La cohabitation
entre fumeurs et non-fumeurs a toujours été difficile au sein d'une même
entreprise. Des conflits surgissent souvent pour une cigarette fumée, un geste
mal apprécié par les non-fumeurs.
Les uns se
défendent en parlant de liberté individuelle. Pour les autres, il s'agit tout
simplement de se préserver du tabagisme passif qui est aussi nocif que l'acte
de fumer lui-même.
Pourquoi le débat
sur le tabagisme sur les lieux de travail est toujours d'actualité et suscite
autant de conflits ? La réponse est simple, selon des spécialistes. Huit ans
après que l'usage du tabac a été réglementé dans le cadre du décret exécutif
promulgué en 2001, fixant les lieux publics où l'usage du tabac est interdit,
son application traîne le pas. En milieu hospitalier, au sein des entreprises
publiques ou privées, dans les établissements de formation et d'enseignement,
on trouve encore des cendriers sur les tables et aucune note n'est affichée
annonçant que c'est un espace non-fumeur. Ceci au moment où, en Occident, les
campagnes antitabac sont devenues féroces, usant de tous les moyens de
communication pour sensibiliser les jeunes sur les risques de maladies dues au
tabac.
Pour vérifier
l'étendue de l'application de ce décret sur le terrain, nous avons interrogé
des personnes travaillant dans des entreprises et des responsables sur la
question. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'interdiction de l'usage du
tabac sur ces lieux publics n'est pas encore rentrée dans les moeurs. Les
employés se baladent encore avec une cigarette dans la bouche sans se soucier
d'être sanctionnés pour ce comportement. A l'hôpital, des médecins en blouse
blanche circulent entre les services, une cigarette entre les doigts. Certains
enseignants fument en classe même, devant leurs élèves. Certains malades
viennent pour une consultation et avant de rentrer chez le médecin, trouvent
encore le temps de tirer quelques bouffées. Des scènes courantes qui ne
semblent pas choquer grand monde.
Interdiction,
quelle interdiction ?
Etonnement et
parfois ironie, c'est ainsi que réagissent des employés interrogés si, au sein
de leur entreprise, on avait affiché une interdiction de fumer. « Il n'a jamais
été question d'une note pareille », nous dira une employée dans une entreprise
publique. Un responsable au niveau d'une administration explique, pour sa part,
qu'« il n'a jamais été interdit aux travailleurs de cette administration de
fumer même après la promulgation de décret en 2001. Pour que l'application de
cette loi ait un résultat, il faut d'abord sensibiliser les gens et leur
expliquer les risques du tabac et les sanctions qu'ils peuvent encourir par
l'usage du tabac dans un lieu public. Or, tout ce travail n'a pas été fait.
Comment peut-on alors sanctionner les contrevenants ? ». Pour le professeur
Razkallah, médecin du travail et directeur du Laboratoire de recherche en santé
environnement à la Faculté de médecine, la lutte antitabac en milieu de travail
est un travail de longue haleine qui demande l'implication de tout le monde
pour sa réussite. Comment est réglementé l'usage du tabac en milieu de travail
? Le spécialiste commente que « l'usage du tabac est strictement interdit dans
certains secteurs industriels tels que la pétrochimie, où les travailleurs sont
susceptibles d'être en contact avec des matières inflammables, des combustibles
et/ou des explosifs. Dans ces cas, l'interdiction ne vise pas à protéger
l'employé des effets de la fumée ambiante sur la santé, mais plutôt du risque
évident d'incendie et d'explosion ».
Il a réalisé, en
outre, une étude sur la prévalence du tabagisme parmi les travailleurs de la
wilaya d'Oran durant ces dix dernières années.
Paradoxes
L'enquête
transversale par questionnaire menée auprès de 1.848 travailleurs dont 984
infirmiers du CHU d'Oran, 619 employés dans l'industrie et 245 dans des bureaux
a montré, en effet, selon le médecin du travail, que la proportion de fumeurs
la plus forte est enregistrée chez la population masculine avec un taux de 48 %
pour la tranche d'âge 30-40 ans et de 39 % chez les sujets âgés de plus de 50
ans. Le professeur Rezkallah explique sur ce point que bien que ces dernières
années, la tendance chez les fumeurs est vers la baisse, la décision de
s'arrêter n'est prise qu'après 50 ans. Les sujets âgés entre 40 et 50 ans
passent généralement par une période de doute durant cette phase. « Ils pensent
à arrêter de fumer mais ils ne le font pas ». L'enquête menée auprès des femmes
travailleuses n'a pas donné, par contre, de résultats fiables pour la simple
raison que la population féminine trouve des difficultés à s'identifier. Sur
les 600 femmes qui ont répondu aux questionnaires, 6 seulement ont déclaré
qu'elles fument régulièrement et depuis plusieurs années, au moins un paquet de
cigarettes par jour, représentant, ainsi, un taux de 1 %. « Les chiffres chez
les femmes étant, à notre avis, anormalement bas, nous avons décidé de les
exclure de cette analyse », nous dira le professeur Rezkallah.
