Algérie

Sortir de notre rapport d'extériorité au savoir



Le savoir et son enseignement ont largement été conçus dans le passé comme dans un rapport d'extériorité à la société. Ils constituaient un moyen d'accès à l'emploi public.Il s'agit de remettre le savoir à sa place, au c?ur de la société, dans une problématique d'accumulation du savoir-pouvoir, du savoir-faire et du savoir-être.
Il s'agit pour la société de s'incorporer le savoir, de l'investir dans ses faits et gestes, de le transformer en puissances d'être. Et donc de se demander du savoir du monde, lequel accroit nos puissances d'agir, plutôt qu'aller vers celui qui nous « entortille ». L' « industrie », non plus entendu comme secteur distinct, mais comme art, aurait dû d'abord investir les gestes du fellah, introduire le savoir dans son activité. Et donc comprendre l'industrie, au-delà de l'agriculture, comme art de faire, art d'être nous-mêmes. Il faut ensuite réintroduire le politique. Une telle incorporation, un tel empowerment, ne peut se faire que si le politique lui-même s'incorpore le savoir du monde, car c'est lui-même qui encadre l'expérience de la société, s'efforce de définir ses conditions de possibilité et de félicité. Cela ne veut pas dire qu'il doive se concevoir dans une certaine extériorité à la société. Au contraire, il doit être conçu comme une certaine avant-garde, mais dans une certaine intériorité. Il est lui-même savoir de la société, savoir que la société a d'elle-même et du monde, de leurs croyances, de leurs propensions et attentes. Le savoir doit être au c?ur de la société, comme du politique. Les séparations entre savoir et pouvoir, société et politique, ne doivent pas être conçues comme des réalités, mais des abstractions utiles.
J'ai constaté dans le programme d'une agence de la direction de la recherche de l'enseignement supérieur qu'on avait appelé les enseignants à produire des cours de référence pour la première année universitaire. L'appel ne veut pas prendre en considération la façon dont vont être produits ces cours, seulement la forme dans laquelle ils peuvent être recevables par l'agence, non par les enseignants et les étudiants. Or la question est là : comment des enseignants vont-ils produire des cours de référence (vont-ils copier des cours de référence internationaux ou répondre à des débats sociaux et politiques ') et comment vont-ils être utilisés par les étudiants et leurs enseignants ' (vont-ils leur épargner de travailler ou les aider à travailler ') En quoi concerneront-ils les étudiants et la société ' L'enseignement a besoin d'un certain ordre qui mette en valeur le travail de ceux qui peuvent améliorer la productivité du système. Or c'est ce dont on a toujours redouté jusqu'ici du fait du désaccord entre le politique et l'académique.
De même, je crois que les débats auxquels participent les enseignants-chercheurs (E.-C.) expatriés (en France et ailleurs), pour ce qui concerne la communauté nationale, me paraissent porter à faux. Ils ont leur propre agenda, rares sont ceux qui participent à des agendas qu'ils peuvent eux-mêmes déterminer. Les E.-C. d'origine algérienne reconnus en France en particulier, sont allés à la rencontre d'une valeur mondiale dirait le défunt Samir Amin, d'un système qui reconnaisse une valeur à leur activité, une légitimité à leur autorité, dont ils voudraient bien avoir, parfois, mais pas toujours, quelques effets sur leurs collègues et le pouvoir politique nationaux.
En effet, beaucoup quittent un système d'enseignement supérieur qui ne répond pas à leurs attentes, ne reconnait pas leur valeur, leur autorité, pour un autre étranger qui leur en accorde une. Ils obtiendraient par des systèmes d'enseignement et de recherche extérieurs, l'autorité qu'ils n'ont pu obtenir de leurs collègues nationaux et des autorités locales. Certains seraient toujours préoccupés par leur autorité auprès de leur famille, de leur société d'origine, d'autres finiraient par tourner le dos à une telle préoccupation. Comme d'anciens émigrés, les uns seraient allés chercher un capital à l'étranger qu'ils pourraient investir chez eux, les autres comme de plus récents émigrés, effectueraient un regroupement familial pour sauver leurs enfants d'un côté (assurer une vie décente) et les perdre de l'autre (pour leur patrie d'origine).
