Algérie

Site naturel d’El-Kantara (Biskra): Autopsie d’une agression à ciel ouvert



Site naturel d’El-Kantara (Biskra): Autopsie d’une agression à ciel ouvert


La menace persiste sur le site naturel d’El-Kantara, dans la wilaya de Biskra. L’agression à ciel ouvert, entamée il y a plus de huit années au cœur même des majestueuses gorges, se poursuit sous le regard médusé des habitants et des milliers d’usagers empruntant quotidiennement cette voie stratégique.

C’est dans le cadre du projet de doublement de la RN3 reliant Skikda à Ouargla qu’une décision a été prise en 2012 sans la consultation des représentants de la société civile, de réaliser un ouvrage aux retombées négatives sur un site naturel et un monument historique romain classés et protégés depuis 1923. Si l’objectif principal des décideurs de l’époque était de désengorger cette voie de circulation, arrivée à saturation, il n’en demeurait pas moins que leur dédain à l’égard de ce patrimoine avait révolté l’opinion publique locale et nationale.

Le projet initial prévoyait alors la mise en place d’un viaduc longeant le défilé et survolant l’oued tout en enjambant, à quelques mètres seulement, le célèbre pont romain.

- Une mobilisation payante

Une mobilisation exceptionnelle s’en était suivie. Des actions de protestation multiformes avaient été menées tambour battant pour sensibiliser les responsables à tous les niveaux ainsi que des personnalités du monde de la culture, de l’art et de la presse aux dangers encourus par ce site touristique et culturel reconnu mondialement.

Aux premières lignes du front de la résistance, on retient l’engagement de l’Association pour la promotion de l’office local du tourisme et son déploiement tous azimuts pour contacter, sensibiliser et convaincre toute personne ou partie pouvant contribuer à ramener à la raison les «va-t-en-guerre» de la première solution.

D’autant qu’une étude technique bien plus raisonnable et autrement plus efficiente et moins coûteuse existe depuis des années et attendait juste son application sur le terrain, à savoir le creusement de tunnels.

- Une alternative hâtive et peu étudiée

Cette mobilisation avait fini par faire désavouer les auteurs du projet initial et également ses fervents défenseurs. Néanmoins, la seconde variante qui, à l’évidence, a été décidée au pied levé et dans la précipitation, devait juste répondre à une urgence de l’heure et en l’absence de toutes consultations. Et pour cause, dans le premier projet, l’ouvrage d’art était dans le prolongement et presque à la même hauteur que la route déjà achevée qui contourne la ville.

Aujourd’hui, le viaduc, tel que modifié, vient s’arrimer à l’actuelle voie de circulation, plusieurs mètres en contrebas, par le biais d’une plateforme en béton qui accueillera un rond-point devant réguler le flux de véhicules. Il est aussi important de signaler que cette excroissance en béton, dont les piliers sont ancrés dans l’oued El Hay, réduit de moitié la largeur de son lit et constitue ainsi un risque de débordement en cas de fortes crues, comme il y en a eu par le passé.

Dans cette configuration en cours d’exécution et en raison donc de la disparité de niveau entre les deux voies à relier, l’ouvrage en question affiche une forte déclivité annonçant des frissons pour les utilisateurs, notamment les poids lourds qui pullulent sur cet important axe routier reliant le nord au sud du pays.

- Une œuvre naturelle altérée

Pour l’heure, les travaux avancent à pas de tortue. Le délai de 20 mois prévu initialement pour la réalisation de ce viaduc en 2012 est à ce jour démultiplié par quatre. Une lenteur inexpliquée qui renseigne, en tout état de cause, sur la complexité de l’ouvrage qui a été confié pourtant à une entreprise publique au CV dans le domaine bien fourni. Aussi, l’incompréhension autour de ce retard est de plus en plus forte aussi bien pour les habitants que pour les usagers de cette route nationale et les touristes en quête de découverte.

En attendant, ce projet a sérieusement altéré la beauté naturelle du site en y greffant une surcharge pondérale qui perturbe déjà l’harmonie des volumes et des couleurs d’une véritable œuvre d’art intemporelle. A cette agression esthétique s’ajoute une appréhension amplement justifiée quant à la sécurité et l’organisation futures du flux automobile.

- La rupture dramatique

Et au-delà de ces constatations, ce projet, qui est loin d’être achevé, a surtout provoqué la mise à sec du réseau d’irrigation et donc l’assèchement et le dépérissement de la palmeraie d’El Djiza sur la rive gauche de l’oued El Hay. Une pièce majeure du patrimoine touristique culturel et architectural d’El-Kantara qui est ainsi condamnée à une disparition programmée (voir encadré).

En entamant les excavations pour l’ossature en béton, l’entreprise a détruit une partie de la retenue collinaire qui permettait depuis des lustres la répartition des eaux de l’oued entre les deux palmeraies de la ville. Certes, cette rupture dramatique pour les centaines de jardins était programmée dans le cadre des travaux, mais l’engagement de reconstruire un raccordement de remplacement qui était aussi bel et bien prévu, n’a pas, pour autant, été honoré, tout au long de ces 8 dernières années.

Aux dernières nouvelles, il serait question d’un autre engagement de l’entreprise pour réhabiliter le réseau d’irrigation. Ceci étant, on ne retiendra de l’histoire peu glorieuse de ce projet que le rejet massif de la population et des passionnés de ce patrimoine, les dégradations subies par ce site et la condamnation à une disparition certaine d’une palmeraie autrefois luxuriante.



Photo prise sur google: Le site naturel d'El Kantara qui sera défiguré par le dédoublement de la route nationale en cours de réalisation/Akar Qacentina

Belkacem Bellil


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