Algérie

Six condamnations à mort


Six condamnations à mort
Après le retrait de trois avocats, le tribunal criminel près la cour d’Alger a poursuivi, tard dans la journée de mardi, le procès des huit auteurs présumés de l’attentat kamikaze contre le Palais du gouvernement le 11 avril 2007. Deux d’entre eux ont refusé de rester dans le box. Ils ont quitté la salle après que le président, M. Hellali, eut pris acte de leur décision. La majorité d’entre eux a été déjà condamnée à de lourdes peines pour les attentats suicide contre le siège de la division Est de la police judiciaire et de la gendarmerie de Bab Ezzouar. Ce qui est étonnant, c’est que ces deux affaires ont fait l’objet d’une même enquête préliminaire, étant donné qu’il s’agit du même groupe d’auteurs présumés. Or, au niveau de l’instruction, le dossier de l’attentat contre le Palais du gouvernement a été séparé, pour constituer par la suite une autre affaire. Du coup, les accusés se retrouvent dans deux procès. Ce qui a poussé les avocats à dénoncer une telle décision. Pour sa part, le juge n’a fait que prendre acte des remarques, avant d’appeler à la barre Maârouf Khaled. L’accusé ne cesse de clamer qu’il a déjà été jugé et condamné pour les mêmes faits par le même tribunal, dans le cadre de l’affaire des attentats suicide contre les sièges de la division Est de la police judiciaire et de la brigade de gendarmerie de Bab Ezzouar, attentats commis le même jour que celui contre le Palais du gouvernement. «Ils ont juste changé le titre, l’histoire est la même…», ne cessait-il de répéter. Le juge l’interroge sur la Mercedes bourrée d’explosifs, abandonnée devant le domicile du défunt Ali Tounsi, à Hydra. «Mon voisin, Samir (Ndlr, un des terroristes en fuite), m’a demandé de lui chercher un véhicule en bon état à acheter. Je lui ai ramené une Mercedes pour 740 000 DA, il l’a prise….», dit-il. Le juge : «Et vous avez aussi acheté le camion '» L’accusé : «Mais je ne savais pas ce qu’il allait faire avec. Comme il ne conduisait pas, j’ai emmené les deux véhicules l’un après l’autre à Thénia. Lorsque j’ai su que le camion a été utilisé dans l’attentat, j’ai eu très peur. Je me suis rendu aux policiers et leur ai tout raconté.» Le président : «Vous étiez où le 11 avril, lorsque les policiers sont venus vous chercher chez vous ' Vous êtes monté au maquis '» L’accusé : «Oui, mais c’était à cause de mon frère. J’avais peur de la police. Je savais qu’ils allaient venir à la maison à ma recherche, alors je suis monté. Là, j’ai rencontré mon frère et il m’a parlé de ces affaires de kamikazes. C’était avant les attentats. Je lui ai déconseillé. Mais après plusieurs mois dans les maquis, je me suis rendu, tout comme mon frère d’ailleurs. Moi, ce n’était pas du tout ma voie. Les deux véhicules ont été achetés par Samir, qui était l’ami de mon frère.» Le président : «Que faisiez-vous au maquis '» L’accusé : «Nous nous entraînions dans la région de Zemmouri…» Non convaincu, le juge revient à la charge : «Avez-vous su que le camion a été utilisé pour faire exploser le Palais du gouvernement '». L’accusé : «Oui, mais après...» Maârouf reprend sa place dans le box et c’est Hadouch Salim qui lui succède à la barre. Il nie en bloc les aveux faits devant le juge d’instruction.
