Il n'est pas un
souci de pouvoir, à six heures du matin, se procurer une place dans un taxi à
destination de T'kout. Voyage inaugural, mais aussi première découverte. L'haleine
est présente dans la tête dès l'installation de la virée projetée dans
celle-ci. «Bismi ellah», disait le conducteur en remuant son contacteur.
Batna est un
massif. Un berceau froid, de glace et de verglas. Au sortir du chef lieu de la
wilaya, la neige n'était qu'une parure ornant les cimes des plus hautes
altitudes. Dès l'amorce de la pente des Aurès, la poudreuse commençait par se
faire voir en bordures de routes. Ceci n'est qu'un indicateur de passage d'un
engin ayant dégagé l'accès routier. La vallée en direction d'Ichmoul était
toute vêtue d'un magnifique manteau blanc, voilà une semaine et qui perdure intact
à son état. Il lui donne un air majestueux et inviolable. Ghassira, une
bourgade faisait le trait d'union vers ce hameau destination finale de notre
visite. T'kout. En toute apparence, une trinité d'icones viennent
visibiliser cette région. La révolution, le froid et la silicose. Le village
est assis sur un plateau culminant à plus de 1200 mètres
d'altitude. D'un relief montagneux, les chemins qui s'entrelacent pour relier
les multiples dachras sont moins escarpés, selon certains avis, qu'ils ne le
furent dans un passé récent. De petits bourgs et des habitations troglodytiques
ont été érigés sur les bords et sur les ailes des gorges presque rupestres.
L'affluent Ighzir Amellal (la rivière blanche) qui nait des cimes du djebbel
Chelia, vient sillonner l'espace communal de T'Kout. Il a crée au fil des aléas
et du temps un long canyon, dont une partie est spécifiée touristiquement sous
le nom féerique des Balcons de Ghoufi. Sans doute, ce sera cette géographie un
peu abrupte qui favorisait la consolidation du sentiment de «rébellion» face à la France occupante.
La bourgade donne
l'impression, eu égard à l'état des chaussées de l‘éclairage public et d'autres
significations urbaines, que nous ne sommes pas dans les salons de la
république. L'arrière boutique fait injustement le pays profond. Même les cafés
semi-bondés ne sont ici que des déversoirs de dénuement et d'oisiveté. Les
jeunes, quelques-uns uns du moins, se trouvent connectés au monde par le gel
des coiffures et le maniement digital et ludique de leurs bâtonnets de
portables mobiles. L'insouciance dans ces lieux n'est pas présente, comme elle
le serait ailleurs notamment dans la classe juvénile. Un jeune de T'kout est
déjà adulte à l'âge de l'enfance. Les problèmes que la vie lui réserve dans cet
univers plein d'embuches et de malaise emplissent à satiété sa quotidienneté.
Le seul lycée que compte l'agglomération et que dirige avec panache une jeune
femme venue de la haute Kabylie n'est pas pour se désemplir. Le taux de
déperdition scolaire y est important et cette importance touche
particulièrement le sexe féminin. La fille à T'kout ne semble pas, elle aussi,
destinée à un monde de travail où le travail n'existe pas. Le caillou et sa
modélisation ne se prennent pas comme un art femelle. Dans le passé, la
postérité dit, que l'on ne passait pas par T'kout, on y allait, point final.
Maintenant le village est désenclavé permettant ainsi d'y passer pour rejoindre
Khenchela ou Biskra par Mechtas de Serahna et Chorfa constituant la commune de
Kimmel. Les valeurs sociales qui s'oublient un peu partout y sont pérennes et
en permanence debout. A cheval sur ce patrimoine immatériel, l'on a constaté
des fils au volant accompagnant leurs pères d'un point à un autre à l'occasion
festive de cette journée. L'obéissance filiale à l'autorité parentale y est
intacte dans ce beau pays. Le fils n'a pas à prendre son autonomie, tant que le
père souffle encore de la vie. Enfant d'hier, il le demeurera à toutes les
étapes de sa progression humaine et chronologique. La sapience du fils et
toujours sujette à la sagesse du paternel. L'identité étant une appartenance,
elle ne se résume pas à un simple intitulé patronymique. Elle est une
institution tribale. Les gens d'ici sont toujours imprégnés de cette quête de
liberté. L'on ne pourra pas les renfermer dans des «Fx». C'est pour cette
raison que le tout, le décor n'est pas planté de ces hideux immeubles que l'on
nomme HLM, ou LSP. Le sol et l'immensité foncière, abrupte qu'elle s'offre en
altière assiette devant contenir un habitat quelconque. La vasteté du
territoire et la beauté des sites ne pouvaient militer en faveur d'une
restriction quant à l'indépendance des hommes et de leur terre. Ici, la
révolution est une seconde religion. C'est aussi une marque qu'ils tentent de
faire déposer en exclusivité dans les annales de cette
pittoresque région. Benboulaid natif d'Arris, localité située à quelques
encablures, est plus qu'une légende. Cette ville que l'on enjambe, via une
nouvelle bifurcation, apparait de loin, gardant toute fière ses légendes et ses
gloires. Benboulaid est le phare illuminant, par sa vaillance, la vaillance de
toute la panoplie de ses compagnons de lutte. Précurseur du mouvement
insurrectionnel national, le héros est partagé dans son aura auprès de tous les
douars avoisinants. C'est leur enfant, c'est leur grande fierté. Les dates
nationales se fêtent ici avec plus d'entrain et d'enthousiasme que les
cérémonies religieuses. Avec plus de tonus et d'éloquence qu'ailleurs.
