Algérie

Sisyphe à Alger


Une sorte de fatalité s'installe, nourrie par un discoursofficiel sur la «facilité» à commettre des attentats et sur la difficulté à lesprévenir. Voilà qui n'est pas de nature à remonter le moral des Algériens,sachant que l'argument de la recherche de l'efficacité sécuritaire a été unedes justifications, le plus souvent implicite et non déclarée, de la mise enplace d'une démocratie très spécifique qui fabrique l'incivisme électoral, pourne pas dire l'incivisme tout court. Ce fatalisme, que beaucoup d'Algériens,toujours sous le coup de l'émotion, n'ont pas noté, a été relevé avecétonnement par des observateurs étrangers.Bien sûr, il n'y a pas de réponse miracle face à un groupeterroriste qui utilise ses zombies de la mort pour assassiner. Il n'essaie mêmeplus de se faire une image en prétendant éviter des cibles civiles. Maisjustement, il ne faut pas chercher la réponse miracle, mais la réponse durable.Les services de sécurité doivent faire leur travail et il n'y a pas de raisonde croire qu'ils ne le font pas.Mais, on ne le dit pas assez, s'ils peuvent mettre en placedes dispositifs de prévention, faire du renseignement, déjouer des opérations,démanteler des réseaux, ils n'ont pas vocation à résoudre des problèmes morauxet sociaux lourds. C'est les condamner, comme Sisyphe, à remonter sans cesse lerocher vers le sommet pour le voir rouler à nouveau vers le bas. Le discourspurement sécuritaire - et il est bien là, avec ses bons et ses mauvaisarguments - n'est d'aucun secours pour les services de sécurité. Il faut êtreaveugle pour le croire.Il n'est pas inutile de rappeler que très récemment, on adonné, ici en Algérie, des chiffres effrayants sur la santé mentale desAlgériens (2 à 3 millions de malades). Cela n'a rien à voir directement avec leterrorisme, mais cela nous renseigne de manière saisissante sur le sombre étatpsychologique de la société. On a tous été surpris et effrayés de voir unenfant de 15 ans enrôlé dans le terrorisme kamikaze; et beaucoup ont regardéleurs gosses d'un autre regard, troublé. On l'est tout autant de constater,avec l'auteur de l'attentat contre le siège du PNUD, que l'âge avancé n'est pasforcément un facteur dissuasif.Nous baignons dans une forme de démission morale collectiveet d'impuissance car on hésite à aller vers le fond, pour ne s'occuper que dela surface. Démission et impuissance des parents, bien sûr, mais aussi celleplus générale d'une société qui n'a pas été mise dans la situation de faire unevraie introspection pour déterminer les causes des dérives de plus de deuxdécennies. Et qui, de ce fait, n'est pas armée pour les éradiquer enprofondeur. On fait, à nouveau, le procès de la politique deréconciliation, c'est la règle à chaque attentat. Mais ses défenseurs comme sesdétracteurs évitent d'aborder le fond du problème et tournent autour du sujet.Son vrai défaut n'est pas qu'elle ait cherché à offrir une voie de sortie aux «égarés », mais au fait qu'elle s'est empressée, au nom des nécessités politiquespropres au système, de tourner la page. Le résultat est qu'on ne tire pas de latragédie nationale un enseignement moral, pédagogique et pratique. On baignedans un silence contraint où les protagonistes, qu'ils aient été vainqueurs ouvaincus, ne doutent pas de la validité de ce qu'ils ont fait.Les psychanalystes le disent: on ne sort pas d'untraumatisme dévastateur sans l'aborder, sans le verbaliser... On n'est pasguéri en l'enfouissant dans un faux oubli dans une société désorientée, travailléepar l'ignorance, le bigotisme, les frustrations, l'affairisme, le cynisme.Dans ces conditions, les services de sécurité sontcondamnés à refaire le travail de Sisyphe, car on aura omis d'admettre que lasécurité relève du politique...
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