"Sonatrach ne peut pas préempter dans cette transaction"

Liberté : Occidental Petroleum qui a exercé une OPA géante sur Anadarko vient de notifier à Total qu'il ne pourrait finalement pas acquérir les actifs d'Anadarko en Algérie. Quelle lecture pouvez-vous en faire 'Nasr-Eddine Lezzar : La dernière séquence du feuilleton relatif à la cession de ces actifs (en mai 2019) présentait des autorités algériennes plutôt enclines à la négociation. Il est vrai que dans une première phase, le ministre de l'Energie avait manifesté son opposition à cette transaction, mais après la visite éclair du P-DG de Total en Algérie, il avait exprimé sa disposition à une solution négociée. En outre, il ne peut être question de l'usage du droit de préemption dans cette transaction, et ce, pour des raisons de non rétroactivité des lois.
Ce droit a été introduit après l'acquisition par Anadarko des actifs objet de la vente. Sonatrach ne peut donc pas préempter et, à mon avis, elle ne le voudrait pas, quand bien même elle le pourrait. Cette compagnie semble avoir trop d'accointances avec les multinationales.
Par contre, la loi sur les hydrocarbures (modifiée en février 2013) ouvre des possibilités dans son article 31 qui subordonne les transferts des droits et obligations dans un contrat de recherche et d'exploitation pétrolière, à l'accord d'Alnaft et non à Sonatrach. Il faudra vérifier si les contrats signés par Anadarko lors de l'acquisition de ces sites ne mentionnent pas une liberté de cession sans accord des autorités algériennes.
L'échec de la transaction n'est-il pas lié au contexte défavorable des marchés pétroliers et à la crise sanitaire '
L'hypothèse que vous avancez est très plausible. L'information communiquée par le P-DG de Total se limite à affirmer qu'"Occidental nous a officiellement dit que nous ne pourrions pas acquérir les actifs d'Anadarko en Algérie". Rien n'indique dans cette déclaration laconique les véritables raisons de cette impossibilité d'acquisition sauf qu'elle serait le fait d'Occidental. Cependant, il n'est pas à écarter que cette imputation soit destinée à cacher les difficultés auxquelles fait face Total. Il faut savoir que ce mastodonte pétrolier est coté en bourse et que pareille information risque de causer des dégâts.
Comment pouvez vous avancer que Total connaît des difficultés '
Le 7 avril dernier, un accord signé par Total en vue de céder ses activités marketing & services au Liberia et en Sierra Leone à Conex Oil & Gas Holdings Ltd a été annoncé. Jean-Pierre Sbraire, directeur financier de Total expliquait que "dans le contexte actuel de prix bas du pétrole, ces transactions soutiennent le plan d'action annoncé pour faire face à cette crise". Huit jours plus tard, on annonce que Total chercherait à emprunter auprès des banques jusqu'à 10 milliards d'euros à court terme.
Selon des sources de l'agence Bloomberg, BNP Paribas et Crédit Agricole mèneraient l'opération, d'un montant initial de 5 milliards d'euros. Les prêteurs auraient été invités à s'associer pour un prêt d'une durée d'un an, avec une option de prolongation. Le 20 mai prochain, lors de l'assemblée générale du groupe, seront soumises au vote des actionnaires les résolutions relatives aux politiques de rémunération pour l'année 2020.
Le P-DG a proposé que sa rémunération fixe soit réduite de 25% à compter du 1er mai 2020 et jusqu'au 31 décembre 2020. La part variable subira aussi une chute importante, ce qui fera baisser la rémunération globale 2020 de Patrick Pouyanné de plus de 30% par rapport à celle de 2019.
Les membres du conseil d'administration ont également décidé de renoncer à 25% de leur rémunération qui leur sera versée au titre de leur mandat exercé à compter de l'assemblée générale. Devoir grignoter sur la rémunération des actionnaires est le signe d'un grand désarroi.
Dans ce contexte, Sonatrach serait bien inspirée de s'engager dans l'acquisition d'actifs pétroliers bon marché, car la crise sanitaire est éphémère et la relance est inéluctable.


Propos recueillis par : Youcef Salami