Sondes estivales

«C'est l'espérance folle Qui danse et vole Au-dessus des toits C'est l'espérance folle Qui nous console De tomber du nid» Guy BéartC'est au moment où tout le monde se croit en vacances que la persistante rumeur d'un remaniement ministériel est née. Chacun sait pourtant que le Ramadhan est la seule période où rien ne change, à part le prix des produits alimentaires. Alors, la rumeur vient à point pour s'interroger une fois de plus sur la nature de ce système qui se réveille au moment où on le croit dans le coma le plus profond. Le pouvoir est-il monocéphale puisque inébranlable, inamovible, donc indispensable' Est-il alors bicéphale comme Janus qui peut traverser une route nationale sans faire subir à sa tête une double demi-rotation, puisqu'il n'est pas rare de voir deux ministres se contredire ou prendre une mesure qu'ils abrogeront le lendemain' Est-il alors tricéphale comme le Cerbère qui garde l'entrée des Enfers' On serait tenté de le croire puisque les touristes se font rares et que les candidats à la grande «harba» sont légion. On penserait plutôt qu'il est tel l'hydre qui gardait le trésor de la Toison d'or et qu'il aurait une multitude de têtes qui, une fois coupées, repoussent immédiatement, plus hargneuses et plus féroces que les précédentes. Ce serait la thèse la plus répandue puisque rien ne change au pays des droits de l'homme et de la rente pétrolière et que l'étau qui préserve les acquis de la famille révolutionnaire est toujours bien en place. Quoi qu'il en soit, seule une autopsie peut départager les experts qui s'arrachent les poils de la barbichette! Ce sont les rumeurs d'un prochain remaniement, imminent selon les sources autorisées, motorisées, rotorisées et sonorisées, qui ont motivé ces interrogations. Pourquoi les rumeurs d'un remaniement à un moment où la fièvre aphteuse, la chute des prix du pétrole et la canicule se sont unies pour stimuler une opposition à la recherche d'elle-même' Dans un pays où la démocratie existe, aussi bien au balcon que dans les cuisines électorales et les dépendances, un remaniement est une conséquence directe soit d'élections législatives qui marquent un changement radical dans la majorité parlementaire ou d'un rééquilibrage des pouvoirs dans les divers courants qui composent cette majorité. Le remaniement, en général, peut aussi survenir à la suited'élections présidentielles qui amènent à la tête d'un régime présidentialiste un personnage armé d'un nouveau programme qui ressemble comme un frère jumeau au précédent. Le remaniement peut aussi tomber du ciel à la suite d'une grave crise telle que ce «chahut de gamins» du 05 octobre 1988. Un événement aussi rare qu'un coup d'Etat ou une défaite militaire cuisante peut aussi amener d'autres commis de l'Etat à réparer les dégâts occasionnés par l'équipe précédente, mais dans un pays où la vie politique coule comme un long fleuve tranquille, si l'on excepte, bien sûr, quelques attentats par-ci, quelques embuscades par-là, deux ou trois émeutes par semaines, deux ou trois détournements d'argent, un kidnapping par jour, un procès de journaliste de temps en temps pour titiller la vigilance des nombreux observatoires placés dans les coins obscurs et enfin un harcèlement textuel qui consiste à contrôler les lectures des passants, le remaniement peut paraître superflu, voire inutile, puisqu'on ne change pas (selon la formule consacrée) une équipe qui gagne et encore moins une équipe qui ne fait pas grand-chose, du moins, si l'on se réfère aux vaguelettes que son action génère et qui n'ont aucun effet (positif!) sur les administrés.Donc, on est tenté de croire que les rumeurs de remaniement, une fois de plus, ne sont qu'un ballon d'essai pour donner l'impression qu'il se passe toujours quelque chose au pays où tout baigne dans l'huile de tournesol et que tout changement est condamné d'avance à rester dans les limbes de l'espérance folle qui fait danser tout le monde.