Le groupe qui m'intéresse ici est celui qui veut se hisser au plan mondial tout en se pensant comme penseur algérien. Autrement dit, celui qui peut contribuer à l'accumulation du savoir en Algérie, non pas celui qui est allé chercher une autorité ou une place honorable dans un système quel qu'il soit. Non pas celui qui mal à l'aise ici, va chercher ses aises ailleurs. Mais celui qui part acquérir un capital à l'étranger pour l'investir en Algérie, celui qui ayant réussi loin des siens veut revenir pour réussir avec les siens. Celui qui ayant quitté les siens, pense revenir aux siens. Ceux-là qui ayant appris du monde, réussi dans le monde, peuvent aider leur société à réussir dans le monde. Bref, ceux qui comprenant le monde et ayant compris leur société, conçoivent l'idée de participer à la formation d'une communauté scientifique nationale ou d'une élite économique en mesure de contribuer à l'avènement, ici et là, d'un monde meilleur.
Société, société politique et communauté scientifique
Il ne faut pas croire que la compétition des enseignants-chercheurs puisse permettre par elle-même de former une communauté scientifique. Cette communauté s'inscrit dans une certaine configuration des rapports entre différentes autorités.
Une communauté scientifique nationale se définit par rapport aux autres communautés scientifiques, elle doit disposer d'une certaine autorité auprès des autres communautés. Elle se formera à partir d'un point de vue particulier, déterminé par des coordonnées spatio-temporelles particulières, ou idéologique pour simplifier, mais elle ne pourra discuter avec les autres communautés, prendre place parmi elles, convaincre, faire taire, que par la partie rationnelle de son argumentation. Que par sa position dans le discours scientifique. Bref, dans la compétition des idées sur le marché mondial, il faut qu'elle puisse tenir la route. Pour le rationalisme, celui qui obtient reconnaissance est celui qui coupe court au débat. Mais cela suppose qu'entre communautés scientifiques, on veuille bien aller au bout du débat. Ce qui est rarement le cas. Aussi le débat scientifique à l'échelle mondiale ne se départit jamais du combat idéologique, on dira aujourd'hui de la désinformation, car il ne livre jamais toutes ses données du fait de la compétition mondiale. Par exemple, la compétition entre la Chine et les USA ne livre pas toutes ses données au débat scientifique mondial. Les deux puissances s'efforcent de monopoliser certaines données qui leur donneront avantage. Les actions gouvernementales ne sont pas transparentes, ni en elles-mêmes ni les unes vis-à-vis des autres.
Mais la communauté scientifique se définit aussi par rapport à la société politique. Elle n'a d'autorité que si elle est reconnue par l'autorité politique. Elle doit assumer la position de tête pensante de la société et donc de la société politique. Mais elle ne peut pas se confondre avec elle, elle doit en être distincte sans en être séparée. Elle doit pouvoir « se fondre » en elle, mais sans se substituer à elle. Sans proximité du politique et du scientifique, mais aussi sans différenciation, impossible de penser l'action politique et organisée de la société. L'autorité d'une communauté scientifique ne peut donc s'envisager indépendamment de ses rapports à une société politique qui pense son action.
L'autorité scientifique a donc besoin d'une double reconnaissance. Il n'y a pas d'autorité scientifique sans autorité politique qui la reconnaisse ; de communauté nationale scientifique sans reconnaissance internationale, sans d'autres communautés scientifiques qui la reconnaissent. Double exigence d'une certaine inscription de la société dans le monde, dans une certaine configuration globale : une société politique, au c?ur de la société, porteuse des attentes de la société et en mesure de les expliciter et d'organiser l'action de la société ; une communauté scientifique, au c?ur de la société politique, en mesure de penser l'action organisée de la société dans le monde. Une société politique s'inscrivant dans le prolongement de la société, une communauté scientifique s'inscrivant dans ce prolongement.
