Le nationalisme
en fait n'est pas un simple cours d'éducation civique. Ni la révolution un
simple fait historique.
Les deux sont à
la fois une forte sensation. L'une pérenne, l'autre a posteriori.
Un matin
d'octobre. Batna se lève sur un climat ordinaire, tel qu'à l'accoutumée. Malgré
son teint de ville gisant dans une incommodité urbaine, elle garde cependant
les traces d'une cité jadis soignée et entretenue.
Pour les besoins d'une chronique, l'actualité
circonstancielle l'en recommande; mais aussi pour un pèlerinage, devons-nous la
quitter la laissant à son tumulte caractérisant toutes les métropoles du pays.
Notre destination Arris. Un nom mythique tellement enrobé de hauts faits
d'armes. Le chemin était fort sinueux. Le paysage féerique. Les Aurès forment
en fait un monde déjà physique qui n'inspire que de l'histoire et la
révolution. Pour arriver à Arris, il faudrait se doter, non d'un routard ou
guide touristique, mais juste d'une capacité de pouvoir contenir cette charge
émotionnelle que vous débitent les lieux pour vous envoyer en droite ligne vers
un passé plein d'événements nationaux. L'altitude que prennent ces innombrables
montagnes aux sommets vertigineux est patente pour signifier votre présence
dans un massif des plus hauts du Maghreb. Les montagnes vous écrasent. Leur
prédominance vous assomme.
Khallil, l'un des
fils de Benboulaïd, savait expliquer plus d'une chose. Sans sa compagnie nous
n'aurions pas vu ni su autant de ces choses. La pérégrination devait commencer
par la daïra d'Ichmoul. Un haut lieu dont la valeur historique se confine dans
le musée dédié à la région et installé à dachrat Ouled Moussa. L'effort de
développement local dans cette contrée est peu reluisant dans ses termes de
réhabilitation de routes et voies diverses. La désolation va vous étreindre, si
ce n'est la vision de menus chantiers oeuvrant au colmatage et au comblement
d'autres lacunes.
D'une conception architecturale mesurée à la
dimension du thème, le musée est une réalisation à l'apparence frappante par le
cachet hautement culturel qui s'y dégage. Le seul matériau local utilisé
exclusivement donne l'impression que l'oeuvre vient de pousser comme une pierre
pour en finalité épouser naturellement le décor qui l'environne. Le concepteur
de ce bijou, l'on ne doute point, ne pourrait s'agir que de l'architecte
Benboulaïd Khallil, notre expert accompagnateur. Si l'ouvrage est une autre
nature de la proximité, si le lieu d'implantation est authentique, la galerie
de l'espace d'exposition appelle cependant moult suggestions. Autrement dit, la
beauté du contenant ne reflète pas la richesse documentaire censée s'y trouver.
Que de copies. Pas de pièces originales, à l'exception de quelques infimes et
menus objets, d'entre bandoulières, treillis, ou djellabas. La pièce originale
d'un support documentaire, notamment scriptural, de surcroît de haute valeur
historique, ne devrait, par essence bibliothécaire et sciences documentalistes,
avoir son réceptacle que dans la sécurité et la pérennité d'un musée. Ce
dernier est le meilleur espace dépositaire de l'autorité incontestable d'un
objet, document, graphie ou autre. Notre interpellation reçoit vite
l'acquiescement de l'accompagnateur. Bonne note est prise, nous a-t-il précisé.
Par ailleurs, dans ce lieu, la sensation étouffante de la transposition à
l'époque exposée vous monte à la gorge même par ces pâles copies. L'on y scrute
en silence, dans le silence des photocopiées, des visages et des visages, de
chouhada, de moudjahidine, d'endroits et de témoignages. Toutes les photos même
dupliquées vous extirpent pour vous mettre au-dedans de leurs nuances. Vous y
vivez l'événement si comme vous y étiez.
