualité de cofondateur de l'UGTA, comment interprétez-vous la passation des pouvoirs au sein de la centrale syndicale, où les travailleurs devront attendre pour voir le renouveau puisque le nouveau secrétaire général est chargé d'assurer la continuité du système et de la gestion de son prédécesseur décrié, Sidi Saïd '
L'UGTA a été créée dans le feu et le sang et voilà qu'un dévoyé la corrompt, la transforme en une zaouïa avec des adeptes. Je revois encore cette vidéo où Sidi Saïd défendait le 5e mandat. Il demandait à ses ouailles de répéter plusieurs fois le nom de Bouteflika parce que, prêtant l'oreille, il leur disait qu'il n'entendait pas bien ce qu'il disait. Ces harkis de notre époque ressassaient le nom de leur idole sans rougir, sans honte, ne prenant pas conscience qu'ils étaient avilis, humiliés, qu'ils n'étaient plus des humains mais des marionnettes, sans âme et sans raison. Le nouveau secrétaire général et ceux qui l'ont plébiscité font partie de cette catégorie d'énergumènes.
Il ne faut pas s'étonner de cette situation car comme vous le savez, il n'est pas possible de maintenir une tomate saine au milieu d'un cageot de tomates pourries. Autrement dit, il s'ensuit que ce sera lorsque la nouvelle ère attendue par le peuple se réalisera pleinement que la centrale syndicale retrouvera la place qui lui revient dans l'édification du pays car c'est le désir et la volonté de la majorité des travailleurs.
Que vous inspire l'incarcération du moudjahid Bouregaâ '
Je pense qu'il est libre d'exprimer ses opinions sur n'importe quel problème, sauf celui ayant trait à la sécurité nationale. Les autorités qui l'ont arrêté auraient dû tenir compte de son statut de moudjahid et de son âge. Ils pouvaient le mettre en résidence surveillée. Ce qui a été fait est déplorable et inhumain !
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