«Mon frère n’était pas content de ce qu’il allait faire»
Selon ce procès-verbal, l’accusé aurait déclaré au juge que Aït Saïd est venu voir son épouse pour lui dire de ne pas avoir peur, la Mercedes qu’il a conduite n’a pas explosé. Aït Saïd est un terroriste qu’il avait rencontré à la prison de Berrouaghia, où les deux purgeaient leur peine pour une affaire de terrorisme. Hadouch est catégorique : «Ce n’est pas vrai. Je n’ai rien dit de tel.» Le clou du procès est la comparution de Boudina Abdenour, frère de Merouane, le kamikaze qui s’est fait exploser contre le Palais du gouvernement. Il comparaît tout en étant en liberté, pour le délit de non-dénonciation de criminel. Son récit ne laisse personne indifférent. «Mon frère était dur, difficile et imprévisible. Il a arrêté les études alors qu’il était en 8e année fondamentale. En 1999, il a été arrêté, jugé et condamné pour vol. Depuis, il s’est transformé. Il est devenu un délinquant. Il fume le cannabis, il vole, etc. C’était un problème pour la famille. Un jour, il s’est disputé avec un voisin et les gendarmes sont venus le chercher. Je l’ai chassé en lui disant de ne plus revenir à la maison. Quelque temps plus tard, des gens m’ont dit qu’il a tout arrêté et qu’il fait la prière. J’étais content. Deux mois avant l’attentat, il m’a téléphoné pour me demander pardon et me dire qu’il a changé et qu’il travaillait à Hassi Messaoud…». Le juge : «L’avez-vous cru '» Le prévenu : «Au début, oui, mais après, il m’a dit qu’il voulait me voir. Je lui ai dit, une fois que tu seras prêt. Il m’a répondu ça sera pour demain à Alger, je t’appellerai pour t’indiquer l’endroit. Là, j’ai tiqué. Le rendez-vous était pris au marché de Tidjelabine. Tout au long du trajet, il m’indiquait par téléphone l’itinéraire. Une fois arrivé au lieudit, c’est une autre voix qui me répond pour m’orienter. Deux hommes armés de kalachnikov m’attendaient au bas d’un buisson. J’ai eu très peur. Je voulais m’enfuir, mais c’était trop tard. A côté de mon frère, il y avait un homme d’une soixantaine d’années, appuyé sur une canne qui semblait surveiller son langage.» Le président : «Le connaissiez-
vous '» Le prévenu : «Je ne le connaissais pas, mais mon frère m’a dit que c’était ammi Mouhouch de Bourouba, qui est au maquis depuis 1993. Il ne m’a pas laissé libre avec mon frère.» Le président : «N’avez pas essayé de lui soutirer quelques mots '» Le prévenu : «Impossible, le vieil homme était là. Merouane m’a juste dit : ‘‘Dans quelques jours, tu recevras un CD, quand tu le consulteras dis-leur la vérité sur ma personne’’. A ce moment, il y a eu Al Adhan (l’appel à la prière), et le vieil homme est intervenu pour rappeler à mon frère l’heure de la prière…» Le juge : «Que vous a-t-il dit de plus '» Le prévenu : «Il m’a conseillé d’arrêter la cigarette et de faire la prière, puis il m’a dit de demander pardon à ma mère et à mon père. A ce moment, mon seul souhait était de quitter ce lieu. Il m’a dit que 34 terroristes l’attendaient plus loin. Avant que je ne monte dans ma voiture, j’ai vu mon frère pleurer. Je suis convaincu qu’il voulait me dire quelque chose. A mon avis, il n’était pas content de ce qu’il allait faire. Il était debout en face de moi, mais le vieux l’a appelé d’un ton coléreux pour qu’il quitte les lieux.» Le président : «Comment était-il habillé '» Le prévenu : «Il portait la même tenue que lors de l’enregistrement du CD.» Le président : «Pourquoi n’avez-vous pas informé les services de sécurité lorsque vous êtes revenu ' Vous auriez au moins aidé à éviter toutes ces veuves et ces orphelins.» «Comment pouvais-je savoir ce que mon frère allait faire '», s’exclame le prévenu avant d’être interrogé par le procureur général. «Mouhouch, de