Algérie

«Ta Page», librairie à la page du Télémly



«Ta Page», librairie à la page du Télémly
Le monsieur, pour ceux qui ne le connaissent pas, s'appelle Ramdane Iftini. Fonction, libraire ou plutôt moudjahid du livre. Vieux maquisard des mots qu'il essaye de faire vivre pour en vivre un peu. Ce n'est pas un marchand du livre. C'est le maître des mots du cercle des poètes libraires disparus. C'est qu'au moment où des librairies sont «mangées» par la malbouffe qui s'y substitue à Alger, monsieur Iftini, ancien inspecteur des Domaines, offre au livre un domaine d'élection et de prédilection. Sans tapage, mais par chance, il installe «Ta Page» au 75 boulevard Krim Belkacem. Comme un clin d''il révérencieux au vieux maquisard des monts du Djurdjura. Et comme un hymne à la vie, il domicilie sa librairie à deux pas du célèbre «Pont des suicidés», à proximité de Sainte-Elisabeth, le lycée de jeunes filles baptisé du prénom de la préférée des épouses du Prophète. Autre clin d''il, du hasard littéraire ce coup-ci, le local de «Ta page» appartient à une dame des livres prénommée Fatma-Zohra, nièce de l'auteur de La Colline oubliée, un certain Mouloud Mammeri. Ça ne s'invente pas. A y regarder dedans, la relation de monsieur Iftini au livre, c'est tout un roman. «Ta Page», c'est le Figuier de François Maspero. Tout comme l'écrivain-traducteur-libraire, il aurait pu dire, «je me suis fait libraire en reprenant une boutique à l'abandon qui sentait le pipi de chat». Monsieur Iftini, lui, est libraire depuis qu'il avait vingt-cinq ans. Ce fou liseur, dont la devise est «un bon libraire est un libraire vivant», a créé sa première librairie à Douaouda, sur le littoral algérois. Puis, en fidèle lecteur de Mouloud Feraoun, il emprunte les chemins qui montent de Larba Nath Irathen pour y installer Epigraphe, sa seconde échoppe à bouquins. Puis, ce fils du pauvre crée encore Ussan dhi thmurt, des jours en Kabylie à vivre à lire. Pour lui, c'est librairie, Kabylie et résistance intellectuelle pour la république et la démocratie. Oui, chez lui, le livre, c'est RES publica. Oui, libraire, c'est le métier de lire, le métier de vivre. Au 75 Bd Krim Belkacem, un roman coute 200 à 1 000 DA, soit le prix d'un ou de cinq sandwichs de chawarma hyper-lipidiques. A «Ta Page», on ne s'arrête pas par hasard, on y vient. Pas seulement pour les livres mais pour discuter des auteurs. Célébrer le printemps berbère où la transmutation du webzine Esprit Bavard en bookmag en papier. C'est sûr, Ramdane Iftini est un libraire polychrome et polymorphe. Il fut, dans une autre vie, fonctionnaire du ministère des Finances. Ci-après, documentariste amoureux de la belle voix kabyle de Hanifa. Dans Eloges de l'amitié, Tahar Ben Djelloun dit que «le libraire est l'ami du livre ; pas de tous les livres, mais de ceux qu'il considère pour les transmettre aux lecteurs». D'ailleurs, notre Iftini bouquineur refuse de proposer ces «essais historiques mal écrits qui redisent les mêmes choses ; ou ces mémoires de tel ou tel combattant, ces sans-eux il n'y aurait rien eu dans le pays». «Ta Page», c'est finalement le Radeau de la méduse de François Weyergans. De ces libraires, loups solitaires, affamés de mots et assoiffés de culture, l'écrivain et cinéaste belge dit qu'«il en va de la vie comme du
whisky : ce sont des passions auxquelles il vaut mieux s'adonner seul». A «Ta Page», Ramdane Iftini est presque seul mais il est totalement unique.
N. K.




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