Algérie

SNC-Lavalin: la tourmente atteint l'Algérie



SNC-Lavalin: la tourmente atteint l'Algérie
En 2010, SNC-Lavalin a perdu un contrat de 508 millions de dollars pour l'aménagement de la nouvelle ville de Hassi Messaoud, plaque tournante de l'industrie pétrolière en Algérie.
C'était une perte énorme pour la firme d'ingénierie québécoise: le coût total de cette future cité du pétrole, qui accueillera 80 000 habitants en plein désert, est évalué à 6 milliards de dollars.
La raison de cette annulation n'a jamais été clairement expliquée.
Dans un câble diplomatique du 21 février 2010 révélé par WikiLeaks, l'ambassadeur des Etats-Unis alors en poste à Alger, David Pearce, rapporte que la déconfiture de SNC-Lavalin pourrait avoir été liée à l'enquête sur la corruption que menaient à l'époque les services de renseignements algériens au sein de Sonatrach, la société d'Etat qui gère l'industrie pétrolière en Algérie.
Cette enquête a fait tomber le ministre algérien de l'Energie et des Mines, ainsi que le PDG de Sonatrach. Pour de nombreux observateurs, elle s'expliquait surtout par une guerre de clans au sein du pouvoir.
Dans le câble diplomatique, l'ambassadeur Pearce décrit sa rencontre avec Akli Brihi, directeur du géant pétrolier BP en Algérie. Les deux hommes ont discuté du scandale qui ébranlait Sonatrach.
M. Brihi lui a confié que la société d'Etat avait été «décapitée» par une enquête criminelle lancée par les services secrets algériens. Il a indiqué que l'objet de l'enquête était «le recours généralisé aux contrats de gré à gré sans appel d'offres».
Selon M. Brihi, cette enquête ne concernait pas les grandes pétrolières, mais plutôt les entreprises de services. «La firme soumet une offre gonflée, puis elle rétribue les initiés de Sonatrach», a-t-il expliqué à l'ambassadeur, en citant en exemple un contrat de 1 milliard de dollars obtenu par la société italienne Saipem.
«L'entente conclue avec la société canadienne Lavalin pour construire une ville nouvelle près du centre de production de Sonatrach de Hassi Messaoud a été entachée par un arrangement de même nature et a été gelée, a entendu dire [M. Brihi]», affirme M. Pearce dans ce câble.
SNC-Lavalin soutient ne pas avoir «perdu» le contrat; les autorités algériennes ont simplement annulé l'appel d'offres parce que de nouvelles règles dans l'attribution des contrats venaient d'être adoptées.
«Le gouvernement, pour ses propres raisons qui n'ont rien à voir avec SNC-Lavalin, a annulé le processus d'appel d'offres», dit la porte-parole de la firme, Leslie Quinton.
«À notre connaissance, nous n'étions pas sous enquête dans le dossier de Sonatrach et nous considérons que SNC-Lavalin jouit d'une bonne réputation en Algérie depuis son arrivée il y a plusieurs décennies.»
Des contrats à la pelle
Ce n'est pas l'avis de Hocine Malti, ancien vice-président et membre fondateur de Sonatrach.
En janvier 2010, alors que Sonatrach nageait en plein scandale, M. Malti a écrit dans le quotidien El Watan une lettre ouverte aux enquêteurs algériens pour leur suggérer quelques pistes. Parmi celles-ci, il y avait SNC-Lavalin.
Quelques mois plus tôt, l'entreprise québécoise avait signé avec Sonatrach un contrat de 1,2 milliard de dollars pour la conception et la construction d'un gigantesque complexe gazier dans le désert du Sahara.
C'est Riadh Ben Aïssa, ancien patron de SNC-Lavalin en Afrique du Nord, qui en avait fait l'annonce officielle. M. Ben Aïssa, qui a quitté la firme en février, est détenu depuis deux semaines en Suisse, où les autorités le soupçonnent de corruption et de blanchiment d'argent.
«Quel "monsieur J'sais tout" que cette entreprise qui, par ailleurs, se trouve toujours bien placée dans les appels d'offres de projets algériens et de plus en plus dans ceux de Sonatrach!», a écrit M. Malti dans sa lettre ouverte.
Joint en France où il habite désormais, M. Malti a expliqué à La Presse que SNC-Lavalin avait «plutôt mauvaise réputation en Algérie», et ce, depuis son arrivée au pays, il y a 30 ans. La firme d'ingénierie avait alors décroché le contrat de construction du Mémorial du martyr, un monument aux morts de la guerre d'indépendance qui surplombe la ville d'Alger.