son vrai nom, Ziani Saïd, vous a demandé de détruire la puce avec laquelle vous avez parlé avec votre frère…». Le prévenu : «Oui, mais j’ai refusé en prétextant qu’elle comportait les numéros des membres de ma famille. Dans cette affaire, c’est moi et mon frère qui sommes les victimes.» Très ému et terriblement affecté, le prévenu s’éclipse, les yeux larmoyants, laissant sa place à Bouzendja Khaled. Selon l’arrêt de renvoi, il aurait été chargé de guetter les déplacements du défunt Ali Tounsi, patron de la Sûreté nationale. Il nie en bloc les accusations portées contre lui et proteste contre le fait qu’il soit, selon lui, jugé deux fois pour les mêmes faits. «J’ai été condamné à la perpétuité pour le même dossier et aujourd’hui je subis encore une fois le même jugement. Je veux comprendre pourquoi '» L’accusé rejette tous les faits qui lui sont reprochés, poussant le magistrat à le faire revenir à sa place, pour appeler Laâboudi Sid Ahmed. Etant donné le pourvoi en cassation qu’il a introduit, il a été entendu en tant que témoin dans cette affaire. Il est accusé d’avoir épié et filmé le siège de la division Est de la police, ainsi que l’attentat ayant ciblé le Palais du gouvernement. Il rejette toutes les accusations. «Connaissez-vous Slimane Adlène '» L’accusé : «C’est mon voisin et mon ami.» Le juge : «C’est lui qui vous aurait demandé d’épier et de filmer le commissariat de Bab Ezzouar '» L’accusé : «Ce n’est pas vrai !» Le président tire une cage d’oiseau et une veste de couleur verte. «Cette cage et cette veste ont été retrouvées chez vous. La cage a été utilisée pour cacher la caméra avec laquelle vous avez filmé en étant habillé de cette veste. Le CD diffusé le montre bien», lui lance-t-il en lui demandant d’essayer la veste. L’accusé s’exécute. Elle lui va comme un gant. «Même si elle me va, cela ne veut pas dire que c’est la mienne...» Le président lui rappelle quelques propos contenus dans les PV du juge d’instruction. «Vous aviez loué une Maruti pour aller au Palais du gouvernement et filmer l’attentat, mais vous étiez retenu à cause d’une petite collision en cours de route et vous êtes arrivé en retard. Vous avez filmé la fumée qui montait…». L’accusé : «Ce n’est pas vrai. J’étais dans la Maruti du côté de l’hôpital neurologique Aït Idir, quand j’ai entendu la déflagration. Dans la panique, j’ai percuté le véhicule qui était devant moi. Je n’ai pas fait de constat parce que je n’ai touché que le phare. J’ai juste donné 1800 DA au conducteur comme frais de réparation.» Des propos qui font réagir le procureur général : «Le juge ne vous a pas mis le pistolet sur la tête pour que vous disiez ce qui est écrit sur les PV.» «Si vous voulez voir l’état de mon corps, vous comprendriez pourquoi j’ai fait ces déclarations. Ils m’ont fait des choses atroces…», dit-il avant d’être interrompu par le parquetier : «Vous dites que je vous ai torturé '». L’accusé : «Non, ce sont les policiers.» Le parquet : «Vous aviez la possibilité de déposer plainte pour torture qui est un crime puni par la loi.» Le président intervient et appelle à la barre Kritous Mourad, qui nie tous les fais qui lui sont reprochés. L’accusé, Boudarbala Rabah, refuse de parler sans la présence de son avocat, qui s’est retiré de l’audience en signe de protestation contre le refus du juge de renvoyer l’affaire. Pour ce qui est des autres, Bechar Hassene et Slimane Adlène, étant donné qu’ils tiennent à ne pas répondre aux questions du juge, ce dernier s’est contenté de lire leurs procès-verbaux lors de l’instruction. L’audience a été suspendue en début de soirée de mardi pour reprendre hier matin avec le réquisitoire et les plaidoiries.

 
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