Algérie

Souvenirs Point Net



Il a tout vécu, tout connu' du gaz butane. Salem se souvient et il aime bien raconter ça. Après quarante ans de «pratique», il est devenu la mémoire vivante de l'histoire de la bouteille. Il se souvient des pires années comme ailleurs les spécialistes du vin se rappellent des crus exceptionnels.
A plus de cinquante ans, Salem a rarement quitté le village dont il incarne la vie de tous les jours. N'allez surtout pas croire qu'il hante ses sentiers et sa petite placette.
Il n'a rien d'un paresseux aux aguets, épiant le dernier commérage ou traquant le vide. Il est le montagnard comme on n'en fait plus. Humble, il veut du peu qu'il peut gagner. Sans rêve, sans folie. Mais s'il n'a pas de grande ambition, Salem n'a pas connu non plus de grande misère, à la manière de ceux qui alternent les hauts et les bas.
Son existence est un peu réglée comme du papier à musique, même si l'effort de son organisation ne se voit pas trop. Il est la disponibilité légendaire pour les siens et pour les autres villageois. Et on le lui rend plutôt bien. En plus d'une permanente bienveillance, on pense systématiquement pour lui permettre de bouillir la marmite.
S'il ne manque pas de «concurrents» occasionnels pour les petits travaux rémunérés, il vient rarement à quelqu'un l'idée de solliciter quelqu'un d'autre avant de passer par lui. Avec Salem, tout le monde trouve son compte. Non seulement il est toujours là, il est aussi sérieux, patient et discret.
Naturellement digne, il ne compte pas sur la bienveillance et les sollicitations des villageois. Il s'est également aménagé une petite activité qui lui permet d'assurer un minimum vital quand les temps sont durs pour tout le monde. Salem a toujours un petit troupeau entretenu à plein temps ou en parallèle avec ses petits boulots.
Mais pour Salem, il n'y a pas que les petits boulots qui font bouillir la marmite dans la vie. Il n'a pas une vision très philosophique de la vie mais il sait que, parfois, il faut savoir se mettre sous la même couverture pour avoir moins froid. Il sait aussi trouver une couverture pour les plus faibles. Pas vraiment une couverture, plutôt une bouteille de gaz butane.
Quand la rigueur de l'hiver s'est alliée à la bêtise des gouvernants pour pousser le froid jusqu'au bout et priver de feu une marmite déjà bien rachitique, Salem s'est toujours déployé comme un beau diable, lui, qui est plus proche des anges. Quand la bouteille de butane a manqué, il a fait ce qu'il pouvait. Pour lui et pour les plus faibles.
Salem a guetté l'arrivée du «camion» dans le village voisin, plus accessible en raison de son altitude plus basse et de sa route plus praticable. Il a mobilisé sa brouette et son âne, il s'est renseigné sur les prochains «arrivages» et il a demandé aux quelques villageois véhiculés de l'accompagner dans des localités mieux desservies pour tenter de trouver quelques bouteilles pour ceux qui en avaient le plus besoin.
De tout ça, Salem se souvient et il en parle toujours, en dépit de sa légendaire humilité. Il en parle même un peu plus depuis l'année passée, où le gaz de ville est arrivé dans son village. Salem «fonctionne» toujours à la bouteille butane parce qu'il n'a pas les moyens de payer l'installation.
Personne ne semble s'en rendre compte mais il ne s'en plaint pas. La bouteille est plus disponible maintenant, alors il s'arrange pour s'approvisionner à des heures indues où il ne risque pas d'être vu, la bonbonne sur la brouette, sur le dos de son âne et parfois sur son épaule.


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