Un alignement donc entre une société, une société politique et une communauté scientifique dans le cadre d'une compétition internationale. Un ordre de combat social (des propensions et des coopétitions sociales), une action organisée (de transformation de soi et du monde), une pensée de l'organisation.
La communauté scientifique si elle se trouve au c?ur de la société politique ne peut livrer tous ses secrets. Tout comme la société politique, elle ne peut accepter que son action soit transparente à ses rivaux ou concurrents. Si elle s'efforce de penser l'action organisée, la communauté scientifique ne peut pas faire abstraction de la compétition extérieure. Ce n'est pas un hasard si la Science qui se dit n'est pas celle qui se fait. La pratique scientifique a ses secrets de laboratoires. La Science des livres n'est pas la description de la pratique des laboratoires.
Communauté scientifique en formation
Peut-on affirmer que nous disposons d'une communauté scientifique nationale ' L'existence d'un système d'enseignement et de recherche justifie-t-il de l'existence d'une communauté scientifique ' On ne peut pas affirmer une telle existence autrement que par la place qu'elle occupe dans le processus de réflexion de l'action organisée. C'est de l'existence d'une action sociale et politique organisée et réfléchie que nous dirons qu'il existe une communauté scientifique. Ce ne sont pas les titres que se distribue une communauté d'enseignants fonctionnaires qui peut en attester. La question est alors de savoir comment peut émerger une communauté scientifique nationale qui se place au c?ur de la pensée de l'action publique et privée. Nous avons vu les deux conditions requises pour l'existence d'une telle communauté : une reconnaissance scientifique internationale et une reconnaissance politique et sociale.
Nous avons échoué pour certains, ou refusé pour d'autres, de former une communauté scientifique algérienne au sein de la communauté scientifique française, à la différence de la société marocaine. À l'indépendance, l'université algérienne a conservé un certain nombre d'enseignants chercheurs français qui deviendront plus tard des figures de renommée internationale de l'université française. Ces cadres français de la nouvelle université algérienne ont fini par la quitter. La massification de l'enseignement supérieur et l'arabisation finiront par pousser les cadres de l'université formés à l'école française à suivre leurs « aînés » français. Cela correspond tout à fait à nos choix révolutionnaires : ne pas nous soumettre intellectuellement à l'ancienne puissance coloniale, ne pas mettre le système éducatif au service des couches sociales favorisées issues de la colonisation.
Mais comment alors peut émerger une authentique communauté scientifique nationale, une communauté savante au service du développement social et économique ' Ma réponse est la suivante : par un retour d'expérience des travailleurs intellectuels émigrés, avec l'émergence d'une expertise internationale validée par l'expérience nationale. Ce qui supposera comme nous l'avons vu, un certain emboitement du social, du politique et du scientifique : un politique au service de la société (action organisée), un scientifique au service du politique (pensée de l'organisation), mais aussi un vrai débat entre expérience nationale et expériences internationales. En attendant, il faudra avoir réussi au sein d'une communauté scientifique étrangère, puis d'avoir ressenti le besoin de travailler pour un autre agenda, une autre pensée, que ceux de la communauté pour laquelle on travaille présentement.
Pourquoi avoir réussi dans une communauté étrangère est-elle une condition de l'émergence d'une communauté autochtone ' Pour être en mesure de prendre la bonne distance vis-à-vis de l'expérience acquise. Une expérience réussie est celle qui est en mesure de tirer les leçons de la réussite ou ... de l'échec. On aura réussi si l'on a obéi à l'agenda de la communauté pour laquelle on travaille ; on aura échoué, si on a voulu travailler pour un autre agenda, un autre programme, si on a été partagé dans les directions de sa recherche, si on est resté « assis entre deux chaises ». Faire ses preuves d'abord : être en mesure de comprendre le fonctionnement d'un système en y réussissant ; ou désirer mettre en ?uvre un autre programme de recherche qui se dessine finalement. Il faut donc être en mesure de sortir d'un système et de proposer un autre rapport de sa recherche au social et au politique.
