Algérie

Sonatrach : quelle vision stratégique '



Nous avons, dans nos précédentes contributions, mis en avant le rôle de locomotive que doit continuer à jouer Sonatrach dans le développement économique du pays.Nous avons dans le même temps noté les insuffisances majeures qui impactent Sonatrach sur les plans de la prospective (veille stratégique, partenariat, vision du marché international, évolution du marché local,?), de gouvernance (organisation, gestion), et de maîtrise des coûts et d'acquisition technologique.
Enfin, nous avons esquissé un certain nombre d'axes qui nous ont paru prioritaires sur lesquels les autorités et Sonatrach pourraient concentrer leurs efforts pour lever des contraintes qui aujourd'hui contrarient la relance du secteur des hydrocarbures, et parmi elles la nécessaire révision du dispositif juridique et contractuel, de la fiscalité et plus généralement la réorganisation profonde de Sonatrach pour assurer une plus grande efficacité opérationnelle, synonyme de rentabilité optimisée.
Cet état des lieux sommaire qui relaie les différentes analyses émanant de nombreux experts du domaine et des organismes nationaux et internationaux, est confirmé par les déclarations récentes des responsables de Sonatrach et du secteur.
Poursuivant notre quête visant l'établissement d'un état des lieux plus précis, notamment au contact des experts et professionnels des questions pétrolières (concernant les aspects : déclin des réserves, déclin de la production, réduction des coûts de production,?), nous souhaitons à travers cette contribution apporter un complément d'éclairage permettant de mieux comprendre la problématique des activités du secteur ainsi que les voies possibles d'optimisation.
D'après plusieurs organismes et experts, les réserves ultimes restantes à découvrir en hydrocarbures conventionnels sont encore très importantes, (de l'ordre de 50 milliards de [boe] baril équivalent pétrole), mais la densité des forages dans nos bassins matures, qui est de l'ordre de 10 à 20 forages/10 000km2 est très en retrait par rapport à la moyenne mondiale qui est d'environ 100 forages/10 000km2, sans parler des bassins matures américains qui enregistrent jusqu'à 400 voire 500 forages /10 000km2, soit 4 à 5 fois plus que la moyenne mondiale.
Ces quelques indications montrent qu'il y a un gap important en matière d'exploration pour découvrir les réserves potentielles restantes dans nos bassins.
Manifestement, Sonatrach seule ne peut pas combler ce gap, compte tenu à la fois des investissements financiers importants à mobiliser et plus encore de ses capacités d'études pluridisciplinaires (géologues, géophysiciens, géochimistes, sédimentologistes, réservoir engineering, facilités de surface, économistes,?), nécessaires pour affiner l'analyse des risques, améliorer les résultats des forages et optimiser le taux de succès.
Les statistiques montrent que malgré un effort d'exploration significatif de l'ordre de 110 à 120 forages/an, les découvertes restent marginales et ne permettent pas le renouvellement des réserves ; la plupart d'entre elles étant de petite taille et donc non commercialement rentables pour Sonatrach.
Ces résultats nous amènent à nous interroger sur la qualité et la pertinence des études d'implantation des forages en ce qui concerne l'analyse technico-économique et l'évaluation des risques associés, qui semblent insuffisants ou incomplets, surtout que les coûts de ces forages sont importants (10 à 20 millions de dollars l'unité), soit pour les 100 à 120 forages/année, un coût global situé entre 1 et 2,4 milliards de dollars, ce qui représente des investissements colossaux pour des résultats largement en deça des attentes.
En 2015, la Sonatrach avait annoncé un montant d'investissement estimé à 100 milliards de dollars, dont une bonne partie réservée au développement de l'amont (exploration-production).
Selon les déclarations des responsables du secteur, ce montant d'investissements vient d'être ramené à 50 milliards de dollars, ce qui dénote quelque part des difficultés à mobiliser les fonds nécessaires à sa mise en ?uvre, les capacités d'autofinancement de Sonatrach étant drastiquement réduites suite de la baisse de ses revenus.
La situation est difficile et tous les voyants sont au rouge, surtout que Sonatrach n'a pas enregistré de découverte majeure (supérieure à 500 millions de barils) depuis au moins 16/17 ans, ce qui est préoccupant et appelle pour le moins la remise à plat de toute la stratégie de développement de l'entreprise.
Cette observation est à relier aux statistiques émanant d'organismes de référence qui classent Sonatrach parmi les compagnies nationales (NOC) dont les investissements annuels sont les plus importants, mais dont la rentabilité est la plus faible (Référence : Institut Américain, 2014 notamment).