Le Mémorial a été érigé en 1982, à l'occasion du 20e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. SNC-Lavalin a aussi construit un grand centre commercial attenant au monument.
Le 17 octobre, le président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), Djilali Hadjadj, a qualifié ce complexe de «projet scandaleux qui a coûté plusieurs centaines de millions de dollars [à l'époque] aux contribuables algériens», dans Le Soir d'Algérie.
Depuis, SNC-Lavalin a obtenu des contrats valant des milliards de dollars en Algérie, en partie grâce aux efforts de M. Ben Aïssa: centrales thermiques, projets hydrauliques et ferroviaires, usine de dessalement de l'eau de mer, barrage, infrastructures et bâtiments.
Le vent tourne
Le printemps arabe a été frileux en Algérie. Malgré tout, là-bas comme en Libye et en Tunisie, le vent semble tourner pour la firme montréalaise.
«Au cours des deux dernières années, la Commission nationale des marchés publics a annulé plusieurs contrats attribués provisoirement à SNC-Lavalin», a souligné M. Hadjadj.
Outre le projet de Hassi Messaoud, un contrat de 10 millions d'euros pour l'aménagement d'une autoroute a été rejeté. Selon Mme Quinton, les nouvelles règles exigées par le gouvernement expliquent aussi l'annulation du processus d'appel d'offres dans le cas de l'autoroute.
Mais en ce qui concerne le projet de Hassi Messaoud, le géant du génie québécois pourrait également avoir été la victime collatérale d'une guerre de clans au sein du pouvoir algérien. En effet, plusieurs analystes ont vu dans l'enquête sur la corruption à Sonatrach une attaque contre l'influence exercée par le «clan de l'Ouest» du président Abdelaziz Bouteflika.
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Petite histoire d'un contrat perdu
9 juillet 2009
SNC-Lavalin confirme avoir obtenu le contrat pour l'aménagement de la nouvelle ville de Hassi Messaoud, plaque tournante de l'industrie pétrolière en Algérie. Le contrat d'études, d'exécution et de suivi des travaux de construction est évalué à 508 millions de dollars.
Janvier 2010
Les services secrets algériens enquêtent sur l'attribution de plusieurs contrats douteux à la société d'Etat pétrolière Sonotrach. Le PDG et les principaux cadres de Sonatrach sont arrêtés.
21 février 2010
Dans un câble diplomatique, l'ambassadeur des Etats-Unis à Alger rapporte des propos indiquant qu'afin d'obtenir le contrat de la nouvelle ville, SNC-Lavalin pourrait avoir soumis une offre gonflée, pour ensuite rétribuer des initiés de Sonatrach.
31 mai 2010
Au coeur du scandale de corruption à Sonatrach, le ministre algérien de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, est limogé.
1er juin 2010
La presse algérienne rapporte l'annulation du contrat de SNC-Lavalin. Selon la firme, il s'agit plutôt d'une suspension «due à des changements dans la gestion chez le client et à une révision de [ses] processus».
29 juin 2010
«L'affaire de la nouvelle ville de Hassi Messaoud est partie intégrante de la politique de nettoyage amorcée au ministère de l'Energie pour évacuer les résidus de l'ère Khelil. «Il n'y a rien de technique dans ces annulations. C'est purement politique», indique une source au ministère de l'Energie au quotidien Algérie-Focus.
Mai 2011
L'ancien PDG de Sonatrach Mohamed Meziane est condamné à un an de prison pour «passation de marché contraire à la réglementation» et «dilapidation de deniers publics», dans l'attribution d'un contrat à une société d'ingénierie franco-algérienne. Trois hauts dirigeants du secteur sont condamnés à quatre mois de prison.
Août 2011
L'Algérie écarte définitivement SNC-Lavalin du projet de nouvelle ville en attribuant le contrat au consortium sud-coréen Dong Yang. Selon le site Maghreb Confidentiel, la Caisse nationale d'équipement, nouvel outil anticorruption du ministère des Finances, a été chargée de superviser la sélection afin d'éviter de «nouvelles dérives de coûts».
Janvier 2012
Le projet entre dans l'étape de la réalisation avec le début des études d'aménagement par le consortium Dong Yang. Il faudra au moins huit ans pour construire la ville de 80 000 habitants. Le coût total de ce projet babylonien est estimé à 6 milliards de dollars.
Isabelle Hachey




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