L'intensité y est générale. Ce 18 février 2012, journée nationale du chahid, le
cimetière local dédié à la mémoire des nombreux martyrs ne désemplissait pas.
L'on y arrive point à distinguer de la foule, les concernés, les officiels, les
invités.
Tout le village
était en toute plénitude concerné. Une fête pour l'ensemble. Les enfants,
badauds invétérés ou spectateurs de circonstances dévisageaient le cortège
officiel venu en grandes pompes célébrer les festivités de cette journée. Il y
avait une nette impression de liesse totale et générale. Tout le village était
dans un esprit de festival. La femme qui ne court pas les ruelles de T'kout à
participé néanmoins, en tant que fillette à un mini-marathon dans les rues du
village. Le nombre des moudjahidine est impressionnant. Presque tous le sont.
Un monsieur qui croule sous la charge des ans et qui garde toute sa lucidité
s'est vu honoré, non pas par une attestation de reconnaissance, car celle-ci
est clairement affichée dans les plis de son visage, mais par un acte
symbolique au nom de toute la contrée. La conjonction de la maison du fier
combattant et partant celle de tout le douar au réseau national du gaz
liquéfié. Le branchement au gaz naturel, effectué par le ministre de l'Energie
et des mines, lui aussi natif de la localité est une autre reconnaissance
étatique pour les gens de la localité. Le monsieur, Haba Mohamed ex-commandant
de l'ALN compagnon de Mostefa Benboulaid en tire une réelle satisfaction
didactique. Il me dira en substance «ça aussi c'est un signe d'une autre
indépendance… à l'égard du froid et du butane». Il incarne à lui seul,
l'entiereté de la modestie de ces gens. Affable et courtois, il s'empêchait de
s'étaler sur des faits historiques, voulant être taraudés par mes
interpellations successives. Il est un secret encore en vie.
La neige encore
visible, entassée dans des amas éclaboussée par la mixture de l'écoulement des
eaux et de la gadoue signifie bien qu'il a bien neigé, il y a quelques jours.
Le village, nonobstant l'imagination qu'un effort de salubrité ait eu lieu,
reste cependant sujet à beaucoup de contretemps. La voirie et l'esthétique
urbaine n'arrivent point à épouser la beauté environnementale qui trône sur la
haute géographie régionale. La nature a fait apprendre aux hommes de se
prémunir contre le fatidique et l'aléatoire. Les hivers sont rudes et fortement
rigoureux. On ne porte pas de pardessus ou d'anorak, seule la kachabia est élue
depuis la nuit des temps apte à faire office de rempart vestimentaire contre
les morsures du gel et de la froidure. Avec ses attributs, elle sert à couvrir
toutes les extrémités du corps. En plus du symbole qui s'y attache comme tenue
de combat lors des prouesses du maquis d'antan, la kachabia est une fierté à
arborer. Sauf quelques hommes, qui peut être cérémonie oblige, se sont mis semble-t-il
exceptionnellement en costume, cravate, les autres forment à l'unisson un beau
tapis tissé indistinctement de laine brunâtre ou de poils de chameau. Un décor
digne des Å“uvres artistiques d'Etienne Dinet. Il subsiste, au cours du
cheminement que l'on a trottiné certaines maisons rurales où se trouvent encore, stockés des menus fagots de petits bois
destinés assurément au chauffage. La méthode ancestrale est toujours vivace
par-devant le besoin irrésistible.