L'importance de ce lieu ainsi que le facteur
déterminant ayant recommandé justement l'édification d'un tel espace et
l'élévation d'une stèle commémorative se confinent dans la valeur historique de
l'habitation jouxtant le musée. Appartenant à la famille du grand moudjahid
Benchaiba, cédée à contenir l'histoire, cette demeure encore intacte et à
l'état d'alors avait servi au fameux regroupement devant agir sur plusieurs
opérations la veille du 1er novembre 54. C'est là, dans cette maison, faite de
pierres, de troncs d'arbres en guise de poutres et de poteaux, de parterre en
terre battue que Benboulaïd supervisait et traçait les objectifs stratégiques
du déclenchement de l'insurrection nationale armée. 350 hommes y étaient stationnés.
Ces hommes, tous
acquis au grand idéal devenu sacro-saint de vouloir libérer le pays du joug
colonial, furent cantonnés dans cette bâtisse, un certain temps avant l'assaut
final et rédempteur. Pour le visiteur que j'étais, ce fut un moment ardent qui,
charge sentimentale aidant, m'aurait permis entièrement l'interversion
temporelle à cette scène, où je devais voir des hommes et des hommes hardis,
animés unanimement par la vigueur nationaliste, allant et venant entre les
couloirs bas et étroits de la demeure, épiant par les lucarnes les abords
boisés et touffus, illuminés par l'espoir de gagner ce qu'ils allaient
entreprendre. La hotte installée au coin d'une immense pièce reste l'unique
indicateur qu'il s'agissait là d'une cuisine où les femmes aussi combatives que
les hommes, s'affairaient à assurer la nourriture nécessaire. Même l'odeur
culinaire semblait y être ! Ma transposition serait embrouillée par le son
explicatif de notre guide. J'aurais voulu dans mon intimité entendre les murs
aphasiques, le mutisme des claustras, les mansardes silencieuses et les
passages étroits et réduits me faire leur aveu. Me narrer cette partie de début
d'épopée. Me raconter la légende des Aurès. J'aurais voulu me pérenniser
davantage dans cette honorable et auguste tranche de vie.
A l'instant où
nous nous apprêtions à quitter les lieux de ce musée, une caravane de jeunes
étudiantes et lycéennes était là, dans le cadre d'une visite programmée.
L'aubaine est inouïe. Cette jeunesse eut droit à une explication sur le père de
la révolution par son fils. Ces jeunes bouillonnaient de questions. Ils
voulaient tout savoir, d'un seul trait. L'on sentait dans leurs yeux
l'émerveillement, mais aussi la fierté d'être la progéniture de Mostefa
Benboulaïd. Ils ne cachaient point cette douce fierté nationale qui
particularise les enfants de cette région, à l'instar d'ailleurs de tout le
peuple algérien. Parmi le lot, une jeune fille se distinguait tant par sa frêle
silhouette que par sa visible timidité. L'ayant abordée par le pourquoi d'une
telle sortie vers ce musée ? Elle s'exclama sans frémir et avec enthousiasme
«pour voir cheykhouna !». De qui s'agit-il ? devrions-nous lui préciser.
«Echahid el batal Benboulaïd». Moi, pantois et enchanté, je restais figé sur le
parvis. Elle, sourire aux lèvres, alla sereine et joviale se confondre à la
foule attentionnelle entourant le narrateur Khallil.
Le trajet continue sur la route Ichmoul/Arris
qui, étriquée par défaut d'entretien de part et d'autre, suscite la solitude
plombant majestueusement les lieux. Cette sensation d'isolement vous laisse
conséquemment libre à la contemplation de l'environnement, qui eu égard à sa
nature, n'aurait inspiré aux occupants que danger, menace et désarroi, avant
d'être pour eux un sarcophage, une mort et une déroute ; au moment où il
n'inspirait aux moudjahidine que quiétude, assurance et fermeté, avant d'en
être une arène de combats héroïques, de stèles de martyrs, de bravoure et de
guerre épique. La pierre et les buissons dans cet espace forment un couple
idoine. Ils font une icône exclusive dans ce monde des grands Aurès.
