Algérie

sur les routes de la vie et de l'ennui


sur les routes de la vie et de l'ennui
Cela ressemble à un conte qui peut durer une année ou même une vie. La fiction Il était une fois en Anatolie, du Turc Nuri Bilge Ceylan, projetée, samedi soir, à la salle Cosmos à Alger, à la faveur du lancement des premières Journées du film méditerranéen, MediterraCiné, ressemble à une histoire interminable. Le cinéaste a fait un effort et a réduit le long métrage à 2h 37.  A l’origine, le film devait durer douze heures ! Pourtant, rien ne peut apparemment justifier une telle longueur dans le temps, puisque Il était une fois en Anatolie a tout d’un thriller banal.  Deux meurtriers guident un procureur, un médecin légiste et des policiers vers l’endroit de l’enterrement d’un homme qu’ils ont assassiné : trois voitures, une douzaine d’hommes et un voyage par une nuit venteuse sur les routes de la steppe d’Anatolie. Un périple monotone qui évolue au rythme de la mémoire ou du mensonge du meurtrier Kenan (Firat Tanis), peu certain de l’endroit où il a enseveli  sa victime, à côté d’une fontaine, d’un arbre, en bas d’une colline… Les policiers accompagnent cette hésitation avec une incroyable passivité. Le commissaire Naci (Yilmaz Erdogan) s’énerve de temps à autre, mais il s’adapte à la situation. Nusret (Taner Birsel), le procureur, tourmenté par une douleur intérieure que l’obscurité de la nuit intensifie, se confie à demi-mot au médecin Cemal (Muhammet Uzuner). Le jeune docteur semble réaliser à peine l’univers surréaliste où il se trouve. Il regarde mi-amusé, mi-intrigué les herbes folles de l’hiver se balancer avec le vent sous la lumière dorée des phares de voitures. Une scène poétique que Nuri Bilge Ceylan a parfaitement filmée. Nusret et Cemal, la loi et la science, si l’on veut élargir le champ de l’imagination, parle de la vie, de la mort, ou plutôt de la mort et de la vie. Entre les deux, il n’y a pas de zone grise, comme il n’existe pas de zone médiane entre l’Enfer et le Paradis.  Tout le film est, en fait, bâti sur cette idée existentielle, la quête du bonheur, d’un autre sens à la vie, à la présence sur terre. Sinon comment expliquer cette insistance des uns et des autres à chercher un cadavre. Il n’y pas que la vérité, toujours partielle, ou la justice, durablement partiale, qui comptent. Naci, Kenan, Nusret, Cemal, Arab (l’adjoint du commissaire) paraîssent tous tristes, écrasés par la monotonie de leur quotidien circulaire.  Et là, Nuri Bilge Ceylan a bien réussi à faire de l’ennui un élément esthétique, tellement réussi qu’il a communiqué aux spectateurs ce sentiment presque indéfinissable de lassitude. Les images de la campagne, en partie filmée la nuit, donnent une épaisseur à la sensation qu’un cinéaste intelligent, amateur de littérature a voulu provoquer. La lourdeur est à ce moment là revendiquée comme une forme d’expression. C’est aussi une façon d’évoquer «l’âme provinciale» de l’Asie mineure. Celle-ci ne peut pas être réduite à Istanbul, Ankara ou Izmir. Mieux. Il y a aussi de la réflexion sur la Turquie et ses travers. Sur la bureaucratie symbolisée par ce sergent de police inquiet par les limites territoriales de l’action de la police, sur la sortie laborieuse du sous-développement exprimée par cet infirmier qui a peu de moyens pour pratiquer l’autopsie, pourtant importante pour élucider le mystère. Nuri Bilge Ceylan aime Segio Leone d’où la reprise de l’idée «Il était une fois…» mais avec son propre style. Le réalisateur italien Sergio Leone a réalisé notamment Il était une fois dans l’ouest et Il était une fois en Amérique. La scène finale, portée par les cris d’enfants jouant au football dans une cour d’école et les bruits des instruments de l’infirmier découpant en morceaux un cadavre peut résumer toute la profondeur de cette histoire que Nuri Bilge Ceylan a voulu différente. Ici, la nuit, le jour, le vent, la pluie, les visages fermes, les rares moments de joie prennent une autre signification, une autre ampleur. Le souci de connaître la face sombre de la lune (plus présente dans le film que le soleil) semble permanent chez ce cinéaste qui tente, comme il le peut, de sonder l’âme humaine.  Un simple fait réel a été retravaillé pour en faire une fiction où l’on peut trouver des traces d’Anton Tchekov (un dramaturge et écrivain qui avait concentré son œuvre sur la province russe). «Ce film est assez lourd et ne correspond pas aux standards habituellement admis en matière de cinéma. C’est un film réaliste dans lequel vous allez vous retrouver en tant qu’Algériens», a averti Nuri Bilge Ceylan avant la projection.  Il savait bien de quoi il parlait. Habitué à la légèreté des séries turques doublées en arabe, le public algérien peut ne pas apprécier un film d’auteur, film profond, artistiquement bien élaboré, chargé de symboles et d’idées sur le monde d’aujourd’hui.
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