Une fin d'année a
toujours un goût particulier pour les élèves. Généralement, ce sont les cahiers
qui partent en l'air, les tabliers qui sont jetés et les longues discussions heureuses
à la porte de l'école, du collège ou du lycée. Cette année, pour certains
cependant, l'approche de juin a un autre goût. Elle a même une autre couleur.
Et, de toute façon, cette année a été pour eux, dès le début, remplie de
paradoxes. Soussou, comme tous ceux qui sont dans son cas, le sait. Elle l'a
saisi dès le début. Ahlem aussi. Elles souhaitent dès septembre que l'année
passe vite pour en finir mais, en même temps, elles aimeraient que l'année
s'étende un peu pour avoir un peu plus de temps. Un mois de plus, ce serait
merveilleux, une semaine… un jour ! Tout est bon pourvu que l'échéance soit
reculée ! Elles sont heureuses d'y être enfin mais, en même temps, elles ont
peur. Déchirées entre une satisfaction légitime d'en être là et une crainte naturelle
d'avoir à subir l'épreuve, elles arrivent – difficilement, mais elles arrivent
quand même – à surpasser les états d'âmes. Le fait de passer l'examen du
baccalauréat, en ce mois de juin, a complètement chargé leur quotidien et
bouleversé leur vie cette année.
Il avait fallu,
au tout début, trouver des enseignants acceptables pour les cours de soutien.
Parce que les cours de soutien destinés, jadis, uniquement aux élèves faibles
pour améliorer leur niveau, sont devenus un substitut sérieux à une école mille
fois défaillante. Le niveau de ces fameux cours laisse vraiment à désirer.
Seuls certains enseignants semblent dispenser un niveau appréciable et, de ce
fait, ils ne peuvent faire face à une demande trop importante. Aussi, pour ces
enseignants, il faut s'y prendre dès septembre et même avant la fin de l'année
pour réserver une place. Les groupes sont souvent trop chargés. Parfois plus
chargés qu'à l'école. Comme ce cours de physique où ils sont plus de soixante à
être entassés alors qu'ils avancent 3000 DA chacun. Cette situation a été
davantage rendue possible cette année car les enseignants ne veulent plus
donner de cours à domicile. Beaucoup moins rentable que toutes les autres,
cette option est carrément abandonnée pour des groupes de plus en plus
nombreux. La majorité des cours de soutien ont lieu dans des garages à peine
aménagés. «Où est-ce que vous avez ce cours ?» demanda le père qui cherche en
vain à travers les rues du quartier. «On nous a dit que nous trouverons un
garage au rideau à moitié levé !» fit Soussou qui remarqua aussitôt un local au
coin de la rue avec un rideau à peine levé et sous lequel apparaissaient des
pieds de chaises et des talons de jeunes. Il était six heures du matin et,
déjà, le local était plein à craquer !
La journée sera
longue, pensa le père et voyant les deux filles s'engouffrer dans le garage.
Soussou et Ahlem, le savent aussi. Aujourd'hui, elles ont encore deux autres
cours. A 13h30, un cours d'histoire-géo «ijtima'iyate» comme elles l'appellent
et un cours de physique à 17h30. Elles ne termineront donc qu'à 19h30. Mais
elles ont aussi à faire des révisions comme indiqué sur le programme tracé par
le père. Quatre heures de cours et deux heures d'exercice de sciences. Pour
cette semaine, en tout, elles ont quinze heures de cours de soutien et
cinquante heures de révision, c'est-à-dire de travail personnel. Pour des
jeunes de 18 ans, c'est beaucoup trop, mais il est des moments où, plus que
dans d'autres, les sacrifices semblent supportables. Soussou n'a pas rechigné
lorsque son père lui avait tendu le programme de révision. Elle en a fait une
copie pour Ahlem, son ami et, depuis, elles mènent révisons et cours ensemble.
Fatiguées de
bosser et de courir d'un garage à l'autre, toute la journée, elles n'ont le temps
de souffler que le soir, devant le fameux «mousselsel» turque. «J'ai mon film
!» laisse tomber Soussou à l'adresse de son petit frère qui quitte aussitôt la
pièce. Parfois elles le regardent ensemble et, après cela, c'est à peine si
elles ont le temps d'avaler quelque chose car les révisions, c'est à 5h du
matin qu'elles commencent.
Dans ce parcours
du combattant, il y a, tout de même, quelques notes plus gaies. Une journée
libre par semaine, une enseignante de sciences totalement désintéressée et un enseignant
de maths qui limite son groupe à moins d'une vingtaine… le reste… mieux vaut ne
pas en parler.
Et l'école, dans
tout cela ?
L'école ressemble
à un ancien souvenir. Comme leurs collègues, les deux filles avaient déserté
les bancs de classe dès le mois de mars pour commencer les révisions. Une
décision qui allait leur coûter cher car elles font désormais partie des élèves
que l'administration de l'école a tenu à exclure à l'avance sans même savoir si
elles vont ou pas réussir leur bac. Oui, l'administration est parfois
inhumaine, mais pour ce cas, elle a même été méchante ! On n'exclut pas des
jeunes filles du lycée parce qu'elles ont décidé de se mettre à préparer leur
examen. «Il aurait fallu, précise la maman de Soussou, se demander pourquoi tous
les élèves de terminale se mettent au cours de soutien et pourquoi ils
désertent leur école !» «C'est parce que leurs enseignants laissent à désirer,
répliqua la maman d'Ahlem, qu'ils vont chercher ailleurs». Mais chez les
faibles et les incapables, les sanctions sont assimilées à une gestion
performante. Aussi, les deux filles ont été sanctionnées alors que beaucoup de
leurs collègues ont été, simplement, admises à passer leur bac blanc. Mais,
pour l'instant, les deux jeunes filles n'ont pas la tête à cela. Elles savent
que ce qui compte, pour le moment, c'est de bien se préparer pour décrocher le
bac «Incha Allah !» ponctuent elles, presque en même temps. Peu importe si
elles doivent se lever très tôt. Peu importe aussi si elles doivent veiller
parfois jusqu'à une heure tardive. Peu importe si elles doivent se mettre à
sillonner la ville de long en large pour passer d'un garage mal aménagé à un
autre… elles savent que tout cela ne sera qu'un souvenir, rien de plus.
L'essentiel, pour l'instant, c'est de continuer et de ne pas regarder en
arrière.
Pour l'école, si
elles décrochent leur bac «In Cha Allah !» précisent-elles, elles n'auront rien
à faire de l'école sinon, «eh bien, on verra !» se disent-elles en cachette
entre elles. De toute façon, elles ne veulent même pas évoquer l'éventualité
d'un échec. L'autre jour, Soussou avait même eu le temps de dire en
plaisantant, à son père «J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi,
lança-t-elle. La bonne c'est que j'aurai le bac in cha Allah» il la regarda.
«Tu veux la mauvaise ?», poursuivit-elle. Il la regarda à nouveau. «Tu
m'achèteras le portable que je veux !». Il acquiesça en silence et sortit de la
cuisine
Pour les parents
qui ont des enfants qui passent le bac, l'année est généralement fatigante.
Très fatigante. Exténuante même ! Lorsqu'ils entendent des phrases comme
«j'aurais le bac In Cha Allah», cela jette un peu de baume sur le cœur. Une
petite brise qui ne peut faire que du bien. Alors, ils répètent en cachette,
«In cha Allah, ma fille !»
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Posté Le : 28/05/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Aissa Hirèche
Source : www.lequotidien-oran.com