La troisième
référence de T'kout, hélas reste cette menace mortifère qui guette plus
particulièrement les jeunes. La silicose. Une espèce de retour de manivelle du
travail de la pierre. On te dit «a T'kout, si tu n'es pas tailleur, tu es
chômeur» cette profession de foi d'un jeune au sourire angélique est vite
étayée par toute une kyrielle nominative de morts et de ceux en instance de
l'être. Tailler de la pierre est un métier qui prend ses racines dans la nuit
des temps. Les aïeux, pionniers dans cette résidence, ne pouvaient pour
s'abriter que d'apprivoiser à force du muscle, la nature. Elle leur offrait
pour ce faire une unité de production à ciel ouvert. La pierre ici semble
sourdre de la terre. Elle pousse, elle est là à vous haranguer de l'amadouer
pour en faire Å“uvre utile. Pour preuve toutes les habitations du moins celles
moins neuves, sont édifiées à l'aide de ces pierres. Taillées selon l'exigence
du calibre, elles servent de murs porteurs, de mur de soutènement, de haies, de
renforcement de talus. Les parents ont eu à faire dans le temps des ponts, des
chaussées et des petits viaducs. L'itinéraire infrastructurel routier menant de
Batna à T'kout est plein de travaux du genre. L'édification de drains, de
fossés, les travaux de cantonniers, la réalisation des gabions de surcroit sur
des terrains accidentés, faisaient élire en premier chef, la pierre comme
matériaux de construction amplement adéquats et possibles. C'est cette pierre,
sinon ce sont ces mains et ce doigté habile qui ornent les plus belles villas
d'Alger et des grandes métropoles. Les artistes-maçons T'koutis meurent dans la
poussière que laisse l'ouvrage fini. Les plus absorbés par cette tourmente
pensent arrêter définitivement cette activité crevarde. Ils se résignent au
sort qui a atteint leurs camarades, mais tentent de maudire ce sol qui au lieu
de faire nourrir ses enfants, les tue à coup de poussière atomique, lentement,
impassiblement, un à un. Ils fustigent l'Etat, les élus et le système de la
distribution des richesses nationales. L'on saura que la willaya va, dans un
cadre de stimulation à l'investissement encadrer décemment le processus de ces
jeunes, déjà constitués en coopérative. L'espoir renaît au sein de ces artisans
tailleurs. Ils affrontent l'inconstance du destin, refusent la précarité et
bravent ainsi la roche, sa rudesse et ses ions.
Le site est certes attractif pour un
chroniqueur, passager-reporter fugace mais certainement de mal en pis pour un
habitant attitré. J'aurais bien voulu allonger ma présence, voir et contempler
T'kout by night, élargir davantage mon impression, mais l'indisponibilité de
structure hôtelière a fait qu'ici, l'on ne découche pas dehors. Le chez-soi est
également une norme locale. L'on a vu un projet d'hôtel se construire juste à
proximité du mausolée des martyrs. En plein centre ville. Il est l'Å“uvre de feu
Chaabani Louardi, un enfant de la ville, grand richissime et généreux promoteur
immobilier. Par ce geste, il a voulu donner en toute certitude quelques choses
à son bled. Une maison où viendra un jour l'étrange chroniqueur voir l'évolution
de T'kout et admirer l'histoire de ses hommes et de son histoire. Aussi crier
sa douleur face à celle des autres compatriotes.
Sur un ton
mi-morose mi-plaisantin, j'allai regagner le chef lieu non sans ce gout de
l'inachevé. L'image d'un jeune homme, mal saisie car subreptice, portant une
longue chevelure, remuait en moi de mémoire, que T'Kout un an avait vu venir le
leader des Arouchs. J'aurais aimé m'en entretenir. Achoura, c'est de lui qu'il
s'agirait, aurait eu aussi sa plateforme. Car hasard ou rendez-vous de
l'histoire ou de la cartographie ; à 3 ou 4 kilomètres de
T'Kout, une agglomération se nomme «El Ksar». Entre El Ksar et El Kseur, me
disais-je la distance est flexible et l'enfer est parfois tout blanc. Un autre
taxi, difficilement cette fois-ci procurable, devrait m'emmener à mon retour.
Le trajet n'était consacré qu'au replay de cette plongée. Des visages
innocents, des mines patibulaires et des regards absents, je n'en garde que de
vagues brouillards que le clapotis d'une fine bruine venait mélodieusement se
mêler au vrombissement du moteur qui toussotait aux remontées des pentes.
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Posté Le : 23/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com