De sa naissance aux Ouadhias, dans le piémont du Djurdjura, le 14 novembre 1920, à la lutte de libération en passant par son engagement dans la Seconde Guerre mondiale, l’homme a effectué un véritable parcours du combattant. Toute sa vie n’a été qu’une lutte pour la liberté et contre toutes les oppressions.
A 15 ans, son père décède et il n’a d’autre choix que de quitter l’école en allant gagner sa vie et subvenir ainsi aux besoins des siens. Avec son frère, ils essaieront de travailler le lopin de terre familial. Un jour, il se décide à faire les vendanges chez M. Decaillet, un riche colon implanté du côté de Rouiba. C’était le premier grand déplacement du jeune Slimane qui se résignera à rester dans cette contrée, au cours de son deuxième voyage. A 21 ans, il frappe à la porte d’une caserne à Maison Carrée, où après des tergiversations, on finira par le juger bon pour le service et l’engager. Quelques mois après, il débarque avec les troupes alliées et françaises à Bagnolet près de Naples. « C’était le 24 octobre 1943 et on n’avait pas tardé à en découdre avec les Allemands près de Venato. C’était les jours les plus longs. Les combats d’une rare violence ont duré 92 jours. On a pris les Allemands de revers en contournant le Cassino. C’est comme cela qu’on les a eus. » En débarquant en France le 20 août 1944, Slimane et son bataillon perdent beaucoup d’hommes face à une résistance farouche. Quand ils sont arrivés à Strasbourg le 24 décembre 1944 au soir, c’était le commencement de la fin. L’Allemagne meurtrie, qui offrait un spectacle de désolation, était sur le point d’abdiquer. Lorsque les événements de mai 1945 éclatent en Algérie, Slimane était encore mobilisé. Il se trouvait à Obstad, un gros bourg allemand perdu au milieu de la forêt. « Subitement, l’attitude de nos officiers avait changé. Il y avait un fossé entre les Français et nous. On ne se reconnaissait plus. Les Français étaient vexés par le comportement de ces indigènes qui osaient se révolter contre leur autorité. Leur méfiance était telle qu’ils nous ont substantiellement limité les munitions. Le climat de confiance n’existait plus. Quelque temps après, on nous suggère de renforcer le front du Vietnam. Les Algériens dans leur majorité ont refusé et ont été de fait démobilisés. »
Un chef politico-militaire Libre de tout engagement, Slimane monte à Paris à Nanterre précisément où il trouve un « job » chez Simca. En assistant à sa première réunion politique à la salle Wagram, à l’occasion du retour d’exil de Messali, Slimane est subjugué par le discours nationaliste développé par le leader politique. Il adhère au MTLD et devient chef de deux départements ; sous l’égide de la Fédération de France. Mais au fil des jours, c’est la grande désillusion pour ce jeune plein d’énergie, prêt à se bagarrer. « Plus j’avançais dans ce parti, plus je me rendais compte que c’était du bidon », se souvient-il en esquissant un geste qui traduit son indicible déception. Car, visiblement, c’est davantage le leader que le parti qui l’a déçu, en se confinant dans un attentisme qui a fini par irriter aussi bien la base, que l’avant-garde militante. Sans doute, aurait-il misé sur des hommes comme Benboulaïd qu’il cite en exemple pour son combat discontinu. N’a-t-il pas réussi à ramener un lot d’armement appréciable à dos de... 996 chameaux ! Mais la résistance traverse des turbulences, comme la fameuse crise dite berbériste de 1949. Pour Slimane, « La seule crise qu’il y a eu c’est l’unité brisée du MTLD. Ce que l’on qualifie de crise berbériste est une tentative d’écarter les meilleurs éléments, c’est un complot colonialiste dans lequel le comité central a marché fièrement ! » En 1953, Slimane est arrêté et écope de 8 mois d’emprisonnement et 70 000 FF d’amende et frappé d’interdiction pendant 5 ans en Algérie pour avoir distribué des tracts hostiles. En 1954, Slimane, qui rentrait clandestinement au village par des voies détournées, pour ne pas éveiller les soupçons de l’ennemi, est trahi par un villageois. Il se fait de plus en plus discret. « En juin 1955, tout le monde se rendit à l’évidence que, pour avoir les armes, il fallait se bagarrer. C’est en tous les cas la conclusion à laquelle nous sommes parvenus à l’issue de la réunion de Beni Douala, qui a regroupé Amirouche, Krim, Mohamedi Saïd, Yazourène, Mira et moi-même. Quelques semaines après, on a agi en conséquence en menant une grande offensive contre l’armée française, au cours de laquelle nous avons réussi à récupérer 1200 armes, 627 millions en argent liquide et 12 millions de cartouches. » Fort de son expérience militaire, Slimane ne pouvait que diriger.