Ceci montre l'incapacité de Sonatrach seule à faire face aux investissements requis pour augmenter la production et le niveau des réserves, dont l'urgence a été rappelée à maintes reprises, et qui par ailleurs conditionne toute politique de relance économique du pays.
Ces difficultés à la fois financières et techniques mettent en évidence la nécessité d'un recours urgent au partenariat étranger pour bénéficier d'un apport financier et d'expertise afin de relancer les activités du secteur et ainsi permettre de renouveler plus rapidement le niveau des réserves (pétrole et gaz).
Sachant que les derniers appels d'offres de la décennie passée n'ont pas été suffisamment incitatifs, il y a lieu d'activer l'adoption d'une nouvelle Loi plus attrayante en termes de fiscalité, de règlementation et suffisamment claire, précise et compétitive rendant les opérations plus fluides, loin des entraves bureaucratiques, pour espérer attirer les IDE indispensables et drainer les moyens financiers, la technologie et le savoir-faire.
Il est à ce titre difficile de comprendre les raisons du report à juin voire à décembre 2018, de l'adoption d'un tel dispositif, alors que les points clivants à l'origine du désintérêt des compagnies internationales sont suffisamment connus, sériés et répertoriés. Cette Loi devrait pouvoir attirer aussi bien des «majors» dans le cadre de l'exploration de nouveaux périmètres, et d'une augmentation significative du taux de récupération des grands gisements en déclin, ainsi que des «juniors» étrangères pour participer au développement des découvertes existantes ; cette Loi devant par ailleurs marquer une ouverture franche aux PME locales pour participer activement en consortium à cet effort de récupération des réserves ultimes.
Il serait à cet égard utile de redéfinir le statut des PME locales aujourd'hui admises en qualité «d'investisseurs non opérateurs», en celui justement «d'opérateurs», en conditionnant cette requalification à la disponibilité de ressources humaines qualifiées et de moyens matériels requis, à l'image de ce qui est en vigueur dans le BTPH (qualification).
En l'état, le système règlementaire est inapproprié et lèse contre toute logique les PME locales, obligées de rechercher des partenaires-opérateurs étrangers pour constituer des consortiums, et qui de ce fait se retrouvent par le biais de cette Loi dans une position défavorable de «quémandeurs» de partenariat sur leur propre marché.
Dans ce cadre, sachant que la plupart des petites découvertes sont localisées dans les périmètres attribués à Sonatrach, et sachant par ailleurs que ces découvertes ne sont pas commercialement rentables pour un major de la taille de SH, cette Loi devrait permettre à cette dernière, au travers d'appels d'offres de se désister de tout ou partie de sa participation au profit de consortiums composés de sociétés étrangères et de PME locales.
Une Loi incitative pourrait attirer des Sociétés de différentes tailles pour augmenter le taux de récupération des gisements en déclin, explorer les prospects subtils (stratigraphiques) et développer en (PPP) les centaines de petites découvertes existantes dans nos bassins matures. Si la fiscalité est incitative, et la réglementation moins bureaucratique, de nombreuses petites sociétés seraient intéressées à participer en consortium avec des PME locales à ces projets de moindre risque plutôt que de se lancer dans l'exploration des bassins «frontières» en ces temps de réduction du prix du baril (par exemple : UK vient de faire récemment un appel d'offres de même type dans des bassins matures en offshore et plus de 96 permis ont trouvé preneur malgré la crise).
A ce titre, un dispositif approprié devrait être mis en place avec un régime fiscal progressif permettant à la fois la rentabilité des petits gisements pour attirer et motiver les opérateurs algériens et étrangers, et à l'Etat d'engranger des revenus en corrélation avec l'évolution des niveaux de production.
Une telle démarche permettrait :
- de dégager Sonatrach d'investissements coûteux en moyens financiers et en ressources humaines non disponibles sur de petits gisements et donc de lui permettre de concentrer ses moyens sur des investissements domestiques majeurs et à l'international ;
- d'augmenter la densité des forages d'exploration et de développement ;
- d'augmenter les réserves ainsi que la production tout en prolongeant la durée du rapport R/P ;
- l'éclosion de nombreuses PME algériennes, qui trouveraient ainsi une nouvelle vocation dans le secteur amont pétrolier. A titre de rappel, aux USA, plus de 90% des «petits» puits sont exploités par une multitude de petites compagnies (Strippers Wells).

