14h10. Cela fait plus d'une heure que toute la salle est suspendue aux
lèvres de l'imperturbable procureur. Avec sa voix monocorde, le représentant du
ministère public a pris tout son temps à disséquer les faits et à égrener les
charges.
Son débit se ralentit net à ce moment-là,
son regard se fige sur le banc des accusés. Il s'apprête à requérir les peines.
On s'achemine mine de rien vers l'étape suivante de l'audience, les
interventions de la défense. Mais, soudain, un coup de tonnerre dans un ciel (pas
très) serein. Les toges noires s'insurgent, se révoltent, subitement. Sous
l'impulsion de Maître Miloud Brahimi, les avocats se
donnent le mot d'ordre de se retirer de la salle. La flammèche qui a mis le feu
dans le rang de la défense: certains propos de l'avocat général. En particulier,
le mot «akhlakiat» (déontologie ou éthique). Les
robes noires ont perçu ces termes «offensants et outrageux» comme une
insinuation évidente à l'allocution tenue peu auparavant par leur confrère Me Feroui, le représentant de la partie civile, Sonatrach. Selon l'interprétation de Me Brahimi
et collègues, «le représentant du droit public a non seulement reproché au
conseil de la partie civile de s'être écarté des principes de l'éthique
professionnelle en prenant fait et cause de la partie accusée (les cinq cadres
de Sonatrach), alors que son rôle était censé être
tout autre, mais il a usé de mots forts déplacés, voire injurieux, à l'égard de
cet avocat, qu'il n'a pas certes cité nommément, mais qu'il visait on ne peut
plus claire.» C'est carrément le chaos dans le prétoire du pôle spécialisé
après cet incident d'audience. Alternant le sourire affecté, le ton doucereux
et les coups de poing secs sur la table, la présidente, Mme Magharbi
tente tant bien que mal de calmer les esprits. En vain. Les avocats insistent: «Il
(le procureur) faut qu'il retire ce mot en présentant ses excuses à celui qu'il
visait». L'avocat général, lui, est résolument persuadé que son réquisitoire
est exempt de tout écart de langage ou de politesse à l'adresse de quiconque. «
Au bout d'un vif branle-bas qui s'est propagé dans toute l'enceinte du tribunal,
rythmé par une valse de levées et reprises d'audience, le procès reprend enfin
à la faveur d'une petite réunion de «réconciliation» tenue dans le vestibule du
prétoire. Empressé d'en finir, le procureur lâche d'un ton mécanique les
sanctions requises: 6 ans de prison ferme contre Feghouli
Abdelhafid, Meziane Mohamed
et Benamar Touati, et 4 ans
de prison ferme contre Mekki Henni et Nechnech Tidjini. Peines
assorties d'une amende de 1 million de DA pour les prévenus tout en bloc. Au
cÅ“ur de l'affaire, un marché de réalisation d'un complexe de stockage d'azote, composé
de deux stations, une à Arzew d'une capacité de 1,5 million de litres (10 bacs
de 150 m3
chacun), l'autre à Ouargla, d'une capacité de 600.000 litres (4
bacs), d'un coût global de près de 10 millions de DA. Qu'est-ce qui est
reproché au juste aux gestionnaires de ce projet ? En gros: les articles 26 et 29
de la loi 01-06 sur la prévention et la lutte contre la corruption. Traduction:
signature de contrat contraire à la réglementation (le code des marchés publics)
et dilapidation des deniers publics. En détail: le fait d'avoir scindé ce
projet en deux tranches, octroyé la 1e à la compagnie India
Inox par voie d'appel d'offres, mais la 2e à Safir (coentreprise
algéro-française spécialisée en engineering et
réalisation) par la formule du gré à gré. D'abord, pour l'accusation, «pourquoi
a-t-on fragmenté en deux ce projet uni ?» «N'était-il pas logique et rationnel
de faire passer cette transaction en bloc par l'avis d'appel d'offres national
et international, et que le meilleur gagne !?» Second grief: le lot II relatif
à l'étude et la réalisation du complexe d'azote a été confié par Sonatrach, via sa filiale Cogiz, à
Safir par gré à gré, quatre mois avant la réception
du «ok» de l'état-major du groupe Sonatrach, représenté
par son PDG Meziane Mohamed. En d'autres termes, Safir s'était déjà adjugé du marché, de manière horizontale,
bien avant que la décision officielle n'ait été prise, de manière verticale. Quand
la «bénédiction» du marché en faveur de Safir est
tombée du sommet de la pyramide de Sonatrach en
passant par sa section aval, qui en a pris à son compte le financement au
prétexte que Cogiz n'avait pas le calibre d'un tel
chantier financièrement parlant, le joint-venture Safir
était déjà à pied d'Å“uvre. Le circuit administratif n'était donc, selon
l'accusation, qu'une question de post-formalisation pour revêtir de légalité, en
apparence, ce projet. Troisième grief: l'argument «urgence» mis en avant pour
justifier le gré à gré ne tenait pas la route du moment que la 1e tranche
confiée aux Indiens pour la fourniture de matériels et moyens est passée, elle,
par un avis d'appel d'offres. Si le projet revêtait le cachet urgence, autant
l'orienter tout en bloc et dès le départ vers canal de l'article 7 du mécanisme
R15, l'option «gré à gré.» Quatrième grief, qui coule en fait du troisième : le
motif d'urgence est d'autant moins crédible dans ce cas que le projet tout
entier a accusé un glissement de plus de six mois à cause du retard dans
l'arrivage des réservoirs fournis par India Inox, conséquence
de la contrainte du crédoc de la LFC 2009. Cinquième grief: les
défaillances relevées dans la station de conditionnement d'azote d'Arzew, dont
notamment «l'excès d'évaporation». Sixième grief: l'argument du monopole détenu
par Safir en matière d'engineering battu en brèche
par l'accusation par un texte contre-argument qui
stipule qu'il faut mettre en jeu les règles de la concurrence même quand un
opérateur se prévale de ce statut, qui ne doit en aucun cas servir de
justificatif pour contourner la loi.
A l'heure où nous mettons sous
presse, les plaidoiries de la défense se poursuivent. A ce rythme-là, le
verdict ne devrait tomber qu'à une date ultérieure.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 28/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Saaïdia Houari
Source : www.lequotidien-oran.com