Arris aurait été une daïra comme les autres,
si ce n'était la valeureuse histoire révolutionnaire l'ayant honorablement
singularisée. Sinon il s'agirait d'une petite ville aux habitations éparses et
éparpillées à travers les monts et les sommets qui dessinent abruptement la
ville. Les gens commerçants par excellence vaquaient à leurs occupations. L'on
constate dans leur mine la fierté que leur aurait attribuée l'appartenance à cette
contrée. Tout indique qu'un héros dont l'effigie, le buste ou le nom s'affiche,
s'érige ou se baptise, d'entre places, rues et carrefours est là, veillant
comme un saint patron sur l'éternité de la ville et de son histoire, avec ses
monts et ses flancs.
Justement c'est sur les hauteurs d'un de ces
flancs que se trouve la demeure de Benboulaïd. Une vraie maison de maître. Il
se dit que celle-ci serait dans un proche avenir édifiée en un musée national
du leader de la révolution. Certains diraient que la ville aurait pu porter le
nom de celui sans lequel elle n'aurait émargé dans les cahiers de l'histoire.
Cela ressemblerait à l'approche didactique que tant de villes et de villages
portent le nom de valeureux martyrs. D'autres diront que la dimension de
l'homme dépasse par le symbole celle de la ville. En somme, avec ou sans
distinction nominative, l'âme et l'esprit de l'homme d'Arris flânent en
perpétuité dans l'air de la contrée, se répandant par ailleurs à toute la
région pour finir par se diffuser à l'ensemble du territoire. Comme une
légende. Un conte. Une réalité.
Notre virée
prendra fin dans la compagnie fortement multi-éducative de personnes, encore
marquées par les stigmates du temps, dans ce temps-là où chacun officiait à sa
manière mais conformément aux commandements de la révolution à la réalisation
des missions dévolues. Ils sont peu bavards. Ils mesurent lourdement les
paroles. Conscients de la haute responsabilité narrative et testimoniale quant
à la portée d'une quelconque déclaration sur l'histoire du mouvement
insurrectionnel, ces moudjahidine de la première heure estiment parfois, nous
semble-t-il, avoir compris que l'histoire est le produit éternel, définitif et
inaltérable de tout un ensemble de faits et non d'une position personnelle ou
d'un récit individuel. Nos interlocuteurs sont la modestie même. Celle-ci prend
son apparence dans la sincérité des propos que confirme le regard serein et
puise son authenticité dans la justesse du mot et du comportement que
légitiment la mesure, la décence et la simplicité. Chez ces hommes-là, le
souvenir, croit-on savoir, n'est pas un défilé d'images et de séquences
rattachées à un passé lointain. Il n'est qu'un vécu, toujours omniprésent. Réel
et référentiel. L'illumination que dégagent leurs yeux d'héros, encore
vigilants, est une autre preuve que le nationalisme ou la révolution ne sont
pas d'aussi simples cours d'éducation civique ou d'histoire. La réalité en est
un fondement permanent. Le repère dans le cÅ“ur.
Notre visite
allait prendre fin dans la bravoure de ces personnages. Elle s'est faite,
croyons-nous, entre les pages glorieuses d'une région dont les lettres de
noblesse furent sculptées sur les parois de ces djebels par ces artisans
imprenables. Le sang, le fer, la mort et la torture seront par cette
détermination de novembre éclipsés par l'espoir, la lueur et l'indépendance de
la mère patrie. Ils formeront avec d'autres la trame de fond de la belle
fresque des Aurès qui s'étendra à partir de novembre 54 sur toute la toile de
l'oeuvre nationale algérienne.
Nous laisserons Arris dans sa vie continuelle
de ville ordinaire, mais loin s'en faut que sa mystique puisse nous laisser
sans émoi. Le retour est à l'inverse de l'aller. Plein de rêveries et de
souvenances. Empruntant un autre chemin direct Arris/Batna, nous retrouvons
vite la capitale des Aurès telle que nous l'avons quittée. Bruyante et
brailleuse.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 29/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com