En analysant,
cependant, les résultats de l'enquête en fonction de la répartition des hommes
tabagiques selon la catégorie professionnelle, il a été relevé un phénomène
étonnant chez les fumeurs. Les employés dont les conditions de travail ne sont
pas difficiles tels que les infirmiers et les employés de bureau ont tendance à
fumer davantage. L'enquête a montré dans ce cas que les infirmiers ont tendance
à fumer plus avec l'âge, à l'inverse des travailleurs de l'industrie qui fument
moins avec l'âge, surtout après 50 ans. L'hypothèse avancée par le médecin du
travail : « probablement les mauvaises conditions de travail et la maladie qui
obligent plus les travailleurs de l'industrie à cesser de fumer que les
infirmiers ou les employés de bureau ». Les proportions de fumeurs chez ces
deux dernières catégories sont respectivement de 48 % et 43 %. Tandis que pour
les travailleurs de l'industrie, ce taux est de 44 %. Mais sur le plan
consommation tabagique, elle est plus importante chez les travailleurs de
l'industrie avec 14 paquets par an que chez les employés de bureau, 11 paquets,
et les infirmiers, 10 paquets.
Seules des images
choquantes... !
Si, auparavant,
le médecin n'abordait jamais le sujet du tabagisme avec le malade lors des
consultations, aujourd'hui, et dans le cadre de la lutte antitabac, le médecin
est tenu de discuter avec le patient, quand ce dernier est fumeur, sur le
risque du tabagisme et de lui donner un conseil minimal d'arrêter ou diminuer
la consommation. Les limitations imposées en matière de lutte contre le
tabagisme sur les lieux du travail figurent parmi les recommandations majeures
de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans le seul but de protéger les
individus. Les études ont montré que les lieux de travail constituent des
foyers importants au tabagisme passif du fait que la durée d'exposition est beaucoup
plus longue qu'au domicile. « Il n'est pas normal qu'un médecin consulte un
malade qui présente des signes apparents de consommation excessive de tabac et
ne discute pas avec lui du sujet et ne lui conseille pas d'arrêter. Il est du
devoir des médecins de conseiller leurs malades à ce propos et leur recommander
d'arrêter de fumer », souligne le professeur Rezkallah. Les gros fumeurs
demandent souvent l'aide après plusieurs années de dépendance. Ils veulent
opter pour une désintoxication, mais ils ne savent pas comment s y prendre.
D'où le rôle des médecins.
Pour la
psychologue, Mme Sbaâ, la dépendance la plus difficile à guérir chez les sujets
fumeurs est la dépendance psychologique. Des remèdes existent contre la
dépendance psychologique et, notamment, le besoin de nicotine qui commence à
faire son effet lorsque cette substance manque dans l'organisme. Guérir de la
dépendance psychologique reste un combat à gagner progressivement, estime cette
spécialiste. Les campagnes de sensibilisation sont-elles suffisantes pour
inciter les fumeurs à diminuer la consommation du tabac ou carrément arrêter ?
Mme Sbaâ insiste sur ce point que « cette étape ne peut être dépassée si le
fumeur n'exprime pas la volonté d'arrêter. On ne peut arriver à aucun résultat
si la personne concernée ne prend pas cette décision importante. Reste qu'il
faut aider cette personne à la prise de décision. Le recours à des images
choquantes peut aider les jeunes à renoncer à la cigarette ». Un constat ces
dernières années, souligne la psychologue, « il y a de plus en plus de prise de
conscience sur les méfaits du tabac du fait que les gens sont plus informés ».
Même les hôpitaux
ne sont pas non-fumeurs !
Lutter contre le
tabagisme passif, un casse-tête chinois pour les spécialistes. Cette action,
aussi importante qu'elle soit, ne figure pas encore parmi les priorités du
gouvernement. Le professeur Ziane, un pneumologue et chercheur au Laboratoire
de recherche en santé environnementale regrette, pour sa part, l'absence d'une
action nationale antitabac pour encourager les fumeurs à arrêter de fumer et
protéger en même temps les personnes exposées en permanence à la fumée du tabac
sur les lieux de travail. Selon ce spécialiste, « nous dépensons trois fois
plus que ce que nous gagnons sur le tabac, car un fumeur coûte très cher à
l'Etat. 10 % du tabac vendu vient de la contrebande. Il échappe donc à tout
contrôle. C'est un produit très nocif vu qu'il ne répond pas aux normes
internationales ». Evoquant le décret interdisant l'usage du tabac dans les
lieux publics, le Pr Ziane souligne que cette loi n'est pas respectée même au
niveau des hôpitaux. Il rappelle, à cet effet, une note ministérielle adressée
aux établissements hospitaliers en 2007 et qui a coïncidé avec le premier jour
du mois de Ramadan. Cette note n'a eu aucun effet parce que la période de son
affichage a été mal choisie ». A l'exception de cette note qui n'a pas été
prise en considération, aucune interdiction de fumer n'a été signifiée aux
travailleurs de l'hôpital. Pour le Pr Ziane, beaucoup reste à faire pour un
hôpital sans tabac. Ce spécialiste estime que le malade fumeur doit être pris
en charge d'une manière spécifique, et pour faire bénéficier les patients d'une
telle prise en charge, le spécialiste oeuvre pour que consultation et
tabacologie soient deux actions menées simultanément par le médecin. « Un moyen
de prévention contre des décès qui sont parfois inexpliqués tels que les arrêts
cardiaques », indique le Pr Ziane.
