Pour lutter contre l'obscurantisme et les amalgames, Souad Massi remet au goût du jour le raffinement de la culture arabe dans son nouvel album El Mutakallimun.Elle l'avoue d'emblée : avant de plonger dans ce répertoire classique arabe, Souad Massi ne s'intéressait pas particulièrement à la poésie : «Comme tout le monde, quand je tombais sur un poème, je le lisais, c'est tout». Mais à la faveur du projet Les Ch?urs de Cordoue, démarré en 2011 avec le guitariste espagnol Eric Fernandez, Souad Massi s'imprègne d'une histoire intellectuelle fascinante. C'est celle d'Al Andalus, la grande Andalousie, un carrefour culturel et religieux au c?ur de l'Europe, façonné par des scientifiques, des philosophes ou des géographes des trois religions du Livre. Pour Souad Massi, c'est le déclic et le point de départ d'une immersion dans les textes classiques de la poésie arabe. Printemps El Mutakallimun, «Les orateurs», son cinquième album, rend donc hommage à ceux qui maîtrisent l'art de la parole, mais qui savent aussi écouter. Ceux d'hier, comme le poète préislamique Zouhaïr Ibn Abi Soulma, ou d'aujourd'hui, comme le révolutionnaire irakien Ahmed Matar, forcé à un exil londonien au milieu des années 1980. Tous de grands classiques, appris à l'école pour certains ou invoqués spontanément dans les temps forts de l'histoire récente. Les vers du poète tunisien Abou El Kacem El Chabbi par exemple, avec son Adresse aux tyrans du monde publié en 1934 et repris par les manifestants pendant les révolutions arabes de 2011 : «Prends garde ! Que ni le printemps ne te trompe /Ni la clarté du ciel ni la lumière du jour/ Car à l'ample horizon c'est la nuit qui s'étend/ Et les grondements du tonnerre et les vents de tempête/ Et toutes ces braises calfeutrées patiemment sous les cendres / car qui sème les épines en récoltera des blessures». Quatre ans plus tard, c'est au printemps que Souad Massi choisit de sortir ce disque autoproduit et enregistré à Alger. Quel bilan tire-t-elle des révolutions arabes ' «Lors des premiers événements en Tunisie, je me suis dit : enfin un souffle de liberté. Mais malheureusement non, le printemps est devenu un enfer. En tant qu'artiste, on a une certaine responsabilité, on n'a pas le droit d'être négatif, et en tant que citoyenne, j'ai envie de continuer à rêver mais l'espoir est fragile... Mais dans la vie, il y a toujours quelqu'un qui nous empêche de vivre librement que ce soit un dictateur, un roi... C'est un combat continu». L'actualité peut aussi sérieusement plomber les rêves et faire naître d'autres luttes. «Je vis en France et notre société est posée sur une base très fragile. Dès qu'il y a une faille quelque part, tout menace de s'effondrer. Après les attentats contre Charlie Hebdo, la communauté musulmane a senti des regards, des accusations, l'équilibre est tenu». Alors pour tordre le cou aux caricatures de tous bords, Souad Massi s'est plongée dans le raffinement de la culture arabe. D'abord la poésie, mais aussi la calligraphie, puisqu'elle a demandé à deux artistes, Aymen Bourafai et son père Mohamed Bourafai, d'illustrer par une création originale chacun des dix poèmes chantés. Challenge Au départ, c'est pourtant le «challenge musical» qui l'avait intéressé : comment mettre en musique des vers en arabe ancien, parfois vieux de plus de mille ans ' Comment restituer cette poésie, quasiment sacrée dans le patrimoine du monde arabe, sans faire d'erreur de prononciation ' Alors, elle a cherché des spécialistes pour l'aider à comprendre et chanter correctement ces textes : un travail de fourmi qui lui a pris deux années. «A vrai dire, je n'imaginais pas que ce serait si difficile. Pour le même poème, on pouvait trouver plusieurs traductions, il a fallu prendre le temps. Et malgré tout, quand j'ai commencé à chanter ces textes, j'ai reçu des appels de chercheurs du Moyen-Orient qui m'ont dit que j'avais mal prononcé tel ou tel mot. C'est du détail, mais cela prouve bien que j'ai touché là quelque chose de sacré...». Cette responsabilité, Souad Massi l'a prise à c?ur. Sur son compte Facebook, elle a mis à contribution ses 294 000 fans pour le choix des poèmes. Ensuite, elle a compté sur son inspiration... Chaâbi algérois, bossa brésilienne, afro-beat ou rock, une large palette d'influences que la fille de Bab El Oued revendique en toute simplicité. En prêtant sa voix aux grands poètes du monde arabe d'hier et d'aujourd'hui, Souad Massi rejoint elle aussi cette assemblée de El Mutakallimun, les «orateurs». Un mot qui n'existe pas au féminin mais que la «Joan Baez» du monde arabe a su rendre actuel, complètement en phase avec son public et son temps. Le 8 avril dernier, la salle parisienne de La Cigale était complète pour son concert de sortie d'album : avec elle, 1 400 personnes ont chanté l'amour, la paix et la liberté.
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Posté Le : 19/04/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : E C
Source : www.lnr-dz.com