Sous le signe du pléonasme

Un jeudi sans fin. Le beau temps a été commandé par le ministère du beau temps et la paix a été installée par les comités de la paix. Nedjma, munie de sa bonne étoile, a erré dans les rues désertes. Dans le ciel infiniment bleu survolé par des hélicoptères volants, elle a cru voir Gaïd Salah dans l'un d'eux, criant à la foule absente d'être nationalement nationaliste. Nedjma a marché jusqu'au marché, ce qui lui a semblé logique, et a acheté des yaourts à base de lait. Puis a continué sa route, ne croisant personne comme s'il s'annonçait une fin du monde décidée par les faiseurs de monde.Un SMS lui parvient : «Votez sinon vous allez tous mourir après le vote.» Comme elle n'avait rien de prévu pour les cinq prochaines années, Nedjma s'est rendue au bureau de vote pour voter. Elle a dévisagé les visages, suspectés d'être tous suspects dans cette ambiance ambiante. Pourquoi la fraude, présente dans tous les scrutins depuis des décennies, s'arrêterait-elle aujourd'hui, d'autant que le concurrent Benflis a l'air d'un concurrent sérieux ' Nedjma a observé les quelques observateurs tout en observant que même les observateurs européens, pourtant habitués à toutes les docilités, n'ont pas jugé utile de couvrir cette élection.Très présentable, Nedjma s'est présentée et a glissé dans l'urne trouée la photo de sa grand-mère décédée puis est sortie, un goût d'arrière-goût dans la bouche. Elle se rappellera cette infâme campagne. Elle aura entendu des dirigeants traiter de traîtres tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec eux. Elle aura vu des télévisions privées actionnées par le régime lancer de véritables appels au meurtre contre des opposants. Elle aura même entraperçu le président, absent de toute sa propre campagne, traiter de terroriste son adversaire. Mais cette journée se finira ce jour-là. Les urnes bourrées seront bourrées. L'élu sera élu. Le président sera Président. L'Algérie est un pléonasme sans fin.