Bien entendu, un tel rapport dépend aussi du social et du politique : une société désireuse de penser son activité, un politique en mesure d'organiser son action, sont nécessaires pour qu'un scientifique en mesure de penser une telle action organisée puisse trouver sa place. Le scientifique expatrié n'aura pas de propension à se détacher de la communauté scientifique qui lui accorde une certaine reconnaissance s'il n'est pas attiré par une société qui veut penser son action et un politique qui veut l'organiser.
Si de telles conditions sociales et politiques ne sont pas réunies, le scientifique expatrié aura juste tendance a essayé de faire valoir son autorité acquise à l'étranger dans son pays d'origine. Comme le ferait un expert étranger. Car, comment une autorité acquise dans un système d'enseignement peut-elle fonctionner dans un autre ' Cela suppose une mise en équivalence, dans le cas d'une conversion automatique, une hiérarchie des systèmes. Soit, un système supérieur transférant une autorité à un sous-système. Comment une autorité acquise par exemple auprès de pairs français et européens, peut-elle valoir auprès de pairs marocains ou algériens ' On parlera d'autorité convertible comme on parle de monnaies convertibles. Être en mesure de travailler pour deux systèmes différents exige une compétence/valeur supérieure.
C'est à ce niveau supérieur qu'il faut s'élever pour pouvoir travailler à la formation d'un nouveau système d'enseignement et de recherche. Autrement on ne pourra que s'efforcer d'amarrer un système à un autre, de créer un sous-système à un système. La difficulté pour le scientifique n'est donc pas mince. Mais elle ne l'est pas non plus pour la société et le politique : la confiance que peut accorder la société au politique n'est pas non plus aisée, ni la confiance du politique au scientifique.
Une autorité convertible exige l'existence de deux communautés de pairs qui se reconnaissent, qui reconnaissent la différence de leurs agendas. Cela suppose qu'un débat intérieur puisse bénéficier d'un débat étranger dont les termes peuvent être importés par un de ses membres. Donc qu'un débat ait besoin de la contribution d'un débat étranger. Ou qu'un débat local ait besoin de prendre part dans un débat global dont il doit saisir les termes.
Nous avons besoin d'une communauté scientifique qui puisse défendre le point de vue d'une société vis-à-vis des autres, c'est-à-dire qui ait la reconnaissance du politique quant à sa capacité de participer à un débat global au nom de la société algérienne. Une communauté scientifique dans laquelle ne se reconnait pas le politique ne peut pas avoir de destin national. Une société politique dans laquelle ne se reconnait pas la société ne peut pas se reconnaître dans une communauté scientifique. Elle n'a pas besoin d'expliciter ses rapports à la société et au monde. Elle vit dans la confusion et en profite. Mal déterminée, elle est la malédiction de la société.
L'existence d'une communauté scientifique dépend donc de l'existence d'une société politique en mesure de constituer une demande scientifique pour son offre politique. Offre politique qui ne s'ajuste pas seulement à une demande sociale, mais qui est produite dans sa dynamique. Donc non pas extérieure, mais intérieure à la demande sociale, ce qui exige une société se reconnaissant, se projetant dans une société politique.
Des maîtres à penser particuliers, des passeurs d'expériences.
Notre cas correspond à celui d'une communauté scientifique en formation. On peut considérer que le pouvoir politique dispose d'une légitimité d'exercice faiblement doté en légitimité scientifique. Il ne peut s'en remettre à des autorités scientifiques, tout comme la société, pour éprouver ses convictions, étayer ses choix. Il fait appel à des compétences étrangères qu'il utilise à loisir. Elles ne peuvent penser ni en son nom ni au nom de la société.
