Sonatrach s'en remet difficilement

Une entreprise qui change de main chaque deux ans ne peut disposer d'une vision stratégique sur le moyen ou le long termes.Sonatrach a été littéralement ébranlée, sous l'ère Bouteflika, par de nombreux scandales de corruption. Pour certains, le fléau de la corruption représentait l'une des menaces les plus graves pour la stabilité de la compagnie. Et les PDG qui se sont succédé ces dernières années à la direction de l'entreprise ne sont pas parvenus à en faire une compagnie fonctionnant normalement, aux standards mondialement admis en matière de gestion. Que faut-il faire pour permettre à Sonatrach de s'en remettre et de se remettre sur les rails ' Mohamed Saïd Beghoul, expert pétrolier, connaît bien l'entreprise pour y avoir travaillé pendant de longues années.
Il souligne que "depuis l'ouverture de plusieurs dossiers de corruption en 2010, donnant lieu à des poursuites judiciaires et à l'incarcération de hauts cadres, dont des PDG et de vice-présidents de Sonatrach, la situation de l'entreprise et du secteur pétrolier national est devenue très préoccupante, les dirigeants ne prenant plus d'initiatives.
Cela a refroidi l'enthousiasme de certains partenaires, étant donné qu'un partenaire commence toujours par chercher l'interlocuteur preneur de décision", estime M. Beghoul, soulignant sur sa lancée qu'"une des particularités de Sonatrach est qu'elle a tout le temps eu mal à la tête du fait de l'instabilité managériale.
Depuis sa création, jusqu'au jour d'aujourd'hui, elle a connu une vingtaine de PDG dont une douzaine rien que depuis l'année 2000, soit en moyenne un PDG tous les deux ans, et il y en a qui n'ont gouverné que pendant quelques petits mois seulement".
"Il est clair qu'une entreprise qui change de main à ce rythme ne peut disposer d'une vision stratégique sur le moyen ou le long termes en matière de projets et d'objectifs", poursuit-il. M. Beghoul regrette que "les changements à la tête de Sonatrach interviennent généralement à la suite d'un remaniement ministériel ou d'un évènement politique, alors que l'entreprise et ses objectifs doivent rester une constante pour tout gouvernement en place".
"Ce dernier peut, néanmoins, changer le top management de l'entreprise au moment opportun, en fonction des objectifs économiques et stratégiques du pays, mais une stratégie ne change pas en quelques mois", estime l'expert qui, dans la foulée, insiste sur le fait que Sonatrach doit changer, se moderniser.
Tout indique cependant que cela est plus facile à dire qu'à faire, estime-t-il. M. Beghoul rappelle que "le premier projet de modernisation de Sonatrach a été initié par le défunt Abdelhak Bouhafs au début des années 1990". Ce projet dénommé "Promos" (Processus de modernisation de Sonatrach) consistait à préparer Sonatrach de "demain" pour en faire un groupe pétrolier international, moderne, centré essentiellement sur ses métiers de base.
Sur le plan managérial, la modernisation de Sonatrach passe tout simplement par le décalquage des bonnes mentalités, habitudes et comportements observés chez les managers des compagnies pétrolières internationales, notamment à l'occasion des rencontres de travail chez les partenaires.
Et de détailler : "Le défunt PDG donna à ce benchmarking le nom de "Sosie" (système d'observation par secteurs d'information et d'étude) et le lança à l'échelle du groupe Sonatrach le 24 février 2000, à l'occasion de la commémoration du 29e anniversaire des nationalisations des hydrocarbures."
"Dans ce cadre, de nombreuses actions de formation en management dans de grandes écoles et institutions internationales ont concerné des dizaines de hauts cadres de Sonatrach, mais rien n'a été pris au sérieux. C'est la résistance au changement", explique-t-il.
Et de faire observer : "Aujourd'hui, nous constatons les dégâts. L'absence d'un système d'information, de communication et d'une charte claire des responsabilités laisse le champ ouvert au chevauchement des tâches et à l'opacité en matière d'objectifs à atteindre, au point où les hauts cadres eux-mêmes ne savent pas où ils vont, ni comment aller là où ils le savent."

Youcef SALAMI