Algérie

«Système» et argent mafieux



«Système» et argent mafieux
En Algérie, tout le monde ne comprend rien, tout le monde est mécontent et personne ne sait où l'on va. Et pourquoi nous en somme là, à vivre l'échec stratégique renouvelé. Qui sait pourquoi le «Système», c'est-à-dire un pouvoir sans adresse IP (Internet Protocol), sans visage et sans nom, autres que ceux qui sont apparents, est toujours en retard d'une réforme et en avance d'un échec. Personne ne sait. Pas même un Premier ministre, depuis dix-sept ans au sommet du pouvoir apparent. En tout cas, durant plus d'une décennie, aux commandes des leviers formels de son économie. Ahmed Ouyahia, chef d'un parti gestionnaire, ancien chef de gouvernement, figure de la diplomatie officielle et de la diplomatie parallèle, naguère directeur de cabinet d'un président de la République, affirme que l'argent mafieux gouverne l'Algérie. Et quand il admet l'échec du gouvernement, pas seulement le sien, il pointe un échec collectif, donc, une responsabilité collective. Et là, le sieur Ahmed devient intéressant : si l'échec est celui de tout le monde et la responsabilité celle de tous, personne, précisément, n'est responsable. Et quand il n'y a pas de responsabilité, il n'y a pas de pouvoir identifiable. Dans une récente interview, Abderrahmène Hadj Nacer, économiste et banquier algérien de renom, surligne en fluorescent qu'il «existe un système opaque qui ne permet à personne, ni à ceux qui en sont éloignés, ni à ceux qui y travaillent, de répondre à la question : «qui est responsable '» Ce Système, qu'il faut toujours écrire en majuscule, n'a pas d'équivalent au monde, pas même dans la Russie post-URSS. Est-ce l'argent mafieux dont parle Ouyahia et qui serait à l'origine du blocage systémique, manifeste dans les sphères politique, économique, sociale et culturelle ' L'argent opaque a évidemment du pouvoir. Il en possède d'autant plus que la sphère économique informelle a pour allié direct une bureaucratie paralysante. En même temps, pour soutien objectif, une économie non régulée par un Etat gaspilleur de rente pétrolière, qui redistribue souvent pour mieux acheter une paix sociale incertaine. Une corrélation réelle existe forcément entre logique rentière et sphère économique parallèle. Relation de cause à effet, qui génère l'argent mafieux qui détiendrait l'ensemble des clés du pouvoir, selon la vision et l'expérience d'Ahmed Ouyahia. Mais même si l'actuel premier ministre semble en être sûr, l'argent informel, quel que soit le poids de son influence, n'est qu'un élément de la question. Il ne peut constituer nécessairement qu'une partie de la réponse. Hadj Nacer définit le Système algérien comme un ensemble doté d'une capacité à «se maintenir et à gérer un statu quo instable». Comme on l'a vu récemment avec les législatives du 10 mai 2012. Ce système, du même point de vue, se distingue en revanche par une «incapacité à se construire autour d'une conscience de classe». D'où cette permanente absence de lisibilité du Système, sauf du temps où Houari Boumediene parvenait à incarner un pouvoir visible, homogène et cohérent. Par jeu de miroirs et par effet de contraste, le système russe actuel, issu d'un système homogène et cohérent comme celui de l'ex-Union Soviétique, a pu évoluer grâce à une oligarchie qui en est issue et qui a su se transformer en une classe sociale en formation continue. Cette caste, qui détient l'argent sale d'hier, aujourd'hui blanchi, parvient à se projeter dans le futur, tout en reconduisant le statu quo qui permet des alternances en interne, du type Poutine-Medvedev. En Algérie, ni le chef de l'Etat, ni un général de corps d'armée, encore moins un Premier ministre, ne sont en mesure d'opérer une telle projection dans l'avenir, pas même à l'horizon 2014 ! Cinquante après l'Indépendance, bien malin serait celui qui définirait le centre ou la périphérie du Système algérien. L'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, sous le gouvernement réformateur de Mouloud Hamrouche (1989-1991), ajoute à l'absence de conscience de classe et à l'inaptitude à la prospective, l'opacité. La nébulosité est au Système algérien ce que l'eau est aux plantes et le carburant aux moteurs. Et, dans ce cas, le flou est toujours artistique. On parle aussi, très souvent depuis 1999, d'une équation de pouvoir à deux termes, dont l'un est la présidence de la République, l'autre, le couple armée-DRS. Là aussi, l'équation est une composante de la question et un segment de la réponse. En réalité, le «Système», c'est cette équation à deux termes, à laquelle il faut ajouter l'appareil bureaucratique d'Etat et la sphère économique informelle, qui confère son pouvoir à l'argent mafieux. Si, par définition, on ne peut pas évaluer l'influence et la responsabilité d'un pouvoir informel, en revanche, celle des pouvoirs apparents peut être établie. Le noyau militaro-sécuritaire, qui dépend constitutionnellement de la responsabilité du chef de l'Etat, n'assume pas la responsabilité de ses décisions. D'un point de vue politique, le noyau militaro-sécuritaire est un débiteur infidèle. Il n'est pas comptable de ses actes. Sous Houari Boumediene, c'était pourtant le cas. Depuis sa mort, à des degrés divers, ce fut également vrai sous Chadli Bendjédid. Depuis 1992, malgré le rajeunissement de ses élites, peu ou prou. Pour sa part, le pôle présidentiel est en principe redevable de son bilan devant le suffrage universel. Du point de vue du rapport de force fluctuant, il pourrait être débiteur devant le noyau militaro-sécuritaire qui peut-être, à certaines périodes, un commissaire aux comptes effectuant les opérations de solde de tout compte, comme on l'a vu avant 1999. Mais il parait que ça a évolué, de ce point de vue là. Et que la grille d'analyse, sur la base de l'évaluation dynamique du rapport de force bilatéral, n'est plus opératoire. Mais il semble aussi que le Système, lui, n'a pas changé. Sinon, on aurait vu clair à l'horizon proche de 2014.
N. K.




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