Pour être complète, cette Loi devrait s'étendre aux activités des services pétroliers (OFS) dont les dépenses continuent à culminer autour de
10 à 15 milliards de dollars/an, pour permettre une colocalisation dans le cadre de joint-venture entre PME locales et étrangères spécialisées. C'est tout un savoir-faire qui est appelé à être transféré en Algérie.
Pour rappel, déjà dans les années 1970, les dirigeants du secteur avaient saisi l'importance et l'impact des OFS et mis en ?uvre toute une politique visant l'acquisition de l'expertise parapétrolière, volonté confirmée par la création de sociétés de services et la formation de nombreuses compétences tant à l'étranger qu'en Algérie, pour acquérir et maîtriser le savoir-faire dans les services parapétroliers, dans le but de limiter la dépendance aux sociétés étrangères et diminuer le montant des sorties de devises.
C'est ainsi que furent créées en partenariat avec des multinationales les sociétés Alfor, Alsim, Aldim, Alfluide, Alreg, Aldia,? Il s'agissait d'apprendre et maîtriser la technologie et le savoir-faire des opérations parapétrolières jusqu'au domaine de l'engineering afin de réaliser en propre les études de faisabilité et de construction des facilités de surface permettant l'exploitation de nos gisements.
Nous suggérons d'inclure dans le «Plan Vision SH 2030» en préparation cette option de co-localisation des «Oil Field Services-OFS» de la chaîne logistique «Supply-Chain» et «l'Engineering Procurement Construction-EPC», comme objectif primordial si nous voulons maîtriser les «coûts».
Il faudrait à ce titre encourager les PME locales en joint-ventures avec les sociétés étrangères pour créer un tissu de sous-traitants à même de suivre les évolutions technologiques dans les divers services, ce qui sera très important surtout pour se préparer à une éventuelle exploitation des gaz et pétrole de schiste le moment venu.
Afin d'encourager et inciter les opérateurs à se lancer dans ces activités, nous suggérons en plus de l'assouplissement de la Loi sur les hydrocarbures, d'étendre aux activités hydrocarbures et de l'aménager en conséquence si nécessaire, le dispositif d'aide et de soutien ANDI/CNI (fiscalité, crédit,?) en vigueur, pour les régions dites déshéritées.
Cette vision d'ouverture devrait permettre d'attirer les IDE pour participer au développement du secteur, et plus généralement de créer une dynamique d'ensemble mettant en ?uvre des entreprises étrangères et des opérateurs locaux dans le cadre de consortiums au bénéfice de l'économie en général et du développement régional en particulier.
Le secteur amont pétrolier et gazier ainsi que celui des OFS pourrait, s'il venait à être véritablement ouvert au privé national en partenariat avec des opérateurs étrangers, au travers de dispositifs fiscaux attractifs, constituer une véritable manne pour ces opérateurs, notamment ceux disposant de potentialités techniques (RH et moyens matériels), qui pourraient y trouver un plan de charge de substitution à la commande publique en déclin ainsi que des vocations exportables.
A l'international, Sonatrach devrait faire plus d'efforts et logiquement cibler des bassins avec un potentiel en réserves prouvées de grande taille, comme la Libye, compte tenu de la similitude des bassins et de la proximité géographique, facilitant la mobilisation, voir ela mise en commun de moyens d'exploration, d'exploitation et de transport, ce qui nous permettrait de sécuriser des réserves conventionnelles additives pour nos besoins énergétiques à long terme.
Toutes ces mises à niveau du dispositif juridique et contractuel et du système fiscal, si elles sont indispensables pour capter l'intérêt des compagnies internationales et drainer l'investissement local, seront toutefois de faible effet si elles ne sont pas accompagnées dans le même temps de la refonte de l'organisation et de la gouvernance de Sonatrach, et si on n'adopte pas une démarche prospective stratégique pour faire face aux nombreux défis qui se posent à la compagnie.
En effet, il ne s'agit plus seulement de viser des objectifs quantitatifs évidents d'augmentation (réserves, production), mais plus encore de faire face à des contraintes de coûts de production, de ressources humaines et de maîtrise technologique, ceci dans un contexte marqué par
- la baisse des prix de vente (pétrole-gaz) ;
- l'explosion de la demande interne (augmentation annuelle de l'ordre de 5 à 8%) ;
- la compétition agressive à l'international sur le marché traditionnel de SH (l'Europe) et pour lequel des investissements colossaux ont été consentis (gazoduc : 2 vers l'Espagne et 2 vers l'Italie) ;
- les mutations énergétiques projetées aux horizons 2030/2035 (diminution de l'utilisation de l'énergie fossile) au profit de celles des énergies renouvelables qui impliquent la nécessité de se projeter et donc d'intensifier ses investissements dans ce domaine, notamment «l'énergie solaire» comme le font les grandes sociétés pétrolières dès à présent pour se diversifier et rester à flot.
Pour être de plein effet, cet effort de modernisation et de mise à niveau technique et organisationnelle et de gouvernance de la principale entreprise du pays doit être intégré dans le cadre d'un programme «Vision Algérie 2030» qui engloberait les réformes structurelles auxquelles appellent tous les experts, et dont l'objectif est d'aboutir à une diversification de l'économique et à un rééquilibrage du PIB en faveur des secteurs identifiés en tant que leviers potentiels (énergie, industrie, agriculture, tourisme et services).


Par Abdenour Kashi
Expert en Intelligence économique (IE)
(3e cycle, EGE-Paris)
[email protected]


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)