Slimane Dazi, acteur ayant crevé l'écran dans Un Prophète de Jacques Audiard et Rengaine de Rachid Djaïdani, avec cette «gueule» cinégénique et auteur d'un livre intitulé Indigène de la nation, a la même histoire que de la rock star, le regretté Rachid Taha. Né à Nanterre dans les Hauts-de-Seine, en France, en 1960, il a toujours sa carte de résidence. Comme Rachid Taha son ami.
Rachid Taha me parlait beaucoup de vous. La dernière fois, il m'avait appelé pour que je vienne vous voir en tournage (série TV El Khawa II), à El Oued? C'est plus que de l'amitié, de la fraternité qui vous liait?
Ah, Rachid (Taha) est un grand frère pour moi ! Rachid, c'est celui qui a ouvert les portes à tous les enfants de la première génération d'émigrés. Rachid nous a ouvert les yeux en nous montrant le chemin pour nous dire : «C'est possible de faire de la musique, du cinéma, d'écrire des livres?
C'est possible de faire de l'art ! Voilà, c'est juste de faire les choses avec sa conviction et sa foi. Sans avoir honte de soi, de qui on est?» Parce que là où on naît, ce n'est pas mieux que les autres ou moins bien que les autres. Il faut le faire la tête haute, avec fierté.
Bien entendu avec beaucoup de travail. Et puis, le talent suivra. Rachid, ça a été pour moi le phare de toutes les générations (d'enfants d'émigrés) qui ont suivi. Il a été le phare de la première génération d'enfants d'émigrés. Et jusqu'à aujourd'hui, la cinquième. Il l'est et le restera pour toujours.
Par rapport à son parcours, à la transmission et retransmission. Il a fait renaître la mémoire de la chanson chaâbie en interprétant merveilleusement les tubes de Dahmane El Harrachi, Mazouni et bien d'autres.
C'est aussi Carte de séjour?
Oui ! Rachid c'est aussi Carte de séjour. Avec ses textes incroyables. D'une modernité et qui le sont encore. Ses textes sont toujours d'actualité. Rachid, c'est l'emblème de la possibilité de vivre ensemble. C'est-à-dire que tu sois Arabe, Berbère, Arabo-Berbère, musulman, Français, Italo-Hispanique, catholique, juif, homosexuel, ce que tu veux? Il n'avait que de l'amour, notre grand frère Rachid. C'était quelqu'un, comment te dire? Rachid avait quelque chose d'angélique. C'était l'ange du rock, Rachid.
Les textes, les petites phrases, les paroles de Rachid Taha valaient tous les discours des hommes politiques. Il résumait cela?
Oui, cela valait tous les discours des hommes politiques français. Mais ça valait aussi tous les discours politiques dans le monde. Rachid a parlé quand il est revenu en Algérie, maintes fois. Il a parlé quand même. Que c'était triste dans la situation dans laquelle se trouvait la jeunesse. La jeunesse, c'est la richesse de ce pays, l'Algérie. Un immense atout, cette richesse. C'est dramatique que les salles de cinéma soient rares.
C'est quand même tragique. Et ça, Rachid osait le dire. Et il faut le dire. Il arrive à un moment où cela risque de nous tomber dessus. Je pense que Rachid avait cette force, cette capacité à pouvoir générer des choses pour bousculer et faire avancer le Schmilblick. ça c'était Rachid. Oui, tu as raison, Rachid était une personne qui avait une force de persuasion, une force de conviction qui était plus forte que les politiques. Je suis d'accord avec toi.
Comment ça se passait avec Rachid Taha ' Vous parliez de cinéma, littérature, musique?'
Tu sais, les conversations qu'on avait à bâtons rompus avec Rachid et son ami Toufik Baalache, qui est une personne extraordinaire et avec qui j'étais hier, portaient évidemment sur la politique, le cinéma, sur les projets qu'on avait en commun.
Les futures compositions musicales de Rachid, ses projets comme le concert (les 20 ans de Diwan) à l'Opéra de Lyon ou bien le concert-hommage rendu au grand maître du chaâbi, Dahmane El Harrachi, à l'Institut du Monde arabe (IMA) à travers son répertoire qu'il avait interprété avec son groupe.
Et puis, nous avions ces conversations sur des projets en gestation. Par exemple, il avait un projet où Elvis Presley, le king du rock, redescend sur terre, mais s'appelle «Ali Beloula». Et Rachid voulait que j'interprète le rôle, le personnage de Ali Beloula. Il m'a dit : «C'est toi, Slimane, dans ton ??toi'' réside mon ??moi''. Et en nous, il y a quelque chose que les jeunes n'ont pas et que nous leur transmettons.»
Et ce rocker, Rachid, était grand féru d'Elvis Presley et bien d'autres. Et Elvis Presley avait un petit peu mené un combat similaire au sien, par rapport à la condition des Blacks, les Afro-Méricains aux Etats-Unis. Rachid, c'était par rapport «métèques-algériens». Et il voulait quelque chose de politique mais avec de la poésie.
Et il savait le faire. Et nous avions énormément de conversations évidemment sur le cinéma, le néo-réalisme italien, les films des années 1960, de Scola, Antonioni, Fellini, Ferreri, Pasolini?
Ah, Rachid Taha, c'est quelqu'un qui restera toujours avec nous, Allah yarahmou ! Il m'accompagnera toujours. Il m'a transmis un message sans me le dire verbalement. C'est que moi je vais continuer inch'Allah à faire ce qu'il a toujours fait. Je vais continuer avec mes moyens à moi, Slimane Dazi. Je vais continuer à le faire vivre, perpétuer son «idéologie», la verve de Rachid.
Justement, Slimane, vous venez de publier un livre intitulé Indigène de la nation. Pouvez-vous nous le pitcher '
Je vais essayer d'être assez concis, je vais te le pitcher : je suis à un tournant. Comme souvent. J'ai 56 ans et j'attends la sortie d'un film dans lequel je me suis investi comme jamais. J'y joue le rôle de ma vie, le rôle que j'ai tenu toute ma vie, le rôle du ??grand frère'', le rôle de l'aîné qui défriche le chemin, l'aîné qui veille et surveille.
Je suis Arezki, Parisien d'origine algérienne, et Parisien dans le sang. Je suis propriétaire d'un bar à Pigalle, j'ai la gueule de l'emploi, une tête de Parigot bien cassée, un mec des banlieues métissées qui vient gonfler le c?ur de la ville. Je suis un vrai Parisien, une figure des quartiers populaires. Je suis l'un des derniers Parisiens.
Parisien, né en France, et victime du «délit de faciès» sélectif? Une injustice?
Oui, j'ai vécu cela telle une injustice. On m'a retiré mes droits du sol. Quand mes parents ont décidé de devenir Algériens en 1962. Après les Accords d'Evian. Le pitch de ce livre est l'histoire d'une injustice. Politique. Une véritable injustice qui est malheureusement légale. C'est-à-dire que moi qui suis né Français avec le droit du sol, à l'époque où l'Algérie avait deux départements français. Je me suis fait retirer mes droits alors que mes frères et s?urs qui sont nés après le 1er janvier 1963?
Donc, bien évidemment mes parents ont la nationalité (algérienne) à l'indépendance, en 1962. Mais pas eux, qui ont gardé le droit du sol. Et toute cette colère ! Elle n'est pas venue comme ça. Elle s'est exprimée, à partir du moment où j'ai subi tellement de refus.
Tu sais, on m'a refusé le visa pour me rendre aux Etats-Unis, pour aller chercher un prix (award) d'interprétation. On m'a refusé un visa pour aller chercher une autre distinction au Canada. On m'a refusé plusieurs fois mon visa pour aller faire des bouts d'essai où j'étais quasiment casté, pour des gros, je dis «gros gros», projets de film à Londres (Royaume-Uni). Et le dernier épisode en date, heureusement que le président d'un festival en Irlande s'est battu pour pouvoir me délivrer un visa. Pour aller chercher mon prix d'honneur saluant ma carrière d'acteur.
Un cri du c?ur, un coup de gueule, face à cette flagrante ineptie?
Ce livre, Indigène de la nation, est, en fait, un cri de colère contre cet acte politique. Moi, je suis né Français et on ma retiré mes droits du sol. J'ai une carte de résidence. C'est cela dont je parle. Un cas isolé.
C'est presque la même histoire que
Rachid Taha, votre ami. Il avait la carte de résidence?
Exactement, la même chose que Rachid. C'est pour cela quand il a lu mon livre Indigène de la nation, il tout fait pour en parler. Moi et Rachid avons quelque chose en commun, de très similaire dans le parcours artistique, dans le combat. Rachid, c'était la création musicale et moi, c'était autour de l'image. Nous avons quelque chose de très lié, très en commun. Et c'est essayer de parler politique en faisant de l'art, de la poésie?
Slimane, vous avez crevé le petit écran durant le mois de Ramadan 2018 sur la chaîne TV El Djazairia One dans la saison II de la série El Khawa réalisée par Madih Belaïd?
Oui, c'était des moments formidables partagés avec toute l'équipe lors du tournage d'El Khawa II à El Oued. J'aimerais renouveler cette belle expérience. Et si l'on fait un film où un réalisateur qui a un projet, je suis disponible et entièrement à sa disposition pour venir tourner en Algérie.
L'appel est lancé?
Merci ! Inch'Allah que du bonheur !
Indigène de la nation/
Slimane Dazi/
Editions Don Quichotte (2018)
256 pages / Prix : 18 euros
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 06/10/2018
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : K Smail
Source : www.elwatan.com