Algérie

Sur fond de débat autour du rapport Stora Les «Mémoires algériennes» re-questionnées au Maghreb-Orient des livres



Sur fond de débat autour du rapport Stora Les «Mémoires algériennes» re-questionnées au Maghreb-Orient des livres
Fondé par l’association Coup de soleil et l’institut de l’iReMMo, le Maghreb-Orient des livres 2021 s’est tenu, ces 10 et 11 juillet, à l’hôtel de ville de Paris, dans une édition estivale exceptionnelle et très réduite à cause des restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19. Les organisateurs ont tenu néanmoins à consacrer, comme le veut la tradition de ce rendez-vous culturel annuel de renom, une partie de son programme à la littérature et à l’histoire algériennes. En plus de nombreux écrivains présents ou représentés par leurs œuvres, une conférence-débat a été organisée autour des «Mémoires algériennes», analysées par le prisme des questionnements qui les entourent en France depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Ouvrant le bal, l’historien Benjamin Stora est revenu sur les «secrets de fabrication» du Rapport Stora, publié récemment sous forme de livre intitulé France-Algérie, les passion douloureuses (Albin Michel, 2021). Celui qui travaille sur l’histoire de notre pays depuis un demi-siècle a rappelé aussitôt qu’il a conseillé les présidents français successifs depuis François Mitterrand jusqu’à Emmanuel Macron. «Mais ce dernier est le seul à avoir réellement pensé à faire une mission générale de réflexion. Il voulait clairement quelque chose de plus globale ; réfléchir à une forme de réconciliation générale sur la question de la mémoire franco-algérienne», précise-t-il.

Pour des raisons qu’il explique dans son rapport, particulièrement du fait que les visions de l’histoire sont très différentes en France et en Algérie, le conférencier avoue reconnaître «la grande difficulté d’une telle mission dès le début auprès de Macron. Le rapport à la colonisation n’est pas le même dans les deux pays, les imaginaires ne sont pas les mêmes, etc.». Etant donc conscient qu’il ne pouvait pas parvenir seul à «une réconciliation à tout prix», il a opté pour une méthode de travail nouvelle en prenant le pari de faire le plus exhaustivement possible «un inventaire de ce qui a été déjà fait par la France et l’Algérie, et de voir quels chantiers mémoriels devraient être mis en œuvre.

Le président Macron a montré une volonté d’avancer et je lui ai suggéré alors de mettre en place des sortes de travaux pratiques. Autrement dit, reprendre des points précis qu’on pourrait résoudre d’une façon concrète, au lieu d’essayer vainement, chacun de son côté, de réécrire l’histoire de la Guerre d’Algérie et de la colonisation d’une manière générale. Les historiens français et algériens ont déjà fait le travail de ce côté-là et continuent à le faire»!

C’est pourquoi, il a dressé dans son texte «un état des lieux de tout ce qui a été produit sur le plan académique, ce qui a été fait sur le plan politique et ce qui a été réalisé par la société civile». Selon lui, ce choix est parti d’un constat répétitif concernant les débats mémoriaux où on a tendance à «se concentrer sur des prises de positions idéologiques qui ne débouchent jamais sur rien et omettre de régler des dossiers concrets comme les archives, les essais nucléaires, les disparus algériens, les cimetières chrétiens et juifs, etc.».

Désormais, Stora prône une nouvelle doctrine : «avancer d’une manière pratique». Dans ce sillage, il conclut son intervention par l’expression de ses «regrets quant au silence complet du gouvernement algérien vis-à-vis des préconisations du rapport (…) Dommage, c’est tout ce que je peux dire ! Par conséquent, on est arrivé à un rapport qui vise surtout à réduire les fractures franco-françaises concernant l’Algérie au lieu de rapprocher les visions franco-algériennes».

Expliquant que la présidence française a nommé Cécile Renault pour suivre exclusivement les recommandations côté français (directrice du projet Mémoire de la colonisation et de la Guerre d’Algérie, ndlr), à commencer par la relance du projet de création d’un musée de l’histoire de la France et de l’Algérie à Montpellier (sud de la France), il garde espoir de voir prochainement une réaction dans le bon sens de la part du pouvoir algérien. «A la limite, pour commencer, il peut se saisir ne serait-ce que de deux ou trois points faciles à soutenir. Par exemple, je fais une proposition pour faciliter la délivrance de visas pour les chercheurs algériens afin qu’ils puissent venir consulter les archives !» souhaite-t-il.

De son côté, coauteur de l’ouvrage La Guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards (Karthala, 2016), l’historien Tramor Quémeneur soutient l’émergence de ladite «nouvelle stratégie pour régler les questions mémorielles à travers des actions pratiques et concrètes». Il défend le point de vue de son aîné pour dire qu’«il n’y a pas de ‘‘petits pas’’ car tous les dossiers sont importants et quand ils sont réglés, c’est une grande avancée vers la réconciliation des mémoires entre les deux pays». Il a affirmé, par ailleurs, qu’il est important d’étudier davantage cette mémoire douloureuse dans des cadres autres que la politique et l’histoire, c’est-à-dire dans les différents milieux académiques des sciences humaines et sociales.

«Il faut s’intéresser plus aux mémoires postcoloniales et analyser comment elles se transmettent à travers les générations. Nous pouvons par exemple nous attarder sur la forte présence du ‘‘silence’’ au sein des familles touchées par la Guerre d’Algérie ; celles des appelés de l’armée française, des témoins civils d’événements en Algérie, etc. On constate aussi qu’il s’agit souvent d’un silence causé par une ‘mémoire traumatique’ comme chez les pieds-noirs. Ce silence existe aussi du côté de l’immigration algérienne, pour d’autres raisons, à l’instar de ce qui se passe dans les familles des harkis en lien souvent avec une sorte de culpabilité», a-t-il souligné.

Quant au sociologue Stéphane Beaud, qui a écrit La France des Belhoumi (La Découverte, 2018), il a évoqué la nécessité de repenser la signification contemporaine de la «mémoire franco-algérienne» qui renvoie automatiquement à la Guerre d’Algérie dans l’esprit des gens, à tort d’après son expérience avec la famille Belhoumi, objet de son livre. «Cette famille d’immigrés algériens, installés en France au début des années 1970, est plus marquée par la décennie noire que la Guerre d’Algérie dans sa transmission de la mémoire. Cela prouve qu’on est en présence d’une mémoire différenciée. Il n’y a pas une mémoire unique dans l’immigration algérienne mais plusieurs, selon ce qu’ont vécu les individus en Algérie et en France», a-t-il relevé.

Dans ce sens, l’historien Stanislas Frenkiel, qui a publié en avril dernier Le Football des immigrés : France-Algérie, l’histoire en partage (Artois Presses Université, 2021), mentionne que la différenciation se fait également par rapport aux réalités socioculturelles des immigrés algériens en France. «Beaucoup de travaux historiographiques et sociologiques ont été faits sur les élites culturelles d’origine algérienne, mais pas sur les élites sportives, hormis les écrits journalistiques. J’ai voulu donc travailler sur cette partie de l’histoire de l’immigration, singulièrement autour du football, en m’appuyant justement sur des mémoires fragmentées. Par exemple, certaines étaient très agrémentées d’une langue de bois patriotique, notamment chez les joueurs de la période coloniale, et d’autres beaucoup moins», a-t-il constaté.


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