Algérie

SOIR MAGAZINE «On a volé mon nom»


Par chance, et après avoir terminé ma formation d'analyste des finances et techniques bancaires, je fus désigné à un poste de travail dans une société nationale à Oran. Je n'avais que 22 ans, et venant d'un petit village des Hauts-Plateaux, je ne pouvais rêver mieux : découvrir El-Bahia avec ses boulevards impressionnants, ses magasins aux grandes vitrines et ses magnifiques salles de cinéma. A la veille de mon départ pour cette ville, ma mère m'avait dit : «Mon fils, on dit qu'Oran est une grande ville pleine de gens, il paraît qu'ils vivent comme des ‘‘rouama'', fais bien attention à toi !»
Elle voulait dire par là que les gens d'Oran vivent d'une manière civilisée. J'ai beaucoup aimé cette ville, j'ai appris à vivre comme un vrai citadin. Alors que j'étais invité à un mariage, j'ai fait la connaissance d'une jeune fille âgée de 20 ans, prénommée Fatiha, divorcée. Elle vivait avec sa mère, elle était belle, avec de grands yeux et un visage rond. De taille moyenne, elle était attirante surtout lorsqu'elle porte le fameux «haïk m'rama». J'ai toujours trouvé que ce haïk donnait un charme particulier à la femme. C'était une aubaine. A la première présentation, j'ai été vite accepté par sa mère. J'étais d'abord invité à dîner chez elles pour faire plus ample connaissance et surtout permettre à sa mère de porter un jugement sur ma personne. J'étais sincère dans mes intentions et j'aspirais à une relation sincère. A chaque visite, j'avais tous les égards d'un hôte de marque. Au bout d'une semaine, je faisais partie de cette famille. Nous étions très liés, nous avons vécu ainsi ensemble. Je trouvais cela formidable, j'étais heureux, ou plutôt je pensais l'être. Je n'avais encore qu'un esprit juvénile, rien ne m'a été demandé ; mes entrées et sorties étaient fréquentes et sans aucune ambiguïté, c'était trop facile, le temps passait vite. Par moments, et surtout par peur d'un scandale quelconque (entre autres celui de son ex-mari), je limitais et espaçais mes visites en justifiant des raisons professionnelles et familiales, jusqu'au jour où, comme on dit «jamais deux sans trois», Fatiha est venue à mon bureau pour m'annoncer qu'elle était enceinte. A-t-elle voulu le faire exprès ou simplement était-ce un accident. Je ne savais quoi dire, sauf qu'après mes heures de travail, on pourra se voir pour en discuter. Après son départ, j'avais longuement pleuré tout en me disant que voilà une histoire qui va certainement me porter préjudice au niveau de mon travail surtout si une plainte sera déposée ; j'avais très peur. Le soir, lors de notre rencontre, je cachais mon angoisse et surtout je tenais à défendre ma position, mais je sentais qu'elle avait peur de moi. Elle estimait que je pourrai facilement la dénoncer et entamer une procédure judiciaire pour mœurs légères et elle m'avoua alors que même les voisins pouvaient témoigner en ma faveur. Je l'avais tranquillisée et je lui avais assuré qu'elle aurait mon soutien le plus total pour toute décision qu'elle serait en mesure de prendre. Dans un premier temps, elle décida de déménager au plus vite avant que les voisins puissent douter de quelque chose. Nous avons passé toute la soirée à débattre des solutions possibles à cette nouvelle situation. Aussi, il avait été convenu que ma présence devait être constante et en rien je n'en serai redevable. L'accouchement s'est fait à la maison sous la conduite d'une vieille femme assez expérimentée, j'y avais assisté, mais la peur m'a fait subitement quitter la maison. Je me suis dit qu'un accident pouvait vite arriver et que je serai impliqué. Mais cette inquiétude était superflue, car c'était sans compter sur la bonne expérience de cette vieille dame. Aujourd'hui encore, je lui tire chapeau, car faire naître un enfant dans de telles conditions et avec uniquement quelques moyens rudimentaires, cela relève d'un exploit. Je me souviens que j'avais posé la question de son inscription à l'état civil et j'avais bien dit à cette femme qu'elle ne pouvait en aucun cas l'inscrire sans les documents nécessaires, c'est-à-dire un acte justifiant d'abord le mariage et l'existence du père avec en plus les documents justifiant l'accouchement (hôpital ou clinique). Je me sentais à l'abri vu l'absence de tout document pouvant m'impliquer, cela me réconfortait. Reconnaître cette enfant me pesait un peu, suis-je vraiment le père ' J'avais beaucoup de doutes. Au bout de quelques jours, j'avais