L'existence d'une communauté scientifique signifie en général l'existence de maîtres à penser. Il faut être reconnu par le pouvoir politique, les enseignants et les étudiants, être accepté comme maître à penser. Dans un système d'enseignement supérieur public où le pouvoir politique gère les carrières, les enseignants doivent obtenir la reconnaissance de celui-ci. Ils doivent répondre à une demande politique. Ils n'enseignent pas ce qu'ils veulent, que voudraient-ils enseigner du reste ' Au nom de quoi, pour quoi ' De là, comment un maître à penser ayant été formé par des maîtres à penser étrangers peut-il être accepté par des enseignants ou des pouvoirs politiques autochtones ' Les enseignants doivent obtenir la reconnaissance de leurs étudiants. Et les étudiants celle de leur famille, de leur société. Les « maîtres à penser » sont les opérateurs centraux de l'accumulation du savoir par la société, de la conversion du savoir en pouvoir.
Une société qui s'est donné des « maîtres à penser », des maîtres qui pensent pour elle et avec elle, accumule du savoir. De haut en bas de la chaîne, du maître à penser à la société, le savoir par le moyen du politique doit être en mesure de se transformer en pouvoir social. Et de bas en haut, de la société au maître à penser, le pouvoir social doit être en mesure de se transformer par le moyen du scientifique à nouveau en savoir, afin que le savoir scientifique par le moyen du politique puisse à nouveau se transformer en pouvoir social. Pouvoir et savoir se différencie pour se renouveler.
Certaines sociétés se soucient beaucoup plus de fabriquer leurs maîtres à penser (France par exemple), d'autres beaucoup plus du partage du savoir du monde et de son efficacité (sociétés nordiques). Tout se passe comme si les premières se souciaient d'abord de leur force théorique/rhétorique, les autres de leur force pratique. Les unes de la production autochtone du savoir, les autres des effets positifs/négatifs, productifs/improductifs du savoir d'autrui. Ambition d'empire contre ambition de société souveraine parmi d'autres. Société souveraine qui concède la production du savoir aux puissantes armées de travailleurs intellectuels, mais qui ne peut concéder son savoir-faire (l'unité de son savoir et de son pouvoir), et son savoir-être dans le monde (son autonomie dans l'interdépendance) qu'à elle-même. Elle serait ainsi soucieuse de la production du savoir mondial que de par sa productivité locale.
En termes globaux, il faut qu'il y ait un ordre social de combat (des dispositions sociales), qui trouve son expression scientifique et politique afin que savoir et pouvoir puisse se convertir l'un dans l'autre et entretenir la puissance de la société. Des maîtres à penser qui produisent des offres/armes scientifiques, des politiques qui convertissent des demandes/attentes sociales par le moyen des offres/armes scientifiques en offres/armes politiques. Après le couple militaro-politique qui a conduit à l'indépendance nationale en empruntant ses armes rhétoriques à des traditions différentes pour mieux s'adresser à des publics nationaux et internationaux, c'est à triumvirat qu'il faudra faire confiance pour conduire la puissance nationale. La culture, entendue au sens biologique de « bouillon de culture », du point de vue de l'expérimentation sociale, doit devenir le soubassement du couple antérieur. Soubassement sans lequel l'ordre social ne pourra pas fournir le dispositif de combat nécessaire. Il s'agit encore une fois, moins de produire le savoir que de savoir en user, moins d'en être la source que le multiplicateur. Le « maître à penser » empruntera du monde le savoir qu'il sélectionnera et adaptera, afin que sa société puisse le transformer en pouvoir. Nul besoin d'idéologie ici, mais d'efficacité du savoir : production de savoir-faire et de savoir-être (de coopétition sociale harmonieuse). Des maîtres à penser particuliers donc, qui peuvent s'élever à hauteur des expériences du monde, lui emprunter et qui aident leur société à digérer l'expérience du monde, à transformer le savoir en pouvoir social. Des maîtres à penser que l'on ne concevra pas comme des idoles, mais comme des modèles de penser, que l'on caractérisera par leur façon de penser, leur façon de s'approprier le savoir du monde et de « se dissoudre » dans le savoir social. De bons passeurs d'expériences.