Quelques
indications sur les bienfaits d'arrêter de fumer. 72h après, le sujet ressent
une relaxation des voies aériennes et une respiration plus facile, augmentation
des capacités pulmonaires. Deux semaines à trois mois après, une amélioration
de la circulation sanguine est ressentie, la marche devient plus facile et la
fonction pulmonaire augmente de 30 %. Trois à neuf mois après, la toux,
congestion sinusienne, fatigue et dyspnée diminuent régulièrement, repousse des
cils vibratiles bronchiques et augmentation de la capacité de drainage
bronchique et enfin, augmentation des capacités énergétiques corporelles.
L'Algérie
enregistre 18.000 décès par an dus au tabac. Plus de 7.000 décès par infarctus
du myocarde, 4.000 par cancer bronchique et 2.000 par insuffisance
respiratoire.
Ce que prévoit la
loi
Pour revenir au
décret exécutif n°01-285 du 24 septembre 2001 fixant les lieux publics où
l'usage du tabac est interdit, il stipule clairement que l'interdiction de
fumer concerne « les établissements de formation et d'enseignement, les
établissements de santé, les salles où se déroule des manifestations sportives,
culturelles, scientifiques, économiques et de loisirs, les lieux de travail
affectés à un collectif de travailleurs : locaux d'accueil, de réception et de
restauration collective, salles de réunion ainsi que les locaux sanitaires et
médico-sanitaires, les transports publics, routiers, ferroviaires, maritimes et
aériens, les locaux commerciaux où sont consommés, sur place, des denrées
alimentaires et des boissons, les salles et zones d'attentes, les lieux
utilisés pour l'accueil et l'hébergement des mineurs ». Des sanctions
administratives et disciplinaires sont prévues pour les contrevenants, fumeurs
ou employeurs dans les articles 8, 9 et 10. Des sanctions disciplinaires allant
du simple avertissement à la mise à pied de 1 à 3 jours sont infligées aux
fumeurs pris en train de fumer hors de l'emplacement réservé à cet effet.
L'employeur est puni de mesures administratives allant de la mise en demeure à
l'interdiction d'exercer pour une période de 15 jours pour le délit de réserver
aux fumeurs des emplacements non conformes, de ne pas respecter les normes de
ventilation et de ne pas mettre en place la signalisation. Quant à l'article
11, il prévoit des actions d'information, d'éducation et de communication à
destination des personnels, des usagers et de toutes personnes fréquentant les
lieux publics visés par le présent décret. Le professeur Rezkallah explique que
« l'interdiction de fumer s'applique donc aux lieux de travail. Il est, par
conséquent, permis de créer des zones fumeurs. Les règles relatives à la
délimitation des zones fumeurs sont prévues dans les articles 5, 6 et 7. Il
s'agit de locaux spécifiques créés avec toutes les conditions d'aération, de
ventilation pour assurer la protection des non-fumeurs. Une signalisation
apparente doit rappeler le principe de l'interdiction de fumer et indiquer les
emplacements mis à la disposition des fumeurs. Malgré cette réticence dans
l'application de cette loi, le Pr Rezkallah se montre optimiste après le
constat fait dernièrement sur la prévalence du tabac en entreprise. En effet,
2/3 des travailleurs ont arrêté de fumer de leur propre chef. Dans une usine de
matière plastique, 34 % des travailleurs sont des ex-fumeurs, 25 % sont des
fumeurs et le reste est non-fumeur. Un constat positif, les gros fumeurs fument
de moins en moins. Cette tendance à la baisse a été enregistrée grâce aux
médias étrangers. D'où, la nécessité et l'importance de mener une campagne de
lutte antitabac en entreprise, pour préserver la santé publique par la
prévention des maladies liées au tabac et protéger les non-fumeurs. Le constat
est là, 70 % des fumeurs souhaitent arrêter de fumer et voudraient être
assistés dans cette démarche.
Posté Le : 13/04/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : B Mokhtaria
Source : www.lequotidien-oran.com