Algérie

Six pieds sur terre de Karim Bensalah Naissance funéraire



Publié le 27.08.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
SARAH HAIDAR

Premier long-métrage du réalisateur, Six pieds sur terre est désormais disponible sur Netflix. Au-delà de son genre initiatique, le film propose un regard singulier sur le tourment identitaire tout en essayant de contourner le prisme archétypal.
Sofiane (Hamza Meziani), étudiant fêtard et fils d’un ex-diplomate, risque de se faire expulser et n’a d’autre choix que de travailler dans une entreprise de pompes funèbres musulmanes. Son formateur (Kader Affak), sombre et taciturne, lui mène la vie dure. D’abord récalcitrant et nauséeux, Sofiane trouvera le chemin vers lui-même grâce à un univers mortuaire riche en leçons de vie.
Karim Bensalah semble lucide sur tous les écueils qui guettent le cinéma franco-algérien : entre le stéréotype et la caricature, l’angélisme ou l’auto-flagellation, le cinéma ou l’ethno-reportage… A travers cette histoire certes convenue d’un jeune homme paumé et nihiliste qui rencontre la rédemption dans le giron de la spiritualité, le cinéaste parvient tout de même à élaborer un récit nuancé dont l’intelligence tient davantage de l’émotion que de la didactique.
Dans sa nonchalance teintée de mélancolie, Sofiane se réfugie dans une mythomanie apatride pour épater ses compagnons de beuverie et colmater les brèches de son être criblé par le non-sens et une histoire familiale tragique. Sa rencontre avec El Hadj, croque-mort et thanatopracteur campé par un Kader Affak virtuose, est une espèce d’allégorie philosophique où l’étreinte quasi-sensuelle d’un cadavre nous éveille à la vie. D’ailleurs, les scènes où Karim Bensalah nous offre des extases esthétiques, c’est bien celles des toilettes mortuaires qui, fort heureusement, ne se limitent pas à une simple poésie spirituelle mais entrent en harmonie avec ce contre-récit voulant à la fois déconstruire l’image classique de la mort et déjouer certains clichés sur les musulmans.
Six pieds sur terre aurait donc pu passer dans la trappe des innombrables films piégés par leurs propres bonnes intentions si ce n’est le talent du réalisateur et de ses acteurs pour l’invention d’un univers complexe qui peut désarçonner les uns et les autres et mettre en échec leurs assignations respectives.
Bien sûr, Karim Bensalah cède parfois à la tentation du «fourre-tout» en ce sens que certaines de ses situations tendent à illustrer de manière plus ou moins maladroite le propos global de son film. Mais la beauté des scènes qui les portent, soutenue par un humour pudique, finit par l’emporter et nous porter.
Sarah Haidar




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