appris que cet enfant avait été inscrit à l'état civil. Comment a-t-elle pu faire ça ' Sur la base de quel document cet enfant a été inscrit à mon nom ' Ace jour, je l'ignore encore, mais je sais que j'avais été idiot et trop naïf. Cet état de fait m'a complètement abattu, je voulais m'éloigner. C'est alors que j'ai quitté Oran pour quelques jours, j'ai rejoint mon petit patelin dans l'Algérie profonde, lieu qui m'aide à m'oxygéner, à remettre de l'ordre dans la vie que j'étais en train de mener, à corriger mes actes, je m'en voulais d'avoir été à ce point stupide au point de me faire arnaquer et de voir l'enfant d'un autre porter mon nom sans que je puisse réagir.Cette période s'est déroulée dans le calme et la plénitude avec le soutien et la présence de mes proches, ainsi que l'environnement où je vivais, où je suis né. Les collines, les petits ruisseaux, les arbres et cette grande étendue de steppe autour de mon village me font rappeler que mes grands- parents et arrière-grands-parents ont vécu noblement, paisiblement et en harmonie avec les conditions environnementales dans cette région vierge. Le sentiment d'appartenir à cette terre me comble de bonheur et me donne ce sentiment de fierté quant à mes origines et m'incombe d'une énorme charge celle d'aimer et faire aimer cette terre à mes descendants. Ma mère disait toujours que cet endroit demeure à ses yeux, après La Mecque, le plus sacré et le plus pacifique au monde. Je comprends son attachement et son amour pour le seul lieu qu'elle ait connu dans toute sa vie. J'avais pensé simplement quitter la ville d'Oran, mais je m'y plaisais. En fin de compte, je rejoins mon poste de travail avec la ferme décision de mettre fin à ma liaison avec Fatiha et de me tenir à carreau, d'éviter toute relation avec les femmes, de faire des économies et penser sérieusement à me marier. J'ai tenu bon pendant trois mois. Que s'est-il passé pendant ces mois : de mon côté, rien de spécial, je m'enfermais un peu plus, j'évitais les sorties et les soirées. J'étais très fier d'avoir tenu tout ce temps-là, jusqu'au jour, où elle vint me voir à mon lieu de travail, sous prétexte qu'elle manquait d'argent pour l'achat du lait à son enfant. Pris de pitié, je lui avais remis une certaine somme. J'apprendrai plus tard que ce geste m'a ouvert les portes de l'enfer, ce geste lui a montré que je reste sensible à ses problèmes et qu'elle est en mesure de me reprendre. Après deux ou trois rencontres de ce genre, je me retrouve chez elle Quel désastre, j'ai repris cette liaison ; cependant, cette fois-ci, j'ai osé poser quelques conditions, à savoir ne pas demander la légalisation de notre relation par n'importe quel document, que je reste libre, en contrepartie, je dois subvenir aux besoins de l'enfant. Dans cet ordre des choses, nous avons repris la vie commune, je ne pouvais en aucun cas ramener Fatiha au petit logement de fonction qui m'a été octroyé par la direction, par contre, j'avais préféré prendre en location un petit appartement. Nous avons ainsi vécu quelque temps sans histoire. Je m'absentais de temps à autre, je rendais visite à ma famille, à mon petit patelin et je me déplaçais très souvent pour des raisons professionnelles. Je n'arrivais plus à faire des économies. Sous l'insistance de sa mère pour qu'elle puisse revenir auprès d'elle, nous avons donc déménagé, cela m'arrangeait un peu car le loyer pesait sur mon budget. En fait, le logement de sa mère se limite à une chambre et une petite cuisine, nous dormions tous les trois dans cette unique chambre. C'est ainsi que nous avons vécu cette période, jusqu'au jour où elle m'annonce, disait-elle une bonne et heureuse nouvelle: «Je suis enceinte.» Je me rappelle que ce soir-là, je suis rentré un peu tard, que j'étais très fatigué et que cette nouvelle m'a complètement abattu. J'ai passé cette nuit éveillé en pensant à ce que je devais faire. Par ailleurs, cette fois-ci, j'avais moins de doute que cet enfant ne soit réellement pas de moi, mais le problème ne se situe pas là. Quelle serait la réaction de mes pauvres parents, sachant que ma mère devait choisir elle-même ma future femme. Quelle ne serait leur déception s'ils apprenaient ma situation actuelle ' Autant de questions que je ruminais et auxquelles je n'arrivais pas à trouver de réponses. J'étais jeune, je n'avais que 24 ans à cette époque, je n'arrivais pas à mesurer la gravité de mes actes. Mais que faire '
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