La révolution dévore ses enfants C’est à lui qu’échut le devoir de former la première compagnie en Kabylie. « En moins de six mois, l’organisation politico-militaire était une réalité. » Mais les premiers anicroches avec Krim commencent à se faire jour. Slimane descend à Alger. Il est déjà un organisateur de la révolution dans cette wilaya qu’il prend en main pendant une longue période, à l’initiative de Abane Ramdane, qui lui a demandé d’organiser et de structurer cette wilaya, dont il définit même les frontières. Au titre de chef, il a vécu les différentes crises des appareils, mais c’est inévitablement l’assassinat de Abane Ramdane qui l’a profondément marqué. La seule évocation des 3 B le fait sursauter. Pour se consoler sans doute de sa disparition qu’il n’a pas digérée, il recourt à la célèbre phrase : « Les grands hommes ne meurent pas dans leur lit. » Car sans mâcher ses mots, le colonel Sadek même, s’il considère que la révolution dévore ses enfants, n’en condamne pas moins les dépassements et les liquidations faits par ceux-là mêmes censés guider la lutte. L’assassinat de Abane lui est resté en travers de la gorge, tant les deux hommes s’estimaient et se respectaient. « Abane, rappelle-t-il, a été un chef de l’OS qui a été arrêté et a purgé 5 ans de prison. Libéré en 1955, il a vite fait de rejoindre le champ de bataille en réveillant la conscience nationale par ses écrits et ses appels en direction notamment des intellectuels. C’était un stratège qui gênait ceux qui voulaient accaparer la révolution en bâtissant de véritables féodalités au sein de celle-ci. Abane s’en est rendu compte et a condamné cette attitude. D’ailleurs, Ben M’hidi était initialement envoyé pour remplacer Abane. Mais quand il a découvert la réalité et la valeur de Abane et ses intentions, les deux hommes se sont alliés et ont travaillé ensemble sans complexe. N’ont-ils pas été les catalyseurs de la lutte armée ? » Sadek revient souvent sur Abane et d’une manière générale sur les exactions et les purges commises par notre propre camp. « On aurait pu éviter tant et tant de morts. Les purges ont été la tâche noire de la guerre. mais ceux qui ont trahi paieront un jour. » Puis d’évoquer le climat de suspicion et de méfiance créé pour discréditer la révolution et dans lequel certains de nos dirigeants ont marché. On en vient à « l’affaire » Si Salah « qui a été montée de toutes pièces pour le briser, car Zamoum était un novembriste, un instituteur, donc un intellectuel. Il n’a pas trahi. On l’a amené de force. Le commandant Si Lakhdar peut en témoigner... » Le congrès de la Soummam a fait avancer la révolution grâce à l’unité d’action qui a prévalu et à la perspicacité de Abane qui s’est investi pleinement pour sa réussite, même si des divergences sont apparues par la suite. « La Wilaya IV, dont j’avais la charge, était devenue une wilaya intellectuelle, avec tous les étudiants qui y affluaient. Forcément, elle gênait. Surtout le groupe de Oujda qui s’était juré de liquider les intellectuels pour réduire les effectifs de l’intérieur. C’était un plan sordide. » Mais cela ne nous a pas empêchés de travailler. Et de citer les efforts déployés. « J’ai commencé à rétablir la confiance. J’ai libéré tous les détenus. On a créé un camp à l’extrême-sud marocain, en récupérant tous les éléments. Il y avait près de 1500 hommes armés et bien structurés. » Si Sadek peut vous parler longuement de cet épisode et de l’absence inexpliquée de contact entre l’Ouest qu’il dirigeait avec Boumediène et les colonels (Benaouda, Lamouri, Bouguelal et Mohamedi Saïd qui officiaient à l’Est. Le différend entre l’état-major et le GPRA a été, selon lui, « monté de toutes pièces par Boussouf qui voulait tout contrôler en mettant les hommes du MALG aux postes sensibles. Son entreprise a réussi et le cadre qu’il a mis en place, il y a plus de 40 ans, existe toujours. » Ainsi, en 1959 une réunion regroupant 10 colonels dont Sadek se tient à Tunis pour remanier les organismes extérieurs du CNRA et du GPRA. « à‡a tournait en rond, ça tâtonnait, c’est pour cela qu’on a décidé de mettre un terme à cette situation. On s’est réunis à Tunis pour tenter de trouver un terrain d’entente, de changer l’ordre des choses. La réunion qui a commencé en juillet avec des ventilateurs s’est terminée en hiver avec le chauffage central. C’est vous dire le climat pesant qui a régné et le consensus qui était difficile à trouver... »