Refonder le rapport de la société au savoir
Nous pouvons constater dans notre société que le ressort qui consiste à investir dans le savoir, parce qu'il n'a pas été cultivé, n'existe pas. Pourquoi l'emploi public s'est-il raréfié ' Parce que le politique et la société n'ont pas su faire usage du système d'enseignement supérieur (S.E.S.). Le politique avait besoin du S.E.S. pour encadrer la société selon certaines normes, mais non pour accumuler du savoir et multiplier les expérimentations. L'emploi public n'a pas regardé au-delà de lui-même, l'apprentissage public n'a pas servi le savoir et le pouvoir social. Il y a même renoncé.
L'enseignement a d'abord été un pont vers l'emploi public. L'Etat a offert des places en son sein dont l'accès passait par l'école. Il a distribué des titres pour construire ses appareils. Des titres qu'il n'a pas pu faire apprécier ensuite. Les cadres des entreprises publiques n'ont pas fourni les cadres des entreprises privées nationales, mais ceux d'entreprises étrangères quand ils ne se sont pas dépréciés. Les entreprises privées ont préféré les machines à sous, à l'investissement dans le savoir. Elles ont converti du capital étranger en consommation locale, en richesse sociale. Pas d'accumulation du savoir, pas de multiplication d'entreprises viables.
L'emploi public se raréfiant, le S.E.S. est utilisé comme un pont vers l'émigration, l'emploi extérieur. Mais n'étant pas désinvesti par le reste de la société qui n'a pas les moyens d'investir dans des S.E.S. étrangers pour accéder à l'emploi étranger, le S.E.S. national accumule des forces dont lui et la société ne sauront pas disposer (chômage croissant des diplômés).
Pour éviter que ne s'accumulent ces forces explosives, car sans issue, il faut revoir et refonder le rapport de la société au savoir. La société doit réapprendre à investir dans le savoir, à s'incorporer le savoir du monde qui la rende plus forte. Elle doit sortir de son rapport d'extériorité au savoir. Elle doit réapprendre à s'approprier le savoir du monde, à le transformer en pouvoir, c'est-à-dire en savoir-faire et savoir-être.
En guise de conclusion. Définir l'autorité scientifique par sa rationalité et non son efficacité a quelque chose d'handicapant. Elle enferme la science dans une communauté scientifique qui est le prestataire, le producteur, mais pas le destinataire final. Elle ne répond pas à la question en quoi la raison partagée de la communauté scientifique pourrait être la raison partagée d'une communauté plus large, éducative, économique ou technique. Elle ne prend pas en compte le rapport de la société à la communauté scientifique. L'autorité de la Science ne se substitue pas à l'autorité de la Religion. La Science peut disposer d'une certaine aura, après celle dont ont disposé certains scientifiques. On peut lui faire confiance les yeux fermés, comme le font parfois certains malades vis-à-vis de leur médecin. Mais cette époque est révolue. La rationalité de la pratique scientifique passe dans la rationalité des usages de ses expériences. Elle est ce qui passe du produit des expériences scientifiques dans l'expérience non scientifique. En bref, la société doit savoir en quoi le produit de la pratique scientifique intéresse. En quoi ses échanges avec la pratique scientifique rapportent. Quand le savant sait mieux, le producteur doit être plus productif (savoir-faire), le citoyen doit se porter mieux (savoir-être), l'Etat se faire plus puissant. Ce qui compte d'abord, c'est la conversion réciproque du savoir et du pouvoir qui est la condition de leur accumulation sociale, de la puissance sociale.
*Enseignant chercheur en retraite, Faculté des Sciences économiques, Université Ferhat Abbas Sétif - Ancien député du Front des Forces Socialistes (2012-2017), Béjaia.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)