Le pouvoir politique annonce d'ores et déjà qu'il gardera la main haute sur la délivrance des autorisations d'émettre et maintient le flou sur le contenu de la «loi spécifique» annoncée pour compléter les dispositions de la nouvelle loi organique sur l'information.
L'ouverture de l'activité audiovisuelle se fera, selon le communiqué du Conseil des ministres, «sur la base d'une convention conclue entre la société algérienne de droit privé concernée et une autorité de régulation de l'audiovisuel, validée par une autorisation délivrée par les pouvoirs publics».Une ouverture qui s'annonce donc biaisée, en trompe-l'œil. Chez les professionnels, pas de jubilation dans l'air, mais beaucoup de réserves. Le secrétaire général par intérim du Syndicat national des journalistes (SNJ), Kamel Amarni, ne veut pas céder, dit-il, à l'«euphorie ambiante, alors qu'il ne peut s'agir que d'une ouverture sous haute surveillance, très contrôlée» par le pouvoir politique.
Même s'il concède quelques points positifs au nouveau code de l'information : dépénalisation du délit de presse et suppression des peines privatives de liberté, Amarni craint que cette «ouverture» ne tourne court. «Pourquoi créer une instance de régulation de l'audiovisuel en sachant qu'elle ne sera pas fondée de pouvoir et qu'elle aura une existence de pure forme '», s'interroge-t-il.
L'opacité dans le processus de délivrance d'autorisations d'émettre mine toute la démarche publique et renseigne sur les «arrière-pensées» prévalentes. «Cette ouverture, qui exclut de son champ les médias publics, ne profitera qu'aux puissances de l'argent.»
Pour preuve, précise-t-il, les cinq dossiers de demande d'agrément actuellement sur la table du gouvernement émanent de grands chefs d'entreprise, tels que Haddad (ETRHB), Rebrab (Cevital), Djillali Mehri, patron du groupe éponyme, Echourrouk, BeurTV, etc. Journaliste free-lance, El Kadi Ihsan ne crie pas à la «révolution» médiatique. Les «officines» au pouvoir procéderont, selon lui, au «cas par cas» en privilégiant l'octroi d'agréments aux seuls «produits amis», entendre par là, les investisseurs et autres hommes d'affaires proches du «palais». «Car je ne vois pas ce qui empêcherait que Haddad (patron de l'ETRHB) possède sa propre chaîne de télévision (…).» La loi, telle qu'elle a été conçue, confère au pouvoir le moyen de choisir lui-même les opérateurs avec lesquels il voudrait traiter.
Ouverture…sur les puissances de l'argent '
Belkacem Mostefaoui, professeur et directeur adjoint de l'Ecole supérieure de l'information et la communication, se dit tout aussi sceptique. «C'est un leurre, juge-t-il. Sous couvert d'ouverture, le pouvoir ne cherche qu'à faire profiter les copains et les coquins proches du château, les premiers qui seront servis quand il sera question de création de chaînes privées.»
Il y avait, selon lui, de la «précipitation», une «absence totale de transparence», «comme un jeu caché» dans la conception de ce projet de loi. L'autorité de régulation sera à l'audiovisuel ce que l'ARPT est pour les télécommunications, «une instance bidon», commente-t-il.
«les réformes d'après-88 étaient plus ambitieuses»
La tentation est forte de copier en la matière les modèles égyptien, libanais, tunisien, marocain, italien... avec une «marchandisation» effrénée de l'audiovisuel faite d'une foultitude de chaînes commerciales créées par les «compagnons idéologiques» des régimes. «Il y a une strate sociale algérienne qui, souligne-t-il, a gagné beaucoup d'argent, singulièrement depuis le début du terrorisme et par l'accroissement de la rente pétrolière et il y a ceux qu'on peut désigner comme les ''nouveaux entrepreneurs en audiovisuel qui veulent placer leurs billes, parce que c'est rentable (publicité, visibilité, lobbying). Je crains, en effet, que la société algérienne, qui n'a jamais connu de service public de l'audiovisuel, dans le vrai sens du terme, ne le connaisse jamais, parce que cette ouverture est annonciatrice de création de télés commerciales créées par les seuls rentiers du sérail et dans ce cas, on perdrait beaucoup de plumes en matière de droit à l'information.»Â Â
Journaliste à l'Agence presse service, Mustapha Aït Mouhoub, également animateur de l'«Initiative pour la dignité du journaliste», regrette que la revendication d'ouverture médiatique soit traitée avec des «demi-mesures». «Soit, on ouvre complètement en mettant des garde-fous, soit on continue à verrouiller le paysage, mais on ne peut se satisfaire de demi-mesures.» Il s'agirait néanmoins d'une «première», une «ébauche d'ouverture», mais le défi est plus «important».
Car en plus de l'ambiguïté entourant la démarche des pouvoirs publics, les «conditions objectives» pour le lancement de chaînes privées ne sont pas réunies, d'après lui. «L'absence totale d'un marché et d'une industrie de l'image est un handicap sérieux. Ce ne sont certainement pas les quelques boîtes audiovisuelles privées qui pourront combler ce vide», affirme Aït Mouhoub.
Ex-directeur du Soir d'Algérie et président du défunt conseil d'éthique et de déontologie, Zoubir Souissi refuse de jeter le bébé avec l'eau du bain.
Souissi estime qu'il y a incontestablement «évolution», même s'il reconnaît que la philosophie des réformes engagées en la matière après la révolte d'Octobre 1988 sont beaucoup «plus ambitieuses» que celles proposées par le Conseil des ministres. «Il est certain, ajoute-t-il, que nous sommes en décalage par rapport à la dynamique des révolutions arabes. Nous ne savons pas, à la lecture du communiqué sibyllin du conseil du gouvernement, où le pouvoir veut en venir en matière d'ouverture, mais nous n'avons pas le choix, nous sommes l'un des rares pays avec la Corée du Nord à n'avoir qu'une seule chaîne : on doit prendre ce qu'il (pouvoir) nous donne et revendiquer le reste après.»
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Posté Le : 14/09/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohand Aziri
Source : www.elwatan.com