Algérie

Siroter son cosmos, boire son univers


Pêché dans un journal, un titre terrible : « du café...au café».Le sujet étant de démontrer que l'Algérien, après avoir mangé son jeûne, etprié son Dieu, n'a pas où aller dans un pays vaste, lui-même encastré dans uncosmos infini, pour le moment. En soi, le titre vaut une métaphysique allemandedu 19ème siècle : il exprime l'être dans un espace clos, traînant la patte deson âme d'une tasse à l'autre, crevant d'ennui inexprimable et décortiquant sonmonde comme il le ferait d'une crevette gigantesque posée sur son épaule. «Ducafé au café» laisse au chroniqueur un goût plus terrible que l'incestepopuliste de ce slogan mort «Du peuple au peuple». Il s'agit presque de labiographie de millions d'Algériens, de l'activité réduite de plusieurs wilayasdu royaume : on y va d'un café vers un autre pour honorer un faux périple, unesorte de déplacement illusoire entre groupes de gens assis, chargés par le videde trouver du pétrole avec leurs langues ou d'expliquer les éclipses avec desjeux de courroies usées. Selon le luxe du café, la classe sociale de sesfréquentations, la qualité de ses services et le faciès de son serveur, on sebâtit ainsi une sorte de cosmogonie, résumant le reste de la société algérienne.Si le serveur est hautain, on parlera de « restes du socialisme», s'il vousignore, l'explication est du côté du procès des nouveaux riches qui vousréduisent à ne pas peser même aux yeux d'un serveur. S'il sollicite trop votrecompagnon, c'est que ce dernier travaille aux ex-PTT, à l'Académie ou peutrestituer un permis de conduire retiré. Si le serveur est excellent et apporteun café excellent, la conversation du groupe vire alors vers le classique du «ça ne va pas durer». Enfin et si le café lui-même sent un peu la propreté, estsitué au beau milieu du village ou du quartier, l'analyse grégaire se retournevers le procès de l'indépendance, le baiser donné par le chef de daïra aupropriétaire, le fils du chef de brigade et l'autorisation d'exploitation signépar le P/APC lors de la dernière circoncision d'un petit notable de 04 ansd'âge. Le nationalisme algérien, et Messali aurait puvous le dire s'il était encore vivant, est né dans les cafés maures. Et c'estlà qu'il crève aujourd'hui, ramassant des morceaux du peuple glorieux, chargéde scier les branches, d'arroser la mauvaise herbe et de remonter le tempsalgérien pour trouver l'explication du ratage national dans le moment inauguraldu départ de l'Emir Abd El Kader du port de Ghazaouet, port favori des nouvelles immigrations. Sans lecafé comme espace, consommation, boisson et cosmos, l'Algérien se retrouveraencore plus démuni, sans rôle et sans loisirs. Encore plus durant ces veilléesde Ramadhan que l'Etat peine à animer avec de maigres chanteurs et quelquestombolas filmées, faute d'une culture nationale plus proche du réel que dufolklore. L'homme est à l'image du cosmos, disent les alchimistes, le café està l'image du pays, disent les Algériens. On n'en sort jamais et le mieux quipuisse vous arriver, c'est de changer de tasse et de quartier.


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