Député de tizi ouzou En 1962, Sadek est élu député de Tizi Ouzou. Il y est resté jusqu’au conflit du FFS et l’arrestation de Aït Ahmed. « Il y avait 700 hommes armés dans le maquis mais qui manquaient de ravitaillement et de munitions. Il fallait les sauver ainsi que les prisonniers dont Aït Ahmed qui, dans tous les cas de figure, ne se compromet pas. C’est moi, et personne d’autre, qui ai signé la paix et exigé la réhabilitation de tous les insurgés. » Entre lui et Aït Ahmed, le courant arrive difficilement à passer. Son appréciation sur le leader du FFS est sans équivoque. « C’est un homme très rusé, intelligent et cultivé. Mais son intelligence ne sert pas l’intérêt national », assène-t-il. A l’indépendance, Sadek n’a pas laissé les armes aux vestiaires. De Ben Bella, il dira « qu’il est devenu le Bon Dieu en 1962. Nous avions fait la guerre pour arracher notre liberté et nous nous trouvions devant un régime qui faisait régner la terreur, la peur et l’injustice. A-t-on combattu et fait tant de sacrifices pour en arriver là ! » Après la prise de pouvoir par Boumediène, Sadek part en France. Le nouvel homme fort de l’Algérie, avec qui il a travaillé à l’état- major ne le sollicite pas. « De toutes les manières, je n’avais rien demandé ni sollicité qui que ce soit. Moi je suis un libéral, un républicain. Certes, on a travaillé ensemble, mais dans le fond, on ne s’entendait pas. On a deux méthodes diamétralement opposées. » Ce que lui inspire l’Algérie de 2006 ? Que du bien. « L’Algérie a toujours attendu son leader. Abane aurait été un grand chef d’Etat. Je crois qu’actuellement, il y a un début. Bouteflika avait les mêmes idées et les mêmes visions que Abane. Mais en tant que jeune capitaine, il ne pouvait parler à l’époque. Maintenant, je crois que les bases sont jetées. Bouteflika est en train de nettoyer, de frapper, d’arrêter. Il s’inspire de l’adage qui dit qu’il faut frapper le serpent à la tête, pas à la queue. J’estime que la situation est en train de se décanter et Dieu nous guidera sûrement vers une Algérie comme en rêvait Abane. »
Parcours Le colonel Sadek, de son nom Slimane Dehilès, est né aux Ouadhias le 14 novembre 1920. Très jeune, il est sensibilisé aux luttes. Il adhère aux PPA/PTLD au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais sa déception est grande devant l’inertie du parti qui parle plus qu’il n’agit. Au déclenchement de la lutte de Libération, il est désigné par Abane pour organiser la Wilaya IV. Il assiste au congrès de la Soummam et compte parmi les principaux chefs politico-militaires de la révolution. Il est membre du CNRA de 1957 à 1962. Il effectue un voyage au Caire en compagnie de Abane, où il est reçu par Nasser qui ne l’a guère impressionné. En tant que colonel, il participe avec 9 de ses pairs à Tunis, au remaniement des organismes extérieurs (CNRA et GPRA). A l’indépendance, il est élu député de la wilaya de Tizi Ouzou. Il est dirigeant du FFS de 1963 à 1965. Il quitte définitivement la politique en 1965 avec l’arrivée au pouvoir de Boumediène. Il se dit optimiste pour l’avenir du pays et se félicite du travail mené par Bouteflika.
Il est énorme ce Slimane DEHILES. Il mérite vraiment à être connu. C'est le genre d'homme à qui nous devons d'être indépendant.
titeuf - paris, Algérie
07/11/2011 - 21878
Je ne vois pas en quoi les kabyles sont persécutés plus que le reste des algériens, on est tous dans le même pétrin ... j'en vois une seule chose qui différencie les algeriens en 2 : la classe ders brigands et le reste...
Salim Ghanem - Enseignant - Oran
24/11/2007 - 628
Le colonel sadek est certes un grand combattant mais quand on a une
aussi grande notoriété et réputation que lui ,on se doit de faire honneur
aux appels du peuple kabyle qui a non seulement payé un lourd tribut
pendant la guerre d'indépendance mais ,qui plus est, continue à être
la seule et unique cible du pouvoir sanguinaire en place, qui s'atelle à le faire disparaître à terme par la pseudo politique d'arabo-islamisation,
dirigée exclusivement contre ce peuple,même si ça" tue" aussi le pays.
massin amazir - enseignant - tizi ouzou
24/11/2007 - 627
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 04/05/2006
Posté par : nassima-v
Ecrit par : Hamid Tahri
Source : www.elwatan.com