Algérie


Le double combat d?une mère Elle est venue annoncer la nouvelle comme on proclame une délivrance. Comme l?accomplissement d?un long combat contre « des racontars mortifiants » et les murailles d?une bureaucratie frigide. Insensible. Les larmes qu?elle n?a cessé de verser se confondaient. Des fois, c?était les larmes chaudes d?une mère meurtrie qui pleure la disparition tragique de ses deux enfants et d?autres fois, c?était presque des larmes de joie. La joie d?avoir réussi à soulever des montagnes en parvenant à baptiser l?établissement que fréquentaient ses enfants de leur nom. Au préalable, elle lance comme une sentence victorieuse : « L?école primaire de Hammadi Krouma portera désormais à partir de cette rentrée scolaire le nom de ?l?école de Rahma et Abderrahim? ». Rahma 8 ans et Abderrahim 7 ans à peine sont morts asphyxiés par des émanations de gaz, le 26 janvier dernier. Leur disparition avait alors jeté un grand émoi au sein de la population de la commune de Hammadi Krouma. Et dans l?établissement que fréquentaient les deux bambins, le choc était encore plus important. La mère meurtrie devait alors faire face à deux blessures : la mort de ses enfants et les chuchotements que les gens n?ont cessé de répandre à son sujet. « Imaginez qu?en plus de ma douleur, les gens m?ont imputé la mort de mes enfants, comme ça gratuitement, on m?a jugée coupable », entrecoupe-t-elle ses sanglots tout en poursuivant : « On a raconté tant de bribes au sujet de leur mort. Croyez-vous qu?une mère puisse nuire à ses propres enfants ? Mes enfants sont morts et moi je ne cesse de mourir chaque jour, et quand j?entends quelques phrases assassines, je meurs davantage. » Elle expose alors les photos de ses enfants : « Regardez-les, y a-t-il au monde une chose plus adorable que ces sourires ? » Sa ranc?ur est immense. Plus vaste que sa douleur. Puis elle poursuit, comme pour prouver au monde entier que nul n?a le droit de douter de son amour pour sa propre chair. « Après leur mort, je me suis juré de tout entreprendre pour perpétuer leur souvenir. J?ai entrepris des démarches auprès de l?administration afin de baptiser l?école où étaient scolarisés mes deux enfants de leur nom. Là encore, je me suis heurtée au refus et aux invectives administratifs. Mais j?ai tenu bon et j?ai frappé à toutes les portes, de toutes mes forces, pour parvenir enfin avec l?aide d?âmes charitables à obtenir gain de cause. » Quand elle parle de cette réussite, c?est comme si elle évoquait une victoire à l?arraché. Allant plus loin, elle a commandé une enseigne spéciale Ecole de Rahma et Abderrahim qui sera portée sur le portail de l?établissement scolaire le jour de la rentrée. Ce jour-là, cette mère sera là, comme tous les autres parents qui accompagneront leurs enfants. Et même si Rahma et Abderrahim ne sont plus là, il demeurera toujours leur nom et leur souvenir incrustés à jamais dans cette école. C?est quelque part aussi une victoire sur le malheur